Retour

ARTICLE 1333

RADIATIONS.

Liquidation de biens.
Vente d'un immeuble moyennant un prix payable à terme.
Jugement du Tribunal de Commerce, devenu définitif autorisant le syndic à donner mainlevée sans payement de l'hypothèque de la masse.
Refus du Conservateur injustifié.

Faits. - Autorisé par jugement du Tribunal de Commerce du 23 mars 1982, le syndic à la liquidation des biens de la société Sauvagnat a vendu à forfait les actifs de cette société, moyennant un prix payable en quinze annuités. Cette cession a té homologuée par un jugement du 28 mai 1982.

Un nouveau jugement du 16 juillet 1982, rendu à la requête du syndic, l'a autorisé à donner mainlevée de l'hypothèque inscrite au nom de la masse des créanciers le 29 avril 1979. Le Conservateur des hypothèques a refusé de procéder à la radiation de cette inscription, au vu de l'acte notarié dressé à cet effet le 15 septembre 1982, au motif que, faute d'avoir recouvré la totalité du prix de vente, le syndic n'avait pas qualité pour donner mainlevée, alors, d'autre part, que le jugement d'habilitation avait été rendu hors de la présence des créanciers.

Le 13 juillet 1983, le Président du Tribunal de Grande Instance statuant en référé, sur requête des acquéreurs, ordonne à notre Collègue de satisfaire sans délai à la réquisition de radiation. Il fait appel.

Une deuxième ordonnance rendue le 23 août 1983 prononce une astreinte de 1.000 F par jour de retard apporté à l'exécution de l'ordonnance de référé du 13 juillet 1983. Notre collègue fait appel.

Une troisième ordonnance rendue le 20 septembre 1983, toujours à la requête des acquéreurs, liquide l'astreinte provisoire à 20.000 F et élève le taux de la nouvelle astreinte à 5.000 F par jour de retard. Nouvel appel.

Le ·18 novembre 1983 la cour d'appel de Riom rend trois arrêts : les deux premiers confirment les ordonnances des 13 juillet et 23 août 1983 et le troisième confirme celle du 20 septembre 1983, sauf en ce qui concerne la liquidation de l'astreinte, ramenée à 10.000 F.

Chaque arrêt a fait l'objet d'un pourvoi en cassation de la part du conservateur. Les trois pourvois ont été rejetés par la Cour de Cassation. le 10 juillet 1985 (3° chambre civile, n° 1009 p, 1010 s et 1011 s).

Les motifs du premier arrêt de la Cour de Cassation sont ainsi conçus :

" Attendu que M. Delros, conservateur des hypothèques, fait grief à cette décision (Riom. 18 novembre 1983), d'avoir fait droit à cette demande de radiation alors selon le moyen " que le refus opposé par le conservateur à une demande de radiation de l'hypothèque légale de la masse ne relève pas de la compétence du juge des référés ; que si l'article 26 du décret du 4 janvier 1955 institue une procédure spéciale attribuant compétence à cette juridiction pour connaître de la décision du conservateur en cas de rejet de la formalité en application des articles 2148, 2149 et 2154 du Code Civil, le refus opposé par le conservateur à une demande en radiation de l'hypothèque légale de la masse ne relève pas de ce texte, qui restreint expressément le recours au rejet de la formalité à l'exclusion de la radiation des inscriptions prévue à l'article 2157 du Code Civil ; qu'ainsi la Cour d'Appel, statuant en référé a, par sa décision, excédé ses pouvoirs et alors, en outre, qu'il n'y avait pas en la cause difficulté d'exécution d'un jugement ou d'un titre exécutoire justifiant la compétence du juge des référés sur le fondement de l'article 811 du nouveau Code de procédure civile; que de ce nouveau chef, la Cour d'Appel, statuant en référé, a violé ce texte et excédé ses pouvoirs " ; et alors, selon le deuxième moyen, " que le syndic, même autorisé par le Tribunal de Commerce, n'a pas capacité pour donner mainlevée de l'hypothèque légale de la masse en l'absence de paiement total du prix de vente des immeubles sur lesquels cette hypothèque était inscrite ; qu'il était, en l'espèce; constant que les immeubles grevés de l'hypothèque légale de la masse avaient été vendus à forfait moyennant un prix payable en quinze annuités à compter du 1er mai 1983 ; que ce prix n'avait donc pas été recouvré lors de la réquisition de radiation du syndic ; qu'en ordonnant cependant à M. Delros de satisfaire à cette réquisition, la Cour d'Appel a violé les articles 88 et 89 de la loi du 13 juillet 1967 et l'article 2157 du Code Civil ".

" Mais attendu que si le conservateur des hypothèques doit vérifier la capacité et les pouvoirs de celui qui requiert la radiation d'une inscription hypothécaire, l'obligation qui lui est ainsi faite ne lui permet pas de faire obstacle à une décision judiciaire définitive conférant au requérant la capacité de disposer ; que la Cour d'Appel, qui n'a pas fait application de l'article 26 du décret du 4 janvier 1955, et qui statue au vu d'un jugement du 16 juillet 1982, constatant que la cession de l'actif immobilier a été faite par le syndic régulièrement habilité à procéder à cette cession en vertu d'un jugement du 23 mars 1982, a, sans violer l'article 811 du Nouveau Code de procédure civile, légalement justifié sa décision. "

Dans les pourvois se rapportant aux astreintes, notre collègue faisait valoir que le conservateur qui résiste de bonne foi et avec des motifs sérieux à une demande en radiation ne fait que satisfaire aux obligations que lui imposent les articles 2157 et 2158 du Code Civil; qu'il ne saurait donc être condamné sous astreinte à opérer la radiation litigieuse, alors que la cour d'appel ne constate pas qu'il ait agi abusivement et avec mauvaise foi (2° pourvoi) ou constate expressément que le refus de radiation résulte d'un excès de scrupule et non de la mauvaise foi (3° pourvoi). La Cour de Cassation a cependant estimé que la Cour d'Appel a usé du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de l'article 491 du nouveau Code de procédure civile en prononçant soit une astreinte provisoire pour assurer l'exécution d'une précédente décision (2° arrêt) soit une nouvelle astreinte provisoire en liquidant le montant de l'astreinte antérieure (3° arrêt).

Observations : I. - Les syndics d'une liquidation de biens, qui n'ont que les pouvoirs d'administration, ne sont habilités à donner mainlevée d'une inscription hypothécaire que lorsque l'hypothèque inscrite est éteinte, soit par suite du paiement de la créance conservée, soit pour tout autre motif (Jacquet et Vétillard, V° faillite et liquidation judiciaire, n° 25 et 42 ; Chambaz et Masounabe, 2° édition n° 1041 et 1046 ; Bull. A.M.C. articles 402, pages 3 et 4, 682 et 733).

La cour de cassation ne se prononce pas sur ce point. Elle précise pourtant qu'une décision judiciaire a conféré au syndic la capacité de disposer ce qui revient à admettre implicitement mais nécessairement que, sans cette capacité de disposer, le syndic était sans qualité pour donner mainlevée, faute d'avoir encaissé la totalité du prix.

II. - Qu'en est-il lorsque le tribunal de Commerce, à la seule requête du syndic et hors la présence des créanciers, autorise le requérant à donner mainlevée sans paiement ? L'opinion a toujours prévalu que cette circonstance ne change rien à l'affaire. L'autorisation du Tribunal ne peut en effet conférer au syndic des pouvoirs plus étendus que ceux que comporte l'accomplissement normal de sa mission et, par suite, l'habiliter à donner mainlevée sans constatation de paiement (Bull. A.M.C., article 1227). Il n'en serait autrement que si le jugement était rendu en présence de tous les créanciers " parties intéressées " au sens de l'article 2157 du Code Civil (Bull. A.M.C., articles 691 et 1230).

La Cour Suprême ne se prononce pas davantage sur ce point. Elle se place sur un autre terrain, celui du respect de la chose jugée. En l'espèce, ce que la Cour censure, c'est le refus du Conservateur de déférer à une décision de justice définitive, à savoir le jugement du tribunal de commerce du 16 juillet 1982, non frappé d'appel dans les délais légaux, habilitant le syndic à donner mainlevée de l'hypothèque légale de la masse (telle est bien la portée du jugement du 16 juillet 1982 et non, comme l'indique la Cour, la constatation que le syndic était régulièrement habilité à procéder à la cession).

On peut penser qu'on se trouve en présence d'une décision de principe déniant aux conservateurs des hypothèques le droit de contester le bien fondé d'une décision de justice passée en force de chose jugée. Cette opinion s'appuie notamment sur la sévérité dont fait preuve la Cour en maintenant intégralement les lourdes astreintes prononcées.

III. - Il est conseillé aux Conservateurs des Hypothèques de procéder à la radiation de l'hypothèque de la masse chaque fois qu'un jugement du Tribunal de Commerce aura autorisé le syndic à en donner mainlevée sans constatation le paiement, sous réserve qu'un certificat de non-appel atteste le caractère définitif du jugement.

Il est enfin rappelé que, par application de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, l'hypothèque de la masse des créanciers n'existe plus pour les procédures de règlement collectif ouvertes après Je 1er janvier 1986.

Observations. - V. Bull. A.M.C. art. 402, 682, 691, 733, 1227.

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Faillite et Liquidation judiciaire, n° 25 et 42 ; C.M.L. 2° éd., n° 1041 et 1046.