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ARTICLE 1522

PROCEDURE

Action en responsabilité dirigée contre le conservateur.
Demande d'une indemnité n'excédant pas la valeur-limite de 30000 F fixée a l'article R. 321-1 du code de l'organisation judiciaire.
Compétence du tribunal d'instance de la situation du bureau où le défendeur a rempli ses fonctions.

Arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 15 novembre 1990 (première chambre)

Faits : Par une déclaration au greffe en date du 20 avril 1989, Mme N... a fait convoquer devant le tribunal d'instance de Bordeaux M. T... qui, à l'époque des faits, exerçait dans cette ville les fonctions de conservateur des hypothèques, afin de se voir allouer 10000 F de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité complémentaire de 2000 F sur le fondement de l'article 700 N.C.P.C.

Il était fait grief à notre collègue d'avoir, le 16 décembre 1981, inscrit au profit de MM. Robert et Jean-Marc B.... entrepreneurs de maçonnerie, une hypothèque judiciaire provisoire sur un immeuble appartenant aux époux D... et ce, alors que l'ordonnance sur requête formant le titre de la créance ainsi garantie « ne comportait ni la désignation du magistrat l'ayant prononcée, ni ne présentait aucun signe extérieur d'authenticité ».

Or, les époux D... devaient de l'argent à la fois à MM. B... et à Mme N... si bien que cette dernière imputait à l'inscription déjà citée, prétendument irrégulière, le fait d'avoir été primée par ceux qui en ont bénéficié et de n'avoir pu, de la sorte être désintéressée.

Appelée à l'audience du 4 juillet 1989, l'affaire ne fut pas jugée au fond. En effet, le tribunal d'instance excipa d'office de sa propre incompétence dans un jugement rendu le 5 septembre 1989 dont les motifs sont les suivants:

« Attendu que l'article 9 de la loi du 21 ventôse an VII donne compétence expresse au tribunal de grande instance dans le ressort duquel le conservateur exerce ses fonctions; que cette compétence est exclusive, le juge d'instance étant incompétent pour statuer sur l'action intentée a un conservateur a l'occasion de ses fonctions, ce qui est le cas d'espèce ;

« Attendu que l'article 32 du N.C.P.C. autorise le juge à prononcer d'office son incompétence en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsqu'elle est d'ordre public; qu'est une règle d'ordre public, l'attribution d'une compétence exclusive à une juridiction ; qu'il convient donc pour le tribunal d'instance de se déclarer incompétent».

Ces motifs servent de support à un dispositif où la déclaration d'incompétence est faite « au profit du tribunal de grande instance de Bordeaux » et où il est dit « que le dossier sera transmis à la juridiction ci-dessus à l'expiration du délai de contredit » ; mais la transmission prévue n'eût pas à être opérée, puisque le contredit fut exercé par Mme N... et remis le 19 septembre au greffe du tribunal d'instance; débattu devant la cour de Bordeaux le 30 novembre 1989, il donna lieu le 15 novembre 1990 - et donc au terme d'un délibéré d'une durée inhabituelle - au prononcé de l'arrêt rapporté ci-après;

«Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 9 de la loi du 21 ventôse an VII, laquelle n'a pas été abrogée et dont il convient, dès lors, de faire application, que « les préposés à la conservation des hypothèques auront domicile dans le bureau où ils rempliront leurs fonctions, pour les actions auxquelles leur responsabilité pourrait donner lieu ; ce domicile est de droit ; il durera aussi longtemps que la responsabilité des préposés... » ;

« Attendu que, dès lors, la loi du 21 ventôse an VII relative aux actions en responsabilité dirigées contre les préposés à la conservation des hypothèques ne constitue pas une exception aux dispositions générales ultérieurement édictées par l'article R. 321-1 du code de l'organisation judiciaire attribuant, en matière civile, compétence au tribunal d'instance pour toutes actions personnelles ou mobilières, jusqu'à valeur de 30000 F. à tort le premier juge s'est déclaré incompétent;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Déclare Mme N... recevable et fondée dans son contredit formé contre le jugement prononcé le 5 septembre 1989 par le tribunal d'instance de Bordeaux.

Dit le tribunal d'instance de Bordeaux compétent pour statuer sur la demande introduite par Mme N... à l'encontre de M. T..., conservateur des hypothèques,

Dit que les dépens seront joints au fond».

Observations : La cour de Bordeaux a censuré le tribunal d'instance de la même ville qui avait décliné sa compétence en affirmant péremptoirement que l'article 9 de la loi du 21 ventôse an VII donne compétence expresse au tribunal de grande instance dans le ressort duquel le conservateur exerce ses fonctions. De toute évidence, les dispositions dudit article 9, que la cour a tenu à reproduire, n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour résultat de désigner la juridiction compétente pour statuer sur les actions en responsabilité tendant à la réparation des dommages causés par les conservateurs des hypothèques dans l'exercice de leurs attributions civiles. Elles se bornent à accorder à ces agents publics un domicile spécial qui dure aussi longtemps que leur responsabilité et où les assignations peuvent être signifiées à eux-mêmes ou a leurs ayants-droit. Ce domicile de droit est le bureau où ils remplissaient leurs fonctions au moment où le fait dommageable a été commis ; il a pour conséquence, en vertu de l'article 42 N.C.P.C. et pour autant que le montant de la demande n'excède pas 30000 F de rendre territorialement compétent pour en connaître le tribunal d'instance dans le ressort duquel se trouve le bureau et qui peut être différent de celui ayant juridiction sur la circonscription du conservateur. Ainsi les douze conservateurs de la ville de Paris étant installés dans un même immeuble relèvent tous, pour les litiges de faible importance, du tribunal d'instance du 20 arrondissement. Il faut cependant noter qu'aux termes de l'article 46 N.C.P.C., le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur... - en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ». Il existe donc des possibilités de choix et l'expression « toutes poursuites a cet égard pourront y être dirigées contre eux... », employée par le législateur de ventôse an VII, n'est pas suffisamment impérative pour pouvoir soutenir qu'en la matière, ces options ne sauraient être exercées.