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ARTICLE 1048

PROCEDURE.

Action en responsabilité contre le conservateur.
Prescription. - Conservateur intérimaire.
Assignation postérieure de plus de dix ans à la fin de l'intérim.
Prescription acquise.

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE
DU 28 FEVRIER 1975

Faits. - Assignés en responsabilité devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille, deux notaires ont appelé en garantie le Conservateur d'Aix-en-Provence au bureau duquel avait été accomplie la formalité litigieuse. L'assignation a été signifiée au Conservateur le 19 novembre 1973.

Le Conservateur assigné était un intérimaire dont l'intérim avait pris fin le 4 août 1963, soit plus de dix ans avant la date de l'assignation. Il a, pour sa défense, fait valoir que art. 8 de la loi du 21 Ventôse an VII, dans l'interprétation que lui a donnée la Cour de Cassation, fixe à dix ans après la cessation de ses fonctions la limite au-delà de laquelle une action en responsabilité ne peut plus être intentée contre un Conservateur. Il a, en conséquence, demandé sa mise hors de cause.

Le Tribunal de Marseille, par un jugement du 28 février 1975, a accédé à sa demande dans les termes suivants :

" Attendu que la Conservation des Hypothèques d'Aix s'étant trouvée vacante le 20 juin 1963 par suite de la démission de son titulaire, M. V..., Inspecteur principal des Impôts, a été chargé, en applications des dispositions de l'article 12 de la loi du 21 Ventôse an VII, d'en assurer l'intérim jusqu'au 5 août suivant, date de l'installation du nouveau titulaire ; qu'il était donc en fonction lors du dépôt du bordereau d'inscription, le 13 juillet 1963 ;

" Attendu que le Conservateur intérimaire est responsable de sa gestion aux termes de l'article 12 susvisé, mais n'est pas tenu de fournir un cautionnement à la différence du Conservateur titulaire ; qu'il ne saurait cependant être plus mal traité que celui-ci et qu'on ne peut lui refuser le bénéfice de la prescription décennale prévue par l'article 8 de ladite loi ;

" Attendu que V... a été appelé en cause le 19 novembre 1973, soit plus de dix ans après la cessation de ses fonctions ; que l'action dirigée à son encontre doit donc être considérée comme prescrite et partant irrecevable. "

Observations. - Les art. 7 et 8 de la loi du 21 Ventôse an VII, relatifs aux cautionnements des Conservateurs des Hypothèques, disposent :

" Art. 7. - L'inscription du cautionnement sera faite à la diligence et aux frais du préposé.

" Elle subsistera pendant toute la durée de sa responsabilité.

" Art. 8 - Le cautionnement ci-dessus demeure spécialement et exclusivement affecté à la responsabilité du préposé à la Conservation des Hypothèques, pour les erreurs et omissions dont la loi le rend garant envers les citoyens.

" Cette affectation subsistera pendant toute la durée des fonctions et dix ans après, passé lequel délai, les biens servant de cautionnement seront affranchis de plein droit de toutes actions de recours qui n'auraient point été intentées dans cet intervalle. "

Interprétant ces dispositions, la Cour de Cassation a, par un arrêt du 22 juillet 18 16 (S 16- 1 -297 ; - D. Juris. G n., V° Privilèges et Hypothèques, n° 3008), reconnu qu'en disposant que le cautionnement fourni par le Conservateur cessait d'être affecté à la garantie de sa responsabilité envers les tiers dix ans après la cessation de ses fonctions, l'art. 8 a implicitement libéré également le Conservateur de toute action en responsabilité après l'expiration du même délai (v., dans le même sens : Cass. 2 décembre 1816, S. 17-1-317).

Cet arrêt est ainsi conçu :

" La Cour,

" Vu les articles 5, 6, 7 et 8 de la loi du 21 Ventôse an VII ;

  " Considérant que, suivant l'article 7, le cautionnement que le Conservateur est obligé de fournir subsiste pendant toute la durée de sa responsabilité, que ces expressions énoncent clairement que la durée du cautionnement et celles de la responsabilité sont choses corrélatives et indivisibles ; qu'ainsi le Conservateur doit un cautionnement pendant tout le temps qu'il est responsable et que, lorsqu'il ne doit plus de cautionnement, il cesse d'être responsable ; qu'aux termes de l'article 8, le Conservateur étant libéré de son cautionnement dix ans après la cessation de ses fonctions, il suit qu'après ce délai, il est également libéré de sa responsabilité et, par conséquent, qu'il est affranchi de toute action, soit réelle, soit personnelle, puisque la loi n'en réserve et ne pouvait, dans le système qu'elle a adopté, en réserver aucune... " Dans l'espèce actuelle, l'adversaire ne contestait pas l'interprétation de la Cour de Cassation, mais il prétendait que la règle qui en découle n'est pas applicable à un Conservateur intérimaire, celui-ci étant dispensé de la constitution d'un cautionnement.

Cette prétention ne pouvait pas prévaloir.

Il ressort clairement de l'arrêt susvisé du 22 juillet 1816 que, du rapprochement des art. 7 et 8 de la loi du 22 Ventôse an VII, la Cour de Cassation a tiré une règle générale selon laquelle, après l'expiration du délai de dix ans prévu à l'art. 8, non seulement le cautionnement du Conservateur n'est plus affecté à la garantie de sa gestion, mais encore aucune action en responsabilité ne peut plus être engagée contre lui. Elle n'a pas lié, pour chaque Conservateur pris isolément, l'application de cette dernière règle à la réalité de la constitution d'un cautionnement.

L'interprétation contraire aurait pour résultat que les Conservateurs intérimaires demeureraient responsables pendant trente ans à compter du fait dommageable, sans limitation. Ils seraient soumis ainsi à un régime discriminatoire qui ne se justifierait pas, étant donné que, abstraction faite de la constitution d'un cautionnement, qui serait incompatible avec la brièveté de leurs fonctions, ils sont appelés à supporter les mêmes responsabilités que les titulaires.

C'est ce qu'a jugé le Tribunal de Marseille dont la décision ne peut qu'être approuvée.

Annoter : C.M.L., 2 éd., n° 2045, ; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 90.