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ARTICLE 1104

RADIATIONS.

Mainlevée judiciaire.
Décision de justice ordonnant la radiation non passée en force de chose jugée.
Exécution provisoire impossible.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE DIJON DU 4 OCTOBRE 1977

Faits. - Par une ordonnance du 5 mai 1975, le Juge d'instance de Dijon a autorisé le Directeur général des Douanes à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire contre M. Millière pour sûreté d'une somme de 2.470.320 F, en raison d'infractions douanières.

Par une nouvelle ordonnance du 30 mai 1975, le même magistrat, rétractant son ordonnance du 5 mai, a prescrit la radiation de l'inscription prise en vertu de cette dernière ordonnance et ordonné l'exécution provisoire de sa décision.

Sur appel de la Direction Générale des Douanes, la Cour d'Appel de Dijon a, par un arrêt du 1er juillet 1975, réformé en partie l'ordonnance du 30 mai 1975 et autorisé l'Administration appelante à prendre contre M. Millière une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire pour sûreté d'une somme ramenée à 500.000 F.

M. Millière a formé un pourvoi en cassation contre cette décision et, par un arrêt du 8 mars 1977, la Cour de Cassation a cassé l'arrêt de la Cour de Dijon et renvoyé l'affaire devant la Cour d'Appel de Besançon.

En l'état, sans attendre la décision de la Cour de renvoi, M. Millière, se prévalant de l'ordonnance du 30 mai 1975 dont l'exécution provisoire avait été prescrite, a requis le Conservateur de procéder à la radiation de l'inscription en cause et, sur le refus de notre collègue, l'a assigné devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Dijon, sur le fondement de l'art. 811 du nouveau Code de Procédure Civile.

Par une ordonnance du 6 juin 1977, ce magistrat a décidé que l'ordonnance du Juge d'instance du 30 mai 1975, exécutoire à titre provisoire, devait produire son entier effet et que le Conservateur devait, par suite, procéder à la radiation.

Notre collègue ayant interjeté appel de cette décision, la Cour d'Appel de Dijon, par un arrêt du 4 octobre 1977, a réformé l'ordonnance du 6 juin 1977 et déclaré " n'y avoir lieu, en l'état, à l'exécution provisoire sollicitée ".

Cet arrêt est ainsi motivé :

" Attendu que l'ordonnance du 30 mai 1975 ordonne la radiation de l'hypothèque provisoire et est assortie de l'exécution provisoire ; qu'un arrêt réformatif ayant été cassé, on se trouve en présence d'une ordonnance frappée d'appel - devant la Cour de Besançon - mais cependant assortie de l'exécution provisoire, nonobstant appel ; que Millière réclame la mise en oeuvre immédiate de cette exécution provisoire ;

" Attendu que les appelants considèrent que cette exécution provisoire se trouve inapplicable de droit, du fait du texte de l'article 2157 du Code Civil : " Les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet, ou en vertu d un jugement en dernier ressort ou passée en force de chose jugée ; qu'ils font observer à juste titre que ce texte n'établit aucune distinction entre les inscriptions définitives et les inscriptions provisoires ;

" Attendu que ce texte subordonne expressément la radiation à l'existence d'une décision passée en force de chose jugée ; qu'une controverse très sérieuse est née relativement à l'antinomie existant entre l'article 2157 du Code Civil précité et les articles 48 et suivants du Code de Procédure Civile (ancien) (R. Trim. D. Civil 1977, page 381);

" Attendu que si l'exécution provisoire est attachée de droit aux ordonnances de référé (art. 514 du Nouveau Code de Procédure Civile), ce qui exclut la compétence du Premier Président limitée par l'article 524 du Nouveau Code de Procédure Civile aux cas où elle a été " ordonnée ", il demeure certain que, concurremment avec le Magistrat saisi en vertu de l'article 811, la juridiction d'appel de droit commun, en l'espèce la Cour de Besançon, reste compétente pour écarter l'exécution provisoire dans les cas où elle est interdite par la loi ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives, selon les termes de l'article 524 applicables par analogie, compte tenu en outre de l'article 948 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

" Attendu qu'en l'espèce telle exécution provisoire - contraire à l'article 2157 du Code Civil - apparaît comme interdite par la loi ;

" " Attendu, d'autre part, que le seul doute très sérieux régnant sur ce point apparaît suffisant pour arrêter l'exécution provisoire, une décision de radiation étant de nature à entraîner en l'état des conséquences manifestement excessives pour l'Administration des Douanes; que celle-ci fait observer à juste titre que Millière fait l'objet de poursuites pénales en cours d'instruction et est inculpé de fraudes douanières, ce qui peut l'inciter, la radiation obtenue, à vendre ou hypothéquer ses immeubles sans délai, pour se rendre insolvable ; que Millière n'a pas encore, 6 mois après l'arrêt de cassation obtenu par lui, saisi la Cour de renvoi ; que si ses droits sont en péril, comme il le prétend céans, il lui est loisible de mettre en oeuvre sans plus tarder la procédure de l'article 948 du Nouveau Code de Procédure Civile - la même faculté appartenant d'ailleurs à l'Administration des Douanes - afin d'obtenir de la Cour de renvoi une décision sur le fond même de l'affaire ; qu'il apparaît au contraire qu'une mesure de radiation prise céans - sur l'appel de référé - serait une inelegantia juris en ce qu'elle risque sérieusement de retirer toute portée pratique à la procédure actuellement en cours à Besançon et de compromettre de façon irrémédiable les droits d'une des parties, dans des conditions d'autant plus anormales que l'article 948 du Nouveau Code de Procédure Civile procure à toutes les parties toutes garanties de célérité pour sauvegarder leurs droits. "

Observations. - La question posée à la Cour d'Appel de Dijon était celle de savoir si l'article 2157 du Code Civil fait obstacle à ce qu'une décision de justice ordonnant la radiation d'une inscription hypothécaire, soit exécutée avant d'être passée en force de chose jugée, même lorsque cette décision est déclarée exécutoire à titre provisoire.

L'arrêt rapporté s'est prononcé pour l'affirmative.

Plusieurs autres Cours d'Appel ont déjà statué dans le même sens (Pau, 30 avril 1974, Bull. A.M.C., art. 988 ; Aix-en-Provence, 1er octobre 1974, Bull. A.M.C., art. 1011 ; Paris, 17 novembre 1976, Bull. A.M.C., art. 1077 ; Paris, 20 janvier 1977, Bull. A.M.C., art. 1091).

Seul un autre arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 14 mars 1977 (Bull. A.M.C., art. 1102) a adopté l'opinion contraire. Cet arrêt fait actuellement l'objet d'un pourvoi en Cassation, de sorte que la Cour Suprême sera appelée prochainement à se prononcer sur la difficulté.

Annoter : C.L.M., 2° éd., n° 1372 ; Jacquet et Vétillard, V°, Jugement de radiation, n° 43 (p. 421 et 422).