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ARTICLE 1295

PROCEDURE.

Rejet de formalité. - Recours contre la décision du Conservateur .
Action intentée par le signataire du certificat d'identité. - Recevabilité.

PUBLICITE FONCIERE.

Rejet de formalité. - Formalité comportant une cause de rejet.
Modalités de la régularisation.
Ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Quimper du 21 février 1983.

Faits. - Le 12 août 1981 a été requise l'inscription d'un privilège de prêteur de deniers au profit d'une caisse de Crédit Agricole.

Dans le bordereau de cette inscription, la commune sur le territoire de laquelle étaient situés les immeubles grevés était inexactement dénommée. En conséquence, le conservateur a engagé une procédure de rejet au moyen de la notification de l'inexactitude au notaire signataire du certificat d'identité, le 1er septembre 1981.

A la suite de cette notification, le notaire a proposé la rectification matérielle du bordereau, procédé qui a été refusé. Il a alors déposé, le 25 septembre 1981, un nouveau bordereau reproduisant les énonciations du précédent, sauf en ce qui concerne la désignation de la commune où étaient situés les immeubles grevés, qui a été exactement dénommée.

Ce nouveau bordereau ne renfermant aucune référence au précédent et contenant tous les éléments d'une inscription indépendante, le conservateur a estimé que la nouvelle inscription devait être considérée isolément et qu'elle n'était pas rectificative de la première. En conséquence, à l'expiration du délai d'un mois suivant la notification de l'inexactitude constatée dans le bordereau de l'inscription du 12 août 1981 il a notifié le rejet définitif de cette inscription.

Contestant la légitimité de ce rejet, le notaire a assigné le Conservateur devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Quimper pour faire juger que l'inscription du 12 août 1981 avait été régulièrement rectifiée par celle du 25 septembre suivant et qu'elle devait de ce fait prendre date le 12 août 1981.

En réponse à cette assignation, le Conservateur a tout d'abord prétendu que la demande présentée par le notaire était irrecevable pour défaut d'intérêt, il a ensuite maintenu sa position au sujet de la régularité du rejet.

Par une ordonnance du 21 février 1983, le Président du Tribunal de Grande Instance de Quimper a déclaré l'action du notaire recevable, mais non justifiée sur le fond.

Sur les deux points, cette ordonnance est ainsi conçue :

1er Sur " la qualité du notaire pour agir " : " Attendu que l'article 26 du décret du 4 janvier 1955 dispose : En cas de rejet d'une formalité de publicité par application des articles 2148,2149 et 2154 nouveaux du Code Civil, le recours de la partie intéressée contre la décision du Conservateur des hypothèques est porté, dans les huit jours de la notification de cette décision devant le président du Tribunal de Grande Instance... ".

" Que l'article 2148 du Code Civil édicte notamment que chacun des bordereaux remis au Conservateur des hypothèques à fin d'inscription de privilège contient : " 5° la désignation, conformément au premier et troisième alinéas de l'article 7 du décret du 4 janvier 1955, de chacun des immeubles sur lesquels l'inscription est requise " et que si le Conservateur, après avoir accepté le dépôt, constate une discordance entre, d'une part, les énonciations relatives à la désignation des immeubles contenues dans le bordereau et, d'autre part les mêmes énonciations contenues dans les bordereaux ou titres déjà publiés depuis le 1er janvier 1956, la formalité est rejetée, à moins que le requérant ne régularise le bordereau ou qu'il ne produise les justifications établissant son exactitude, auxquels cas la formalité prend rang à la date de la remise du bordereau constatée au registre des dépôts ;

" Attendu que l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 détermine les modalités à appliquer en cas de discordance ou d'inexactitude ;

" Qu'il indique en particulier que dans le cas de dépôt de bordereau rectificatif par le signataire du certificat d'identité, la publicité du bordereau originaire prend effet à la date de dépôt pour toutes les énonciations non entachées d'erreur, celle du bordereau rectificatif prenant effet à la date de son propre dépôt ;

" Attendu que pour toutes les formalités afférentes à l'inscription des privilèges dont il s'agit... ont eu pour seuls auteurs et seuls interlocuteurs le notaire, d'un part, le Conservateur des hypothèques d'autre part ;

" Attendu que M' L..., rédacteur de l'acte de vente du 28 juillet 1981, a évidemment reçu pour mission d'accomplir toutes les formalités se rattachant au prêt consenti par le Crédit Agricole et de les mener à biens... ;

" Que, se heurtant pour ce faire au Conservateur des hypothèques et disposant d'un délai de huit jours pour réagir contre les notifications qui lui ont été faites en tant que rédacteur et signataire des formalités en cause, il est bien intéressé et donc parfaitement recevable à saisir lui-même le Président du Tribunal de Grande Instance sur le fondement, notamment, de l'article 26 du décret du 4 janvier 1955 pour lui demander de trancher le différend dans lequel est engagée et peut être recherchée sa responsabilité ".

2° Sur le fond : " Attendu que, sans qu'il soit besoin de reprendre ce qui a été exposé par les parties et rappelé ci-dessus dans le cadre de la recevabilité de l'action du notaire, il ressort de l'examen de la situation et de l'étude des textes qu'il ne saurait être considéré que, s'agissant d'un point aussi essentiel pour l'inscription du privilège de prêteur de deniers sur un immeuble que la désignation individuelle de cet immeuble et fondamentalement l'indication de la commune dans laquelle il est situé, le signataire du certificat d'identité puisse se contenter de " compléter " le bordereau ou de représenter " les pièces justifiant l'exactitude des références à la formalité antérieure ou des énonciations relatives à la désignation des parties ou des immeubles " pour permettre au Conservateur de procéder dans les conditions ordinaires à l'exécution de la formalité qui aurait pris rang à la date du dépôt ;

" Attendu que seul pouvait et devait être déposé un bordereau rectificatif et dans ce cas - toujours conformément à l'article 34-3 du décret du 14 octobre 1955 - la publicité du bordereau originaire prenant effet à la date du dépôt pour toutes les énonciations non entachées d'erreurs, celle du bordereau rectificatif ne pouvant prendre effet qu'à la date de son dépôt, soit le 25 septembre 1981 ;

" Attendu cependant que le bordereau déposé ce jour-là à la conservation des hypothèques par M' L..., ne faisant aucunement mention du bordereau originaire, n'indiquant pas formellement qu'il était " rectificatif " et se suffisant à lui-même, ne peut prendre rang en son entier au 25 septembre 1981 ;

" Que par voie de conséquence la demande de M' L... tendant à voir ordonner la publication au 12 août 1981 de ce bordereau ne peut qu'être rejetée, étant observé à toutes fins, d'une part, qu'aucune inscription n'a été prise entre le 12 août 1981 et le 25 septembre, d'autre part, qu'en vertu de l'article 2108 d

le privilège prend rang à la date de la vente, 28 juillet 1981, puisque l'inscription a en définitive été prise dans un délai de deux mois à compter de l'acte de vente "

Observations. - I. Le notaire qui a dressé un acte sujet à publicité est sans qualité, faute d'intérêt personnel, pour poursuivre en justice, de son propre chef, l'accomplissement de la formalité (Rapp. : Jacquet et Vétillard, V° jugement de radiation, n° 58). C'est l'application de la maxime : " Nul ne plaide par procureur " (Japiot, Traité de Procédure Civile, n° 71).

Son action est en revanche recevable lorsqu'elle est exercée en vertu d'un mandat consenti à cet effet par la ou les parties intéressées ou résultant d'une disposition législative ou réglementaire.

Il en est ainsi en particulier lorsqu'une inexactitude ou une discordance constatée dans un acte soumis à publicité a motivé l'ouverture d'une procédure de rejet et où la décision de rejet a été notifiée au notaire pris en qualité de signataire du certificat d'identité.

En exécution des prescriptions du septième alinéa du n° 3 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955, c'est en effet au signataire du certificat d'identité que cette notification doit être faite. Il en résulte nécessairement que le signataire est habilité à contester, le cas échéant, la légitimité de ce rejet.

Par conséquent, dans le cas particulier qui fait l'objet de l'ordonnance rapportée, le notaire, signataire du certificat d'identité, auquel avait été notifiée la décision de rejet, a pu valablement engager une action en justice contre le conservateur pour contester le bien-fondé du rejet.

Il faut ajouter qu'un notaire, de même qu'un avocat, un huissier ou une autorité administrative, serait également fondé à poursuivre en justice la publication des actes et décisions judiciaires visés à l'article 28 du décret du 4 janvier 1955 et dressés par lui ou avec son concours, étant donné que l'article 32 de ce décret lui fait une obligation d'assurer cette publication.

II. - Sur le fond, le litige soumis au Président du Tribunal de Grande Instance de Quimper posait deux questions : 1° L'inexactitude relevée pouvait-elle être réparée au moyen d'une rectification matérielle du bordereau ? 2° Le nouveau bordereau déposé à la suite de la notification de l'inexactitude pouvait-il être considéré comme " rectificatif " du précédent alors qu'il ne renfermait aucune référence à ce dernier.

Sur ces deux points, l'affaire appelle les observations suivantes :

a) Aux termes du 4° alinéa du n° 3 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955, dans le cas où une inexactitude ou une discordance relevée lors du dépôt d'un bordereau d'inscription ou d'un acte soumis à publicité a motivé l'ouverture d'une procédure de rejet, le signataire du certificat d'identité doit :

- si l'irrégularité affecte la ou les formalités antérieures, représenter les pièces justificatives de l'exactitude des énonciations de la nouvelle formalité requise ;

- si l'irrégularité affecte cette nouvelle formalité, ou bien compléter le bordereau d'inscription, ou bien déposer un bordereau ou document rectificatif.

Au cas actuellement considéré, l'irrégularité signalée affectait la formalité nouvellement requise et non une formalité antérieure. Il s'agissait, par ailleurs, non pas de " compléter " un bordereau d'inscription, mais de réparer l'inexactitude dont il était entaché. La régularisation ne pouvait dès lors être effectuée qu'au moyen du dépôt d'un bordereau rectificatif.

C'est ce qu'a décidé l'ordonnance rapportée.

b) La question de savoir si le nouveau bordereau déposé en vue de la réparation d'une inexactitude ou d'une discordance constatée dans un précédent bordereau peut être considéré comme un " bordereau rectificatif " lorsqu'il ne se réfère pas au premier bordereau, a été examinée dans l'article 1203 du Bulletin. Nous avons exprimé l'avis que la difficulté devait être résolue dans chaque cas d'après les circonstances particulières de l'affaire, en observant au surplus que c'était au juge aux ordres qu'il appartenait de prendre parti.

En réalité, le conservateur prend nécessairement parti lorsqu'il prononce le rejet parce qu'il lui apparaît que le bordereau affecté par l'inexactitude ou la discordance ne peut pas être considéré comme ayant été rectifié.

En fait, dans le cas particulier visé dans l'ordonnance, le Conservateur avait estimé que, du seul fait de l'absence de référence du second bordereau au premier, l'inexactitude contenue dans celui-ci n'avait pas été rectifiée par le second bordereau et le Président du Tribunal a approuvé cette appréciation.

Cette décision est en réalité sans conséquence. Le 4° alinéa du n° 3 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 dispose, en effet, que, dans le cas de dépôt d'un bordereau ou document rectificatif, " la publicité du bordereau ou document originaire prend effet à la date du dépôt pour toutes les énonciations non entachées d'erreurs, celle du bordereau ou document rectificatif prenant effet à la date de son propre dépôt ", de sorte que, dans l'espèce actuelle, même si le second bordereau avait pu être considéré comme rectificatif du premier, la formalité n'aurait pas moins pris effet, en ce qui concerne la rectification, à la date de ce second bordereau seulement et non à celle du premier bordereau, comme le prétendait le demandeur.

Il faut également observer, comme l'a fait l'ordonnance rapportée, qu'en fait aucune inscription n'a été requise dans la période comprise entre le dépôt des deux bordereaux et, par ailleurs, que, s'agissant d'une inscription de privilège de prêteur de deniers, les deux bordereaux ont été déposés dans le délai de deux mois de l'acte de vente, de sorte que, en toute hypothèse, conformément à l'article 2108 du Code Civil, le privilège a pris rang à la date de la vente.

Il était dès lors sans intérêt de rechercher si le second bordereau pouvait ou non être considéré comme rectificatif du premier. L'instance était par suite dépourvue de toute utilité pratique.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 490 A, n, II (feuilles vertes).