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ARTICLE 1091

RADIATIONS.

Mainlevée judiciaire.
I. Radiation prescrite par une ordonnance de référé
Litige entre le requérant et le Conservateur pour l'exécution de la radiation.
Compétence du juge des référés.
II. - Décision de justice ordonnant la radiation non passée en force de chose jugée.
Art. 2157 du Code Civil non abrogé par le décret du 28 août 1972
.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS (14° ch., section B, du 20 janvier 1977)

Faits. - Rétractant une précédente ordonnance du 11 juillet 1975, qui avait autorisé l'inscription d'une hypothèque judiciaire provisoire, le Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre a, par une nouvelle ordonnance du 15 décembre 1975, prescrit la radiation de cette inscription.

Cette dernière ordonnance ayant été frappée d'appel, le Conservateur a refusé, en exécution de l'art. 2157 du Code Civil, de procéder à la radiation jusqu'à ce qu'il lui ait été justifié que l'ordonnance avait été confirmée par la Cour d'Appel.

Le débiteur l'a alors assigné devant le Président du Tribunal et celui-ci, par une ordonnance du 25 mars 1976, lui a prescrit de procéder à la radiation dans les trois jours soit, par conséquent, sans attendre la décision de la Cour d'Appel.

Cette derrière décision, intervenue le 9 juillet 1976, ayant confirmé l'ordonnance du 15 décembre 1975, le Conservateur a pu alors procéder à la radiation prescrite.

Il a néanmoins interjeté appel de l'ordonnance du 25 mars 1976. Statuant sur cet appel, la Cour d'Appel de Paris a rendu, le 20 janvier 1977, l'arrêt suivant :.

La Cour,

" Considérant que le Conservateur, qui ne conteste pas l'opposabilité de l'ordonnance du 15 décembre 1975, reproche à celle attaquée d'avoir fait une inexacte application du droit aux circonstances de la cause ; qu'il soutient que le juge des référés était incompétent pour ordonner la radiation de l'hypothèque d'une part et d'autre part ne pouvait le contraindre à y procéder ;

" Considérant que pour décider de la mesure prise, l'ordonnance a retenu que le juge des référés tenait de l'article 497 du Code de Procédure Civile nouveau le pouvoir de rétracter une ordonnance déjà rendue, même si le juge du fond était saisi, de sorte qu'en cas de rétractation de sa première décision, celle-ci devenait non avenue et justifiait la suppression de la mesure ordonnée qui devait être réalisée immédiatement en vertu de l'exécution provisoire attachée à une décision de référé ;

" Considérant que le Conservateur soutient en premier lieu que les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article 85 du décret du 9 septembre 1971 ne l'autorisent pas à prendre une mesure irréversible contraire au caractère provisoire de ses décisions et en dehors des cas dans lesquels les articles 54 et 55 du Code de Procédure Civile l'autorisent spécialement à prononcer la radiation de l'hypothèque provisoire, d'une part, d'autre part que le Tribunal de Grande Instance a seul compétence pour trancher les difficultés s'élevant entre les intéressés et le Conservateur ;

" Considérant qu'en second lieu le Conservateur invoque le caractère général et absolu des dispositions de l'article 2157 du Code Civil relatif à la radiation des hypothèques, qui, en dehors du consentement des parties, ne peut intervenir qu'en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ; que les dispositions relatives au caractère exécutoire des jugements de l'article 63 du décret du 28 mars 1972 (devenu 506 du Code de Procédure Civile nouveau) ne dérogent pas au texte spécial du Code Civil en matière d'hypothèques de sorte que l'exécution provisoire attachée à la décision ne peut prévaloir sur le caractère définitif légalement exigé de la décision de radiation ;

" Considérant que la société immobilière fait valoir que le pouvoir que le juge des référés tient de l'article 497 du Code de Procédure Civile nouveau l'autorise à rétracter par ordonnance toute mesure précédemment autorisée de sorte qu'à la suite de cette rétractation disparaît le fondement de cette mesure et sa suppression qui peut être immédiatement réalisée par l'effet de l'exécution provisoire de sa décision qui ne peut être arrêtée que par le Premier Président ; que l'article 2157 du Code Civil qui est antérieur aux dispositions de l'article 85 du décret du 9-9-1971 (devenu l'article 471 du Code de Procédure Civile nouveau), n'est pas applicable aux circonstances de la cause, son champ d'application demeurant limité aux radiations prononcées par un jugement ;

" Considérant, sur le premier moyen, que la référence à l'application des articles 54 et 55 du Code de Procédure Civile est sans pertinence, dès lors que les dispositions de l'article 497 attribuent sans restriction compétence au juge des référés pour rapporter la mesure ordonnée, alors même que le fond est saisi ; que les pouvoirs que le juge tient de cet article l'autorisent par voie de conséquence à prescrire la cessation de la mesure conservatoire accordée ; que, dans les circonstances de la cause, la difficulté élevée par le Conservateur ne relève pas de la compétence du Tribunal de Grande Instance ; que le moyen n'est pas fondé ;

" Considérant, sur le second moyen, qu'en l'absence d'une abrogation expresse de l'article 2157 du Code Civil, les dispositions de l'article 63 du décret du 28 août 1972, dont l'objet est limité à la réglementation de la procédure civile, n'eut pas porté atteinte aux prescriptions particulières impérativement édictées par le Code Civil en matière hypothécaire ; qu'en conséquence l'exécution de la radiation ne pouvant résulter que d'une décision revêtant les caractères déférés par cet article, le Conservateur ne pouvait être contraint à effectuer cette radiation avant que les conditions de l'article 2157 soient remplies par l'arrêt à intervenir sur l'appel de l'ordonnance ayant prononcé la radiation, lequel constitue la décision définitive visée par ce texte ; que l'appel est à cet égard fondé ;

PAR CES MOTIFS :

" Déclare ENJALBERT bien fondé en son appel ;

" Infirme l'ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre du 25 mars 1976 en ce qu'elle a ordonné au Conservateur des Hypothèques de procéder dans un délai imposé à la radiation de l'hypothèque inscrite le 18 août 1975 sur l'immeuble de la Société Civile Immobilière METROPOLITAINE FONTENAY-AUX-ROSES au profit de la société FIRST MARYLAND FINANCIAL SERVICE Limited ;

La confirme pour le surplus. "

Observations. - I. Le Président du Tribunal de Grande Instance n'est pas compétent pour statuer sur les litiges qui peuvent survenir, en matière de radiations, entre la partie intéressée et le Conservateur.

Tout d'abord, en qualité de juge des référés, les décisions qu'il prend sont toujours provisoires, alors que les radiations d'inscriptions hypothécaires, qui peuvent être irréversibles, ne peuvent être ordonnées, à défaut du consentement des parties intéressées, que par des décisions de justice définitives (Bull. A.M.C., art. 434, 594, 604, 614, 783, 957 et 1011).

Par ailleurs, lorsque, s'agissant d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, le Président est saisi en vertu des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile, il n'a le pouvoir de statuer que dans les cas expressément prévus par ces textes et aucun de ceux-ci ne vise les actions engagées contre le Conservateur des Hypothèques (Bull. A.M.C., art. 604 et 614).

Pour repousser cette argumentation, qui formait le premier moyen d'appel du Conservateur la Cour d'Appel écarte tout d'abord l'application des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile, puis observe que, dès lors que l'art. 497 du nouveau Code de Procédure Civile attribue compétence au juge des référés pour rapporter les mesures qu'il a prescrites par ordonnance sur requête, les pouvoirs que le juge tient de cet article l'habilitent à ordonner la mainlevée des inscriptions qu'il a précédemment autorisées. Elle en conclut, bien que l'arrêt ne l'exprime pas clairement, que, dans le cas visé, la radiation est valablement prescrite par une ordonnance de référé, aussi bien lorsque cette ordonnance intervient dans une instance entre parties que lorsqu'il s'agit d'une action en justice engagée contre le Conservateur.

Le raisonnement ne répond pas à l'argument tiré du caractère provisoire des ordonnances de référé.

Si. dans le cas envisagé, le Président du Tribunal agissait comme juge des référés, ainsi que l'admet l'arrêt, une nouvelle ordonnance (nouveau Code de Procédure Civile, art. 488, 2° al.) ou le jugement statuant sur le fond pourrait rapporter sa décision et prescrire le rétablissement de l'inscription radiée. Or, ce rétablissement serait impossible si, entre temps, l'immeuble était sorti du patrimoine du débiteur en vertu d'un acte publié et, lorsque le rétablissement serait possible, l'inscription rétablie se trouverait primée par les inscriptions qui auraient été prises dans la période comprise entre la radiation et le rétablissement (Bull. A.M.C., art. 434, observ., § I ; art. 783, observ. § I ; art. 935, observ. § I ; art. 957 et art. 1022; observ. § II).

C'est pourquoi la radiation d'une inscription ne peut être valablement prescrite par une ordonnance de référé.

C'est ce qu'a reconnu récemment, par un arrêt du 17 novembre 1976 (Bull. A.M.C., art. 1077), la 14° chambre de la Cour d'Appel de Paris, c'est-à-dire la chambre même qui a rendu l'arrêt rapporté, mais dans une autre formation (section A). Et, précédemment, deux autres cours d'appel s'étaient déjà prononcées dans le même sens (Aix-en-Provence, 1er octobre 1974, Bull. A.M.C., art. 1011 ; Agen, 7 avril 1976, Bull. A.M.C., art. 1056).

Dans ces conditions, l'arrêt du 20 janvier 1977 ne saurait être pris pour règle et nous estimons que les Conservateurs doivent continuer à soutenir :

1° qu'une inscription ne peut être radiée en exécution d'une ordonnance de référé ;

2° que, lorsque le Président du Tribunal ordonne la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, on doit présumer qu'il agit en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile ; que, par suite, l'autorité de la chose jugée attachée à sa décision revêt cette dernière d'une présomption de régularité qui interdit de rechercher si le magistrat qui a rendu l'ordonnance a ou non statué dans les limites de sa compétence (Bull. A.M.C., art. 594, observ. ; art. 910 et art. 1022, observ. § II).

II. Accueillant le second moyen d'appel proposé par le Conservateur, l'arrêt reconnaît que l'art. 63 du décret du 28 août 1972 (nouveau Code de Procédure Civile, art. 506), aux termes duquel les radiations de sûretés sont valablement effectuées sur la seule production d'une expédition ou d'un extrait de la décision de justice qui les ordonne, si celle-ci est exécutoire à titre provisoire, ne déroge pas à l'art. 2157 du Code Civil et que, par suite, la radiation d'une inscription hypothécaire prescrite par une décision de justice ne peut être effectuée en toute hypothèse que si cette décision est passée en force de chose jugée (v., dans le même sens : C. Pau, 30 avril 1974, Bull. A.M.C., art. 988; C. Aix-en-Provence, 1er octobre 1974, Bull. A.M.C., art. 1011 ; C. Paris, 17 novembre 1976, Bull. A.M.C., art. 1077).

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 1361-4°, 1372, 1384 bis A (feuilles vertes) et 2049 ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 6, 37, 43 et 59.