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ARTICLE 1033

RADIATIONS.

Justifications :

I. - Pouvoir de contrôle du Conservateur.
II. - Dispense de production des pièces justificatives (C.C., art. 2158, 2° al.)
Conséquences.

ARRET DE LA COUR DE CASSATION (3° Chambre Civile) DU 16 JUILLET 1975

LA COUR,

Vu les articles 2157 et 2158 du Code Civil ;.

Attendu qu'en vertu du premier de ces textes, les inscriptions d'hypothèques sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet, ou en vertu d'un jugement ; que si la mainlevée consentie après paiement de la dette suppose la capacité de recevoir paiement, en revanche la mainlevée sans paiement exige la capacité de disposer d'un droit réel immobilier et d'y renoncer ;

Attendu en conséquence, que le Conservateur des Hypothèques, responsable de la régularité de la radiation, a donc l'obligation de s'assurer de la capacité et des pouvoirs des personnes qui la requièrent, ainsi que d'exiger la production de toutes pièces susceptibles de l'éclairer sur ces points ;

Attendu enfin que si, afin de simplifier les formalités et de réduire le nombre des pièces justificatives à fournir à l'appui des mentions de radiation, l'alinéa 2 de l'article 2158 dispose qu'aucune pièce justificative ne doit être exigée à l'appui de l'expédition de l'acte authentique en ce qui concerne les énonciations établissant l'état, la capacité et la qualité des parties, lorsque ces énonciations sont certifiées exactes dans l'acte par le notaire, encore faut-il que lesdites énonciations puissent remplacer la production des justifications ; que l'alinéa 2, ajouté à l'article 2158 du Code Civil par le décret du 4 janvier 1955 et modifié par l'ordonnance du 28 septembre 1967, qui a pour seul effet de remplacer la représentation des pièces justificatives par une analyse certifiée du notaire, ne dispense pas le Conservateur d'exercer son pouvoir de contrôle, qui ne se limite pas à la régularité formelle de la mainlevée, mais s'étend à sa validité au fond ;

Attendu que des énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué il résulte que, par acte authentique du 28 novembre 1970, la Mutualité Sociale Agricole de la Manche (M.S.A.), agissant par de Grammont, son directeur, a donné mainlevée à Lamy d'une inscription hypothécaire inscrite le 12 avril 1968 sur les biens de Lamy pour sûreté d'une somme de 1.521,75 francs en principal ; que le Conservateur des Hypothèques de Coutances a refusé de radier cette inscription, estimant que le directeur de la M.S.A. n'avait pas la capacité juridique de renoncer à la sûreté, qui garantissait a créance non payée de cet organisme ;

Attendu que pour ordonner à C..., Conservateur des Hypothèques, de publier l'acte de mainlevée et de procéder à la radiation de l'inscription d'hypothèque prise au profit de la Mutualité Sociale Agricole de la Manche, les juges du second degré ont relevé d'une part, que la capacité de G..., ès qualités ayant été reconnue par le notaire instrumentaire dans un acte authentique, cette capacité ne pouvait plus être contestée par C..., que, d'autre part, les textes sur la publicité foncière ont conféré au Conservateur des Hypothèques le seul contrôle de la forme des actes par ailleurs, limité aux cas précis prévus par les articles 2148, 2149, 2154 du Code Civil et des décrets du 4 janvier 1955 et 14 octobre 1955, et qu'aucun de ces textes ne lui donne le droit d'apprécier la capacité des parties ou d'exiger une constatation de paiement fournie par l'Agent comptable ;

Attendu qu'en statuant de la sorte, la Cour d'Appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs

Casse et annule l'arrêt rendu le 1er mars 1974, entre les parties, par la Cour d'Appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'Appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en la Chambre du Conseil.

Observations. - En cassant l'arrêt de la Cour d'Appel de Caen du 1er mars 1974 (Bull. A.M.C., art. 987), l'arrêt rapporté confirme la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation intervenue sous l'empire du 1er alinéa de l'art. 2158 du Code Civil, c'est-à-dire avant l'adjonction à cet article d'un 2° alinéa par l'art. 27 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, modifié par l'art. 5 de l'ordonnance n° 67-839 du 28 septembre 1967 (Bull. A.M.C., art. 698), et selon laquelle le Conservateur a l'obligation - et par suite le droit - de s'assurer de la capacité du créancier qui consent la mainlevée d'une inscription hypothécaire (v. Bull. A.M.C., art. 987 précité, observations).

Par ailleurs, le même arrêt décide qu'il n'a pas été porté atteinte à ce droit par 2° alinéa ajouté, ainsi qu'il est rappelé ci-dessus, à l'art. 2158 du Code Civil, ce nouveau texte ayant pour seul effet de remplacer la représentation des pièces justificatives par leur analyse dans l'acte de mainlevée certifiée exacte par le notaire, sans dispenser le Conservateur de l'obligation d'exercer son contrôle.

L'interprétation du 2° alinéa de l'art. 2158 du Code Civil sur laquelle les notaires et les conservateurs s'étaient mis d'accord (Bull. A.M.C., art. 241-VI ; v. égal. art. 279) et qui n'avait pas été contestée jusqu'à l'arrêt de la Cour d'Appel de Caen, se trouve ainsi consacrée par la Cour Suprême.

Originairement, dans l'instance actuelle, le droit de contrôle du Conservateur n'était pas en cause. En première instance, le litige portait sur le point de savoir si le représentant d'une Caisse de, Mutualité Sociale Agricole avait le pouvoir de donner mainlevée sans constatation de payement. Le Tribunal de Grande Instance de Coutances s'est, par un jugement du 28 février 1973 (Bull. A.M.C., art. 946), prononcé pour la négative.

La Cour de Cassation n'a pas eu à juger du bien-fondé de cette décision, la Cour d'Appel ayant éludé la difficulté en déniant au Conservateur le droit de se faire justifier de la capacité de l'auteur de la mainlevée.

L'appel formé contre le jugement du Tribunal de Coutances sera examiné à nouveau par la Cour d'Appel de Rouen devant laquelle l'instance a été renvoyée par l'arrêt de cassation. L'opinion qui a triomphé devant le Tribunal y sera alors à nouveau défendue.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 977 2° et 881 A (feuilles vertes) ; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 52 et 75.

Voir AMC n° 1280.