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ARTICLE 1369

INSCRIPTIONS.

Formalités exigées par l'article 2148 du Code Civil.
Représentation du titre du Conservateur.
Champ d'application et portée de cette obligation.
Cas de l'hypothèque légale du Trésor.
Jugement du Tribunal de Grande Instance de Verdun (24 septembre 1987).

Faits. - Pour obtenir la mainlevée de l'hypothèque légale du Trésor inscrite sur les biens du gérant d'une société à responsabilité limitée en garantie d'amendes fiscales dues par cette société, le propriétaire grevé avait assigné à la fois le comptable qui avait déposé les bordereaux d'inscription et le conservateur qui les avait formalisés. Il était fait grief à ce dernier d'avoir accepté le dépôt au seul vu des bordereaux sans avoir exigé la communication des extraits de rôle. Il était conclu, en conséquence, non seulement au prononcé de la mainlevée mais, en outre, à la condamnation du conservateur au paiement de 10.000 F de dommages-intérêts, ainsi que de 5.000 F au titre de l'article 700 N.C.P.C. Pour rejeter ces conclusions, le Tribunal de Grande Instance de Verdun s'est fondé sur les motifs rapportés ci-après :

" Attendu qu'en application de l'article 2148 du Code Civil, l'inscription des hypothèques légales ne nécessitant aucune communication de titre au conservateur des hypothèques sont celles visées par l'article 2121. 1°, 2° et 3°; que s'agissant des autres hypothèques légales, leur inscription est subordonnée à la production, par le requérant, des pièces établissant qu'il est fondé, au moins en apparence, à requérir cette inscription ; que sur le titre ainsi présenté, le conservateur des hypothèques, qui n'est pas juge quant au fond de la validité de l'acte qu'il est requis de publier, exerce seulement un contrôle de la régularité en la forme ; que cette représentation du titre au conservateur des hypothèques ne faisant l'objet de la part de la loi d'aucune formalité pour la constater, il y a lieu de considérer qu'une non représentation, si elle était prononcée, ne saurait suffire à elle seule à emporter la nullité de l'inscription ;

" Attendu que la prise d'inscription d'hypothèque légale opérée le neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-six par le percepteur de C... s'est faite, comme il est mentionné sur les bordereaux déposés par ce percepteur, en vertu du rôle des contributions directes mis en recouvrement le vingt-sept avril mil neuf cent quatre-vingt-quatre et de l'article 1763 A du Code général des Impôts qui décide que les dirigeants sociaux sont solidairement responsables du paiement des amendes fiscales prévues par ce texte ; que si Monsieur P... reproche au conservateur des hypothèques de ne pas s'être fait représenter le titre visé par l'article 2148 du Code Civil, il n'apporte aucune preuve de son allégation; qu'au surplus, cette représentation n'eut-elle pas été faite, l'omission de cette formalité, que la loi ne sanctionne pas, eût été insuffisante pour emporter la nullité de l'inscription ; qu'il convient de relever que les mentions portées sur les bordereaux, en renvoyant au rôle des contributions directes et à l'article 1763 A du Code général des Impôts, posent clairement la nature de la créance pour sûreté du recouvrement de laquelle la prise d'inscription d'hypothèque légale a été faite; que le conservateur des Hypothèques, sollicité par une mesure conservatoire, n'a pas à se faire juge de la validité d'une créance pour laquelle l'inscription d'hypothèque est demandée; qu'au surplus, l'article 2199 du Code Civil l'expose à des dommages et intérêts en cas de refus ou de retard dans l'inscription des droit hypothécaires ; qu'ainsi donc, la simple mise au rôle des contributions par le percepteur de C... avec la mention de l'article 1763 A du Code général des Impôts, suffisait à traduire par l'apparence de la réalité le bien fondé de la créance fiscale; qu'en outre, lorsque Monsieur P... conteste au Trésor le droit de poursuivre contre lui le recouvrement d'amendes fiscales mises à la charge de la S.A.R.L. C... alors qu'il n'est plus gérant et que cette société est en liquidation de biens, il se place sur le terrain du bien fondé de la créance du Trésor à son égard nonobstant la solidarité édictée par l'article 1763 A du Code des Impôts, et il se place aussi sur le terrain de la validité de la procédure suivie par le percepteur de C... : mais qu'il s'agit là de deux questions sur lesquelles le conservateur des Hypothèques n'a pas à se prononcer, car la mesure conservatoire sollicitée de lui par le percepteur de C. poursuivant le recouvrement d'amendes fiscales. se situe dans la perspective d'une exécution potentielle dont elle est destinée à sauvegarder l'efficacité. "

Observations. - Le conservateur n'a pas à se faire juge de la validité de l'hypothèque ou du privilège dont l'inscription est requise. Ainsi qu'il est exposé dans le précis Chambaz et Masounabe (2° éd., n° 626), " d'une part, l'art. 2199 C. Civ. lui interdit de refuser ou de retarder l'inscription des droits hypothécaires dans tous les cas (1) et non pas, comme le portait l'art. 54 (L. 11 brum.. an VII). ceux requis conformément aux lois (I.G. 3544-10). Le seul refus l'expose par conséquent aux sanctions de l'art. 2202 C. Civ. outre les dommages-intérêts s'il est reconnu préjudiciable. D'autre part, l'art. 2150 C. Civ. ne l'oblige qu'à faire mention du dépôt des bordereaux. ce qui paraît exclusif d'un examen approfondi des droits du requérant. D'un autre côté, l'art. 2160 C. Civ. confie aux seuls tribunaux le droit d'annuler les inscriptions prises sans être fondées, ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsque ce titre est irrégulier, éteint ou soldé, ce qui suppose l'existence d'inscriptions nulles ou annulables, que le conservateur ne pouvait et ne devait point empêcher ".

(1) L'expression " dans tous les cas " ne figure pas dans l'article 2199 actuel du Code Civil qui fait défense aux conservateurs de refuser ou retarder l'exécution d'une formalité " en dehors des cas où ils sont fondés à refuser le dépôt ou à rejeter une formalité, conformément aux dispositions législatives ou réglementaires sur la publicité foncière ". Cette rédaction, issue du décret n° 59-89 du 7 janvier 1959, n'était pas connue des auteurs du précis du droit et de la pratique hypothécaires édité en 1955; mais cette variante, de toute évidence, n'aurait pas été de nature à les amener à renoncer au raisonnement qu'ils ont conduit et à la conclusion à laquelle ils ont abouti.

Néanmoins, l'art. 2148 C. Civ. dispose dans son premier alinéa que " pour que l'inscription soit opérée, le créancier représente, soit par lui-même, soit par un tiers au conservateur des hypothèques, l'original, une expédition authentique ou un extrait littéral du jugement ou de l'acte qui donne naissance au privilège ou à l'hypothèque. Peuvent être requises, toutefois, sans communication de titres, les inscriptions de séparations de patrimoines établies par l'article 2111 et les inscriptions d'hypothèques légales visées à l'article 2121, 1°, 2° et 3° ". Ainsi, la présentation du titre concerne-t-elle toutes les hypothèques, qu'elles soient conventionnelles, judiciaires et même légales dès lors que ces dernières ne sont pas au nombre de celles mentionnées à la deuxième phrase de l'art. 2148 déjà cité. Pour les hypothèques légales non mentionnées et donc pour celle du Trésor, il est généralement admis que le titre qui doit être produit doit consister dans un document vraisemblable, telle une pièce officielle établie par l'administration intéressée et constatant l'existence de la créance. C'est ce qu'a jugé le tribunal de Verdun en considérant que s'agissant de telles hypothèques légales, " leur inscription est subordonnée à la production, par le requérant, des pièces établissant qu'il est fondé, au moins en apparence, à requérir cette inscription " et en décidant qu'en l'espèce, la simple mise au rôle des contributions par le percepteur.... avec la mention de l'article 1763 A du Code général des Impôts suffisait à traduire par l'apparence de la réalité le bien fondé de la créance fiscale ".

Pour ce qui est spécialement de l'hypothèque légale accordée au Trésor par l'art. 1929 ter C.G.I., l'Administration, dans une note du 16 octobre 1987 (B.O.I. * 10 D-1-87), après avoir dispensé les comptables de fournir un état ou un bordereau de situation détaillée des créances a insisté " sur la nécessité d'exiger la production. entre autres, des copies d'avis de mise en recouvrement et des extraits des rôles d'impôt ". Il ne peut qu'être souscrit à cette exigence dont il convient cependant de préciser la portée en rappelant qu'elle correspond, pour les conservateurs, plus à un devoir moral dont l'accomplissement est vivement conseillé, qu'à une obligation juridique assortie de sanctions.

C'est cette conception traditionnelle (cf C.M.L., 2° éd., n° 577, 589 et 632) que le jugement sus-rapporté a fait sienne : il appartient au propriétaire grevé, si celui-ci soutient que le titre n'a pas été communiqué, d'apporter la preuve de son allégation ; en outre, à supposer que cette preuve soit rapportée, " l'omission de cette formalité que la loi ne sanctionne pas, eût été insuffisante pour emporter la nullité de l'inscription ".

Voir AMC n° 1460.