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ARTICLE 1336

SAISIE.

Prorogation. - Nécessité d'un jugement l'ordonnant expressément.
Péremption. - Acquise automatiquement à l'expiration du délai triennal sans qu'un jugement la constatant soit nécessaire.

Première espèce. - Cour d'Appel de Poitiers : arrêt n° 768 du 18 septembre 1985 (devenu définitif).

" Faits. - Un premier créancier fait délivrer le 29 mai 1980 un commandement valant saisie à l'encontre de son débiteur, publié le 28 août 1980.

Un jugement rendu le 17 novembre 1981 par le Tribunal de Grande Instance de La Roche-sur-Yon subroge la C.A.N.C.A.V.A. au créancier poursuivant; ce jugement est mentionné en marge de la saisie le 24 novembre 1981.

Par jugement rendu par le même Tribunal le 20 septembre 1983, devenu définitif un troisième créancier est débouté de sa demande en subrogation à la C.A.N.C.A.V.A. au motif que la péremption du commandement au 29 mai 1980 était acquise, faute de prononcé d'un jugement d'adjudication ou de prorogation des effets du commandement dans le délai de trois ans de sa publication. Ce jugement n'est pas mentionné en marge de la saisie.

Le troisième créancier fait alors signifier un second commandement le 30 mai 1984 sur les mêmes biens, commandement dont le Conservateur refuse la publication le 6 juillet 1984 au motif que le jugement de subrogation du 17 novembre 1981 prorogeait les effets du commandement initial et que la péremption ne pouvait intervenir que le 24 novembre 1984, date d'expiration du délai de trois ans écoulé après publication du jugement de subrogation du 17 novembre 1981

Motifs. - " Attendu qu'il importe d'observer, dès l'abord, que le jugement du 20 septembre 1983 susvisé rendu à la requête de la Société Roux en présence du créancier poursuivant à l'origine, de la C.A.N.C.A.V.A. et du saisi est irrévocable, dès lors qu'il n'a pas été frappé du seul recours admis selon les dispositions de l'article 731 du Code de Procédure Civile; que son autorité de chose jugée s'impose à toutes parties ainsi qu'au Conservateur des Hypothèques ;

Que cette décision devait faire l'objet d'une publicité par mention en marge de la copie du commandement valant saisie à la Conservation des Hypothèques selon les dispositions de l'article 80-7° du décret du 14 octobre 1955 ;

Que la Société Roux, ayant négligé de procéder à cette formalité, il ne saurait être imputé à faute au Conservateur d'avoir opposé un refus à la demande de publication du second commandement, dans l'ignorance où il se trouvait du dispositif de la décision du 20 septembre 1983 constatant la péremption du premier commandement ;

Qu'il appartient ainsi à la Société Roux de réparer, pour la sauvegarde de ses intérêts, cette omission par le dépôt à la Conservation d'une expédition du jugement du 20 septembre 1983 sur la base duquel elle pourra requérir la publication de son commandement, étant observé que le refus de publier par un conservateur interrompt le délai de publication prévu par les dispositions de l'article 674, al. 3 du Code de Procédure Civile ;

Que le présent litige prenant sa source dans la négligence de la Société Roux, cette dernière doit être condamnée aux dépens.

La Cour,

Vu le jugement irrévocable du Tribunal de Grande Instance de Fontenay-le-Comte du 20 septembre 1983 ayant constaté la péremption du commandement publié à la Conservation des Hypothèques de ladite ville, le 28 août 1980, volume 73-78 à la requête de la Société " Les Fils de Veillon-Ainé ".

Dit que la Société Roux devra déposer une expédition dudit jugement à la Conservation susvisée pour la mention prévue par l'article 80-7 du décret du 14 octobre 1955 ;

Dit que la Société Roux pourra requérir du Conservateur des Hypothèques de Fontenay-le-Comte la publication de son commandement du 30 mai 1984,

Condamne ladite Société aux dépens. "

Deuxième espèce. - Tribunal de Grande Instance de Pau. Jugement sur incident rendu, en dernier ressort, le 7 août 1985, n° 3683/85.

" Faits. - En marge d'un commandement de saisie publié le 7 janvier 1981, il a été mentionné, le 10 février 1983, un jugement rendu le 17 décembre 1982 par le Tribunal de Grande Instance de Pau subrogeant la Banque Pouyanne dans les droits du Comptoir des Entrepreneurs et de l'Union de Crédit pour le Bâtiment.

Considérant que ledit Jugement de subrogation emportait prorogation de la validité de la saisie jusqu'au 10 février 1986, le Conservateur a refusé le 2 janvier 1985 de publier un nouveau commandement délivré le 17 octobre 1984 par le Comptoir des Entrepreneurs qui était présenté à la formalité dans le délai de 90 jours prévu par l'article 674 du Code de Procédure Civile (ancien).

Ce nouveau commandement n'a été publié que le 2 avril 1985.

Motifs. - Sur la prorogation des effets de commandement :

Attendu qu'il résulte de l'article 694 du Code de Procédure Civile Ancien que le commandement publié cesse de produire effet si dans le 3 ans de sa publication il n'est pas intervenu... un jugement prorogeant le délai de l'adjudication, mentionné en marge de la copie du commandement publié au Bureau des Hypothèques;

Attendu que cet article vise expressément la nécessité d'un jugement de prorogation ;

Attendu que cette interprétation est d'ailleurs confirmée par l'arrêt de la Cour de Cassation susvisé du 3 octobre 1973, ayant cassé un arrêt précisant que le jugement d'adjudication, intervenu peu avant l'expiration des 3 ans, aurait porté en lui-même autorisation de prorogation du délai ;

Que la Cour de Cassation déclarait qu'en statuant ainsi la Cour d'Appel avait violé l'article 694 du Code de Procédure Civile Ancien ;

Attendu par ailleurs qu'il résulte de la doctrine (formulaire analytique de procédure fascicule 19) qu'il ne peut y avoir de prorogation si elle n'est pas expressément demandée et ordonnée;

Que la prorogation ne saurait en particulier résulter implicitement d'un jugement de subrogation n'ayant pas eu à statuer à cet égard ;

Attendu que c'est donc par erreur que M. le Conservateur des Hypothèques de Pau a assimilé le jugement de subrogation en date du 7 décembre 1982, à un jugement de prorogation des effet du commandement ;

Que d'ailleurs il y a lieu de rappeler que la prorogation du délai d'adjudication peut être de 3 ans au maximum, les juges devant apprécier la duré de cette prorogation dans le cadre de cette limite ;

Sur la péremption du commandement :

Attendu qu'aux termes du même article 694 du Code de Procédure Civile Ancien au jour de la mention de la notification prescrite par l'article 689, la saisie ne peut plus être rayée que du consentement des créanciers inscrits ou en vertu d'un jugement qui leur soit opposable :

Que toutefois le commandement publié cesse de produire effet si dans les 3 ans de sa publication il n'est pas intervenu une adjudication... ou un jugement prorogeant le délai de l'adjudication;

Attendu qu'il apparaît donc que les effets du commandement cessent de plein droit si les cas prévus par l'article 694 susvisé se présentent ;

Qu'une décision de justice n'est pas nécessaire pour constater cette péremption ;

Attendu qu'il résulte de la doctrine (même référence que ci-dessus) que la péremption de la saisie n'est pas une prescription ; qu'il s'agit d'une caducité pure et simple de la saisie. Qu'elle s'opère de façon automatique à l'expiration du délai triennal ;

Que par suite contrairement à la péremption d'instance en matière civile la péremption de la saisie n'a pas à être demandée au Tribunal ni prononcée par lui ;

Attendu qu'il résulte encore de l'ouvrage de M. Jean Vincent (précis Dalloz, voies d'exécution) que le conservateur n'aurait pas le droit d'exiger un jugement de mainlevée de la saisie, les effets de cette dernière cessant de plein droit à l'expiration du délai triennal ;

Attendu qu'il résulte donc de l'ensemble de ces explications, que le commandement publié le 7 janvier 1981, volume 9 S, n° 44, n'a jamais été prorogé dans ses effets, et était périmé, à la date du 2 avril 1985, le jugement de péremption en date du 21 décembre 1984 étant superfétatoire ;

Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement en matière civile ordinaire, en dernier ressort et sur rapport en sa formation de Juge unique.

Vu l'article 694 du Code de Procédure Civile Ancien;

Dit que les effets des commandements publiés ne peuvent être prorogés que par un jugement le précisant expressément ;

Dit que la péremption du commandement publié est acquise, dans les termes de l'article 694 du Code de Procédure Civile Ancien, sans qu'un jugement la constatant ne soit nécessaire ;

Déclare valable le commandement délivré par le Comptoir des Entrepreneurs aux époux Lamothe, le 17 octobre 1984, commandement publié à la Conservation des Hypothèques, le 2 avril 1985 ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de poursuites, sous réserve par la partie la plus diligente, de faire statuer par la juridiction compétente, sur l'imputation définitive de ces derniers;

Renvoie l'adjudication au 20 décembre 1985, à 14 h 3o. "

Observations. - Dans les deux espèces, le litige a pris naissance à la suite d'un refus de publier un second commandement de saisie sur les mêmes biens opposé par le Conservateur estimant que la validité du premier commandement, qui avait fait l'objet dune mention de jugement de subrogation, était prorogée pour une nouvelle période de trois ans ayant commencé à courir à compter de la date de la mention dudit jugement.

Liminairement, la prolongation du délai de 90 jours prescrite au troisième alinéa de l'article 674 du Code de Procédure Civile Ancien, telle qu'elle est définie au quatrième alinéa du même article, est rappelé, implicitement dans la première espèce, expressément dans la deuxième espèce ; elle n'appelle aucune observation.

La Cour de Poitiers s'est abstenue de trancher au fond sur l'interprétation, extensive, semble-t-il, du troisième alinéa de l'article 694 du Code de Procédure Civile Ancien par le Conservateur.

Elle a simplement ordonné, dès l'instant où un jugement devenu définitif avait antérieurement constaté la péremption du premier commandement, la mention dudit jugement en marge de la saisie périmée et la publication du second commandement.

Le Tribunal de Grande Instance de Pau est allé plus loin dans l'interprétation des dispositions du troisième alinéa de !'article 694, mais son interprétation est restrictive.

Selon lui, il ne peut y avoir de prorogation si elle n'est pas demandée et ordonnée, les juges ayant un pouvoir d'appréciation du délai de prorogation dans le cadre de la limite maximum de trois ans.

S'il ne se prononce pas sur les effets de la mention, en marge du commandement, d'un jugement d'adjudication, il ce réfère à un arrêt de la Cour de Cassation du 3 octobre 1973 qui dénie à cette mention tout pouvoir de prorogation de validité de la saisie.

Il estime, au surplus, que les effets du commandement cessent de plein droit, dans les cas prévus par l'article 694 susvisé et que, contrairement à la péremption d'instance en matière civile, la péremption de la saisie n'a pas être demandée au Tribunal et qu'une décision de justice n'est pas nécessaire pour constater cette péremption.

Il résulte de cette jurisprudence que la prorogation de validité d'un commandement de saisie est limitativement réglementée par les dispositions du troisième alinéa de l'article 694 et que la mention d'un jugement de subrogation n'emporte aucune prolongation de cette validité.

Voir AMC n° 1364, 1637.