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ARTICLE 1499

PROCEDURE

Action contre le Conservateur.
Demande de dommages-intérêts formée contre le titulaire du poste pris impersonnellement et n'étant pas en fonction à la date du manquement reproché.
Demande irrecevable.

Jugement du tribunal de grande instance de Senlis (23 juillet 1991)

Faits : Aux termes d'un acte notarié du 7 janvier 1988, publié le 1er mars suivant, M. S... a acquis des époux G... une maison à usage d'habitation sise à P... comprenant "cave sous partie de la maison, rez-de-chaussée comprenant une pièce, cuisine donnant sur la cour commune, deux garages avec terrasse au-dessus, au premier étage, trois chambres, petit débarras, grenier sur toute la maison, cadastrée section A n° 246... ". Or, à s'en tenir au plan cadastral, l'un de ces garages avait été édifié sur une parcelle voisine relevant de la même section mais portant le numéro 248 et dépendant de la succession vacante de M. W... Aussi, le directeur départemental des services fiscaux, agissant en qualité de curateur, a-t-il pris possession de ce bien immobilier et c'est dans ce contexte que M. S... l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Senlis afin d'être reconnu propriétaire du garage dont il s'agit, réuni à tort, selon lui, à la succession de M. W... M. S... a également cité un notaire, M F... ainsi que le conservateur des hypothèques pris impersonnellement - ayant le garage litigieux dans sa circonscription. Par ces conclusions, expressément qualifiées de présentées " à titre subsidiaire ", il est demandé de condamner cet officier ministériel et ce mandataire légal " à verser conjointement et solidairement la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts " ; à cette fin, il est fait grief au notaire de s'être abstenu, quoique le prix lui ait été versé en 1962, de formaliser la vente du garage en cause, consentie par M. W... à l'une des personnes ayant été successivement propriétaires de la parcelle A 246 avant qu'elle n'ait, en dernier lieu, été cédée à M. S... ; au conservateur, il est reproché " d'avoir accepté de publier un acte translatif de propriété contenant des renseignements cadastraux erronés". Dans le dispositif du jugement rendu le 23 juillet 1991, il est décidé que " le garage avec terrasse ci-dessus ayant appartenu à M. René W... et anciennement cadastré A 248 fait partie de l'immeuble acquis, cadastré A 246... M. S... ayant acquis ledit garage par prescription décennale conformément à l'article 2265 du code civil " ; en conséquence, les entiers dépens sont mis à la charge de la succession de feu René W..., représentée par M. le Directeur des Services Fiscaux... ". De la sorte, il a été fait entièrement droit aux conclusions principales de M. S... si bien que M F... et le conservateur, assignés à titre subsidiaire, ne pouvaient qu'être mis hors de cause ; toutefois, les conclusions les concernant n'ont pas été considérés comme devenues sans objet ; elles sont déclarées irrecevables " pour défaut d'intérêt " par, " sur l'action contre le conservateur des hypothèques " les motifs rapportés ci-après :

" Attendu que pour résister à la demande de dommages-intérêts dirigée contre elle, Mme le conservateur des hypothèques de Senlis demande au tribunal de la déclarer irrecevable, exposant à l'appui :

- que l'actuel conservateur, la concluante, n'était pas en poste à Senlis lors de la publication le 1er mars 1988 de l'acte de vente du 7 janvier 1988;

- que l'assignation est impersonnelle en ce qu'elle vise le conservateur des hypothèques de Senlis sans le nommer, ce qui constitue une nullité de forme ;

" Attendu que l'assignation des 7 et 9 février 1990 ne saurait être déclarée nulle au motif que le demandeur l'a fait délivrer au conservateur des hypothèques, sans l'identifier par son nom, puisqu'il n'existe pour les usagers des administrations aucune obligation de connaître par coeur l'identité des fonctionnaires qu'ils sont susceptibles d'assigner en justice ;

" Que l'assignation est donc régulière en la forme ;

" Attendu que la responsabilité édictée par l'article 2197 du code civil est engagée conformément aux principes du droit commun toutes les fois que le conservateur commet dans l'exercice de ses fonctions une faute ou une négligence préjudiciable ;

" Que Mme le Conservateur des hypothèques de Senlis ne peut donc être tenue de répondre des fautes ou négligences de son prédécesseur ;

" Attendu, dès lors, que M. S... n'a pas d'intérêt légitime à agir contre l'actuel conservateur du chef des fautes qu'il reproche à son prédécesseur ; que la fin de non recevoir opposée par Mme le Conservateur des hypothèques de Senlis est recevable et bien fondée et M. S... sera déclaré irrecevable;

" Attendu que Mme le Conservateur sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts puisqu'elle n'établit pas à la charge de M. S... l'existence d'une faute et d'un préjudice en résultant ;

" Qu'il n'est pas inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles exposés par son Administration ".

Observations : Ainsi que l'ont excellemment exprimé les magistrats de la cour d'appel d'Alger dans un arrêt du 16 novembre 1949 (bulletin A.M.C. art. 56), " il est constant que les conservateurs sont personnellement responsables de leurs fautes professionnelles et que seuls ceux qui les ont commises en doivent compte à ceux qui en ont souffert". De ce principe toutefois, le tribunal de grande instance de Senlis dans le jugement sus-rapporté n'a pas déduit des conséquences identiques à celles tirées par le tribunal de grande instance d'Avranches dans sa décision du 31 juillet 1990 (bulletin A.M.C., art. 1479). Lorsqu'un conservateur qui n'était pas en fonction à la date du manquement reproché est assigné impersonnellement, le caractère strictement personnel de sa responsabilité a conduit les juges d'Avranches à reconnaître l'existence du grief exigé par l'article 114 du nouveau code de procédure civile et à prononcer en conséquence la nullité de l'assignation. Cette position n'a pas été celle du tribunal de Senlis qui, pour affirmer que " l'assignation est régulière en la forme ", s'est borné à considérer que l'indication dans l'exploit du nom et des prénoms ainsi que de la date et du lieu de naissance était impossible " puisqu'il n'existe pour les usagers des administrations aucune obligation de connaître par coeur l'identité des fonctionnaires qu'ils sont susceptibles d'assigner en justice ". Une fois cette régularité reconnue, il n'a pu qu'être constaté que l'action était mal dirigée et donc dénuée de fondement ce qui, de façon contestable, s'est traduit par une déclaration d'irrecevabilité. Sur un autre point aussi, les motifs du jugement du 23 juillet 1991 ne paraissent pas pleinement convaincants ; il s'agit du considérant aux termes duquel il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de notre collègue "les frais irrépétibles exposés par son Administration" alors que, bien évidemment, il avait en se fondant sur l'article 700 N.C.P.C. conclu au remboursement des sommes - chiffrées à 5.000 F - exposées par lui ; peut-être faut-il lire " frais irrépétibles exposés par le fait de son Administration " ; en effet, c'est le directeur des services fiscaux qui, en tant que curateur aux successions vacantes, a résisté à tort à la revendication du demandeur; mais alors pourquoi, eu égard précisément à la règle de la responsabilité personnelle du conservateur, confondre ses propres deniers et ceux du Trésor?

Rapprocher: Bulletin A.M.C., art. 1479.

(1) En réalité, le principe même de la responsabilité personnelle des conservateurs a pour conséquence d'obliger l'Administration à révéler à tous ceux qui le requièrent l'identité du gestionnaire d'un bureau déterminé au temps précisé par l'auteur de la demande: voir sur ce point Bull. A.M.C., art. 1500.