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ARTICLE 1198

REMEMBREMENT RURAL.

Renouvellement des inscriptions.
Notification à un créancier inscrit omise. - Responsabilité.
Mise en cause du Conservateur.

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MEAUX (1° Ch.)
DU 2 JUILLET 1980

Faits. - Des immeubles dépendant d'une commune de Seine-et-Marne ont fait l'objet d'une opération de remembrement rural. L'un de ces immeuble était grevé d'une inscription de privilège de vendeur et d'hypothèque conventionnelle prise par une banque parisienne (la B.C.T.P.), pour sûreté d'une somme de 130.000 F.

Pour que les effets de cette inscription soient reportés sur l'immeuble attribué au débiteur en échange de l'immeuble originairement grevé, il aurait fallu, selon les dispositions de l'article 6 du décret n° 56-112 du 24 janvier 1956, que la banque créancière renouvelle ladite inscription dans les six mois de la clôture des opérations. De son côté, le président de la Commission communale de remembrement (en fait le Service du Génie Rural) aurait dû, conformément aux prescriptions de l'article 5 du même décret, notifier à la banque créancière qu'il lui appartenait de procéder à ce renouvellement.

En réalité, aucune notification n'a été faite et l'inscription n'a pas été renouvelée, de sorte qu'elle s'est trouvée périmée à l'expiration du délai de six mois suivant la clôture des opérations de remembrement.

En conséquence, lorsque, par la suite, l'immeuble attribué au débiteur par le procès-verbal de remembrement a été vendu sur les poursuites d'un autre créancier, la banque créancière n'a pas été appelée à participer à la distribution du prix.

Estimant que la responsabilité du défaut de notification, qui ne lui a pas permis de renouveler son inscription en temps utile, incombait au Conservateur des Hypothèques, du fait que celui-ci n'aurait pas adressé au Service du Génie Rural l'état préalable que celui-ci lui avait demandé, conformément aux prescriptions de l'article premier du décret précité du 24 janvier 1956, la banque a alors assigné notre collègue en réparation du préjudice que lui avait causé la perte de sa créance.

Statuant sur cette demande, le Tribunal de Grande Instance de Meaux a, par un jugement du 2 juillet 1980, reconnu qu'aucune faute ne pouvait être retenue à la charge du Conservateur et a, en conséquence, débouté la demanderesse.

Cette décision est ainsi motivée :

« Le décret n° 56-112 du 24 janvier 1956 prévoit, en cas d'opérations de remembrement, que le président de la Commission de remembrement doit requérir, à l'ouverture des opérations, le Conservateur des Hypothèques de lui délivrer dans les trois mois, les extraits, en tableau, des inscriptions d'hypothèques et de privilèges grevant les immeubles intéressés (article premier).

« Par ailleurs, il doit (article 2) le requérir de lui délivrer jusqu'à la date de clôture des opérations, des extraits complémentaires, les derniers extraits devant être délivrés au plus tard dans les 15 jours, qui suivent la date de la clôture des opérations.

« C'est en possession de ces états, qu'il appartient au président de la Commission communale de notifier aux créanciers inscrits révélés par les extraits délivrés la nécessité de procéder au renouvellement de leurs inscriptions (article 5).

« Or, en l'espèce, il est justifié par les pièces versées aux débats, que, par lettre du 30 janvier 1969, la Direction Départementale de l'Agriculture, Service du Génie Rural, a demandé au Conservateur des Hypothèques de Coulommiers les états d'inscription des privilèges ou hypothèques.

« En réponse, un état préalable relatif au remembrement de la commune de Lumigny a été adressé par le Conservateur des Hypothèques au Service du Génie Rural, état mentionnant les inscriptions prises an profit de la B.C.T.P.

« Ceci est établi par la comptabilité de la Conservation des Hypothèques qui révèle que les salaires afférents à la délivrance de ces extraits, ont été réclamés le 12 janvier 1970 et réglés, le 2 avril 1970 par le Génie Rural.

« Il est produit à cet égard divers documents datés du 17 septembre 1979 (état des sommes dues extrait du registre de surveillance, extrait du registre des recettes et salaires avec photocopie d'un bordereau).

« La date retenue dans la comptabilité est celle du 18 février 1969. Même en l'absence de production d'une lettre d'envoi, il doit donc être considéré comme acquis qu'à cette date les extraits préalables ont bien été adressés au Service du Génie Rural et que celui-ci, qui a payé les salaires, les a bien reçus.

« La date précitée est confirmée par les indications figurant sur l'état complémentaire délivré le 15 octobre 1969 par le Conservateur des Hypothèques et dans lequel il certifie que « depuis le 18 février 1969 », aucune inscription de privilège ou d'hypothèque n'a été prise.

« Les termes de cet état indiquent bien qu'il ne s'agit : que de l'état complémentaire prévu à l'article du 2 du décret du 24 janvier 1956 puisqu'il ne précise la situation qu'à compter du 18 février 1969. Cet acte ne saurait donc être reproché à M. Vidal.

« Il est certes produit photocopie d'une lettre du 31 décembre 1969 de l'ingénieur du Génie Rural à la Conservation des Hypothèques, lettre indiquant qu'aucun état n'était encore parvenu. Mais ce; document ne peut être retenu, alors que les salaires ont été payés et que si aucun état préalable n'avait été adressé, il n'y avait pas lieu à état complémentaire à compter du 18 février 1969 et que la clôture des opérations de remembrement ne devait pas être faite.

« En outre, le Service du Génie Rural a adopté par la suite une position différente, en écrivant le 18 novembre 1977 à la B C.T.P. ce qui suit :

«...il ressort des vérifications auxquelles j'ai fait procéder dans le dossier, que les opérations précitées n'ont donné lieu à l'établissement d'aucun bordereau de renouvellement hypothécaire. En effet, par note du 15 octobre 1969, dont vous trouverez ci-joint photocopie, le Conservateur des Hypothèques de Coulommiers me faisait savoir qu'il n'existait aucune inscription grevant les parcelles assujetties au remembrement de Lumigny et de ce fait l'inscription que vous venez de me signaler n'a pu, évidemment être renouvelée. »

« Cette lettre admet la réception par le Service du Génie Rural de la note du 15 octobre 1969 - mais qui n'est, d'après ses termes, qu'un état complémentaire à compter du 18 février 1969 - alors que d'après la lettre précitée du 31 décembre 1969, aucun état n'était parvenu.

« Les considérations ci-dessus établissent dès à présent l'absence de toute faute de la part de M. Vidal.

« En conséquence, la responsabilité du Conservateur des Hypothèques, prévue à l'article 2197 du Code Civil, ne pouvant être recherchée en l'espèce, la B.C.T.P. doit être déboutée de tous ses chefs de demande. »

Observations. - Ainsi qu'il est rappelé dans l'exposé des faits, c'est au président de la Commission communale de remembrement (en fait, le Service du Génie Rural) que le décret du 24 janvier 1956 impose la charge de notifier aux créanciers inscrits sur les immeubles compris dans le remembrement l'obligation qui leur est faite de renouveler leur inscription pour que l'effet de celle-ci soit reporté sur le nouvel immeuble attribué à leur débiteur.

Normalement, par conséquent, c'est au président de la Commission que le créancier, auquel la notification n'a pas été faite, doit demander réparation du dommage qu'il a subi de ce fait.

Si le défaut de notification est la conséquence d'une faute du Conservateur qui n'a pas délivré l'état préalable requis par le président de la Commission (ou par le Service du Génie Rural agissant pour son compte), la réparation de cette faute doit faire l'objet d'une action récursoire engagée par le président de la Commission contre le Conservateur.

Dans l'espèce actuellement en cause, la société demanderesse a choisi une autre voie. Faisant valoir que, si le président de la Commission ne lui a pas notifié l'obligation où elle se trouvait de requérir le renouvellement de son inscription, la responsabilité en incombait au Conservateur des Hypothèques qui ne lui avait pas délivré l'état des charges grevant les immeubles compris dans le remembrement qu'il lui avait demandé, elle a assigné directement ce dernier en réparation du préjudice subi.

On pouvait se demander si une telle action était recevable, en l'absence de tout lien de droit entre la demanderesse et le Conservateur.

A ce sujet, il faut considérer qu'il a été reconnu que la responsabilité encourue par le Conservateur, lorsqu'il refuse l'exécution d'une formalité ou s'abstient de déférer à une réquisition d'état, est une responsabilité, non pas contractuelle, mais délictuelle, qui peut être mise en cause par toute personne à qui la faute a causé un préjudice (Précis Masounabe-Puyanne, 2; éd., n° 2044).

Il a dès lors été possible d'admettre, dans l'espèce actuelle, que la B.C.T.P. a pu valablement engager une action directe contre le Conservateur.

Ceci étant, le tribunal n'était appelé à statuer que pour une question de fait : celle de savoir si le Conservateur avait effectivement envoyé au Service du Génie Rural l'état préalable au remembrement requis par ce Service.

Il l'a résolu par l'affirmative et a en conséquence débouté la demanderesse.

S'il avait statué en sens contraire, la décision n'aurait pas eu, à notre avis, pour conséquence de dégager entièrement la responsabilité du président de la Commission et d'entraîner la mise à la charge exclusive du Conservateur de la réparation du préjudice.

Celui-ci n'aurait pas été, en effet, la conséquence inévitable du défaut de délivrance de l'état préalablement requis.

Dès lors que c'est au président de la Commission qu'est imposée l'obligation de faire aux créanciers inscrits la notification prévue à l'article 5 du décret du 24 janvier 1956, il lui appartient de faire toutes les diligences nécessaires pour être en mesure de procéder, le cas échéant, à cette notification.

Dans l'espèce actuellement en cause, le Service du Génie Rural (agissant pour le compte du président de la Commission) aurait, par une lettre du 31 décembre 1969, fait savoir au Conservateur qu'il n'avait pas reçu l'état préalable requis le 30 janvier précédent. Mais cette lettre, qui ne paraît pas être parvenue à la Conservation, est restée sans réponse et le Génie Rural s'en est tenu à ce rappel.

En réalité, il aurait dû entreprendre d'autres démarches. Il aurait pu, par exemple, prendre contact avec le Conservateur par téléphone ou saisir de la difficulté le directeur des Services Fiscaux dont dépend la Conservation. En tout cas, il aurait dû s'abstenir de procéder à la clôture des opérations de remembrement avant d'être, complètement informé de la situation hypothécaire des immeubles compris dans le remembrement et d'avoir ainsi la certitude qu'il n'existait aucune inscription au titulaire de laquelle devait être faite la notification, qui lui incombait.

En procédant de cette manière, il aurait eu finalement connaissance de l'existence de l'inscription profitant à la B.C.T.P. Il aurait ainsi pu faire à celle-ci la notification dont le défaut a motivé l'action en responsabilité et celle-ci aurait été évitée.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 453 A (feuilles vertes) et 547 IV A (feuilles vertes).