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ARTICLE 1516

SAISIES.

Radiation judiciaire.
Ordonnance d'un président de Tribunal de Grande Instance constatant la caducité d'un commandement de saisie ordonnant la radiation.
Exécution possible.

ORDONNANCE DU PRESIDENT DE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'EPINAL
(24 octobre 1990)

Faits: A la date du 28 juin 1988, un établissement de crédit fait signifier un commandement de saisie immobilière qui est publié le 5 septembre suivant au bureau des hypothèques territorialement compétent. Plus de deux ans plus tard, soit le 17 octobre 1990, l'avocat du poursuivant présente une requête au président du tribunal de la situation du bien saisi. Il est exposé dans cette requête " qu'en raison des engagements souscrits par le débiteur, le créancier a consenti au sursis de la procédure, que le cahier des charges n'a, en conséquence, pas été déposé dans le délai impératif de l'article 688 du code de procédure civile, que le débiteur n'a pas respecté les engagements souscrits et que le créancier est donc bien fondé à reprendre les poursuites, qu'il ne peut, cependant, agir ainsi sans délivrer un nouveau commandement, ce, en raison de la déchéance qui affecte la procédure originaire et de la publication d'un précédent commandement " ; de ce qui précède, il est conclu " qu'il convient, donc, de constater la déchéance encourue et dire que le commandement en date du 28 juin 1988 publié à la conservation des hypothèques d'Epinal le 5 septembre 1988 vol... N°... sera sans effet, en ordonner, en conséquence, la mainlevée du rang des publications de l'immeuble cadastré section... ".

Statuant le 24 octobre 1990 sur cette requête, le Président du tribunal d'Epinal a rendu l'ordonnance rapportée ci-après :

" Vu la requête qui précède et les pièces jointes, " Vu les articles 688 et 715 anciens du code de procédure civile,

" Attendu qu'il est constant que la Caisse... n'a pas déposé au greffe de ce tribunal le cahier des charges pour la vente de l'immeuble appartenant à M. M..., ayant fait l'objet, à sa requête, d'un commandement de saisie immobilière en date du 28 juin 1988, publié à la conservation des hypothèques d'Epinal le 5 septembre 1988 ;

" Attendu que le délai de quarante jours prescrit par la loi pour le dépôt du cahier des charges à peine de déchéance automatique est expiré ; que ledit commandement ne peut donc plus produire aucun effet ;

" Attendu d'autre part qu'en l'absence de dépôt du cahier des charges aucune juridiction n'est actuellement saisie des poursuites ; qu'il appartient donc au Président du tribunal de grande instance, conformément à l'article 812 du nouveau code de procédure civile, d'ordonner toutes mesures urgentes découlant de cette caducité, et notamment la mainlevée de la publication du commandement, qui fait matériellement et sans droit obstacle à toutes autres inscriptions ;

" Par ces motifs,

" Constate la caducité du commandement de payer délivré à la requête de la Caisse... le 5 septembre 1988 par Me J..., huissier de justice, à M. M... pour valoir saisie immobilière de la maison à usage d'habitation lui appartenant, commune de.. section..

" Ordonne en conséquence à M. le Conservateur des hypothèques d'Epinal de procéder à première réquisition à la mainlevée de la publication de ce commandement, effectuée le 5 septembre 1988, vol..., n° ... ".

Observations : L'article 812 du nouveau code de procédure civile se trouve dans le chapitre II d'un sous-titre II de ce code relatif aux pouvoirs du président du tribunal de grande instance. Il y est tout d'abord rappelé que " le président du tribunal est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi " ; puis, il est ajouté qu" il peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement". C'est en se fondant sur ces dispositions législatives que le président du tribunal d'Epinal a considéré qu'il était habilité à briser par ordonnance le cercle dans lequel un créancier poursuivant s'était enfermé : d'une part, il n'avait pas été procédé au dépôt du cahier des charges au greffe dans le délai de 40 jours fixé à l'article 688 de l'ancien code de procédure civile et compté à partir de la publication du commandement si bien que cet acte était frappé de la déchéance édictée à l'article 715 du même code ; d'autre part, tant que le signe matériel de cet exploit, qui vaut procès-verbal de saisie, subsiste dans la documentation hypothécaire, il empêche, en pratique, la reprise des poursuites puisque faisant obstacle, en application de l'article 680 C.P.C. (1), à la publication d'un second commandement. Sans doute est-on tenté d'observer que la compétence générale dévolue au président par le second alinéa de l'article 812 déjà cité ne peut être mise en oeuvre que dans la mesure où elle ne se heurte pas à des voies de droit spécifiques ; or, pour la saisie immobilière, il y a les dispositions combinées de l'article L. 311-2 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 673 de l'ancien code de procédure civile qui semblent bien attribuer en cette matière compétence exclusive au gardien de la propriété immobilière qu'est le tribunal de grande instance Toutefois, ainsi que Jacquet et Vétillard l'ont remarqué, un conservateur " n'a pas à connaître des motifs d'un jugement de radiation ni à s'inquiéter des nullités dont il peut être infecté " (2). Aussi, n'est-ce pas sur ce sujet que le conservateur intéressé a consulté la commission juridique. Bien qu'ayant radié au vu à la fois de l'ordonnance du 24 octobre 1990 et de l'exploit l'ayant signifiée le 20 novembre suivant à la partie saisie, notre collègue s'interrogeait sur le point de savoir s'il avait pris le bon parti. Plus précisément, il avait remarqué qu'aux termes de l'article 496 N.C.P.C., " s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance " de sorte qu'il voulait savoir si, en la circonstance, il avait pleinement rempli l'obligation de s'assurer du caractère définitif de la décision de justice lui enjoignant de radier. Cette question a paru appeler une réponse affirmative. En effet ouverte à tous ceux qui s'estiment lésés par la mesure obtenue, la voie de recours évoquée est une forme de tierce-opposition et elle ne peut être qualifiée d'ordinaire. Par suite, ainsi qu'il est prévu à l'article 579 N.C.P.C., il faudrait, ce qui n'est pas le cas, que le législateur l'ait décidé expressément, pour qu'un tel recours soit suspensif d'exécution; son existence, dès lors, n'est pas susceptible, en l'état des dispositions de l'article 500 du même code, de faire perdre à la décision juridictionnelle dont il peut amener le retrait la qualité d'être passée en force de chose jugée.

(1) Cet obstacle, en réalité, n'aurait pas dû être invoqué dans la présente espèce ; le demandeur, en effet, était une caisse du Crédit Agricole Mutuel, laquelle bénéficie des dispositions d'exception de l'article 745 du code rural (cf. sur ce point l'article 587 du bulletin de l'association).

(2) Traité de la mainlevée d'hypothèque, page 411, n° 36.