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ARTICLE 1540

MENTIONS EN MARGE DES INSCRIPTIONS.

Acte à mentionner.
Acte portant quittance de la somme garantie et ramenant au jour de l'acte la date extrême d'effet de l'inscription.
Radiation inévitable.
Obligation faite au requérant de mettre le conservateur en mesure de la prononcer.

Arrêt de la cour d'appel de Douai du 22 octobre 1992 (8° chambre civile)

Les faits : A la date du 20 janvier 1992, M S..., notaire associé à Paris, a remis à M. P..., conservateur à Avesnes-sur-Helpe, deux copies certifiées conformes à la minute d'un acte reçu par lui le 24 septembre 199l et contenant les stipulations suivantes:

" Le créancier est la banque S..., société anonyme, dont le siège social est à ...

" EXPOSE : Aux termes d'un acte reçu par Me L..., notaire à W..., le 22 avril 1986, la banque S... a consenti un prêt de 500.000 F à la société L... ayant son siège social à...

" Le remboursement a été garanti par l'inscription rappelée plus loin.

" La copie exécutoire, qui n'était pas transmissible par voie d'endos, a été restituée au notaire soussigné qui l'a détruite.

" QUITTANCE : Le créancier reconnaît que le prêt précité a été entièrement remboursé en principal, intérêts et accessoires, et en donne quittance à la société L... sans réserve. Par suite, le notaire soussigné certifie que la sûreté ci-après énoncée est éteinte de plein droit par application de l'article 2180 du code civil.

" REDUCTION DE DUREE D'EFFET : le créancier requiert du conservateur des hypothèques la publication en marge de l'inscription d'hypothèque conventionnelle prise au bureau des hypothèques d'Avesnes-sur-Helpe au profit de la banque S... le 25 juin 1986 volume 907 n° 47 contre la société L... sur un bâtiment sis à F..., ayant effet jusqu'au 22 avril 1996, de la mention suivante:

" Date-limite d'effet ramenée au 24 septembre 1991 "
" SIGNATAIRES "

" Lecture faite, le présent acte est signé par

" 1) Monsieur J.-P. M..., clerc de notaire, agissant au nom et pour le compte de la banque S... en vertu d'une procuration à Lille du 12 août 1991, formant l'annexe unique du présent acte (1).

(1) Aucune copie de cette annexe n'était jointe aux expéditions remises au Conservateur.

" 2) Le notaire "

Cet acte fut refusé le 23 janvier 1992 en invoquant l'article 285 de l'annexe III au C.G.I. et donc pour insuffisance de provision, laquelle résultait du défaut de paiement du salaire proportionnel au taux de 0,10 % prévu pour " chaque radiation d'inscription " à l'article 295 de la même annexe. Quelques jours plus tard, soit le 29 janvier, l'acte fut de nouveau présenté et comme il était accompagné du paiement demandé, notre collègue l'inscrivit au registre des dépôts ; mais il n'effectua pas l'émargement requis.

Aucune copie de cette annexe n'était jointe aux expéditions remises au conservateur.

C'est qu'en effet, il persistait à considérer que l'apposition de la mention " Date-limite d'effet ramenée au 24 septembre 1991 " équivaudrait à une radiation. Aussi notifia-t-il le 25 février 1992 à Me S... la cause de rejet suivante: " A défaut de production du pouvoir, délivré au comparant par le créancier, à consentir à l'abandon, quant à la durée de la sûreté profitant à ce dernier, l'acte entraînant radiation immédiate de l'inscription doit comporter la certification prévue par l'article 2158 al. 2 du code civil ", et ce, avant l'expiration du délai légal de régularisation d'un mois ; mais ce délai s'écoula sans que la certification réclamée ait été ajoutée si bien que la formalité fut rejetée par une décision du 31 mars 1992.

Me S..., à qui cette décision avait été notifiée, la reçut le 6 avril mais n'y souscrivit point. Il répliqua en exerçant devant le président du tribunal de grande instance d Avesnes-sur-Helpe statuant comme en matière de référé le recours en annulation ouvert à l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955. Par acte du 7 avril 1992, notre collègue fut donc cité devant ce magistrat aux fins, d'une part, de se voir ordonner de procéder à la date du 17 octobre 1991 (1) à la publication de l'acte en cause portant quittance et réduction de durée d'effet et, d'autre part, d'être condamné à payer au demandeur une somme de 10.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

(1) La rétroactivité ainsi demandée n'a été ni justifiée par Me S..., ni combattue par le défendeur.

Au rappel par le demandeur du principe de la légalité des rejets et à l'absence, invoquée par lui, de dispositions législatives ou réglementaires interdisant formellement la publication des quittances et réductions de durée d'effet, M. P... objecta tout d'abord le défaut de qualité et d'intérêt légitime de son adversaire ; à cette fin, il fut observé que Me S... a requis la formalité en cause en tant que mandataire du créancier et que ce dernier, dès lors, ainsi que le propriétaire grevé en faveur duquel il a été stipulé, sont seuls directement concernés par l'inexécution de la publication. Au fond, il fut soutenu que l'acte du 24 septembre 1991 s'analyse en fait en une mainlevée d'inscription ne pouvant être traduite au plan de la publicité foncière que par la radiation. Le défendeur, enfin, après avoir rattaché le procès qui lui était fait à l'ensemble des procédures engagées ici et là par Me S... afin d'empêcher les conservateurs de continuer à radier les inscriptions, considéra qu'il était victime d'un abus manifeste du droit d'ester en justice et conclut, en conséquence, à l'octroi de 30.000 F de dommages-intérêts ainsi qu'à l'allocation d'une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Ces moyens et conclusions ont été développés successivement en première instance et en appel, mais ils ne reçurent pas le même accueil au tribunal de grande instance, d'Avesnes-sur- Helpe et à la Cour de Douai. C'est ainsi que par une ordonnance du 18 juin 1992, le président du tribunal déjà cité, après avoir enjoint à M. P... " de procéder à la date du 17 octobre 1991 à la publication de l'acte portant quittance et réduction de durée d'effet en marge de l'inscription prise à sa conservation le 25 juin 1986 volume 907 n° 47 ", le condamna aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.500 F hors taxes au titre de l'article 700 N.C.P.C. ; mais cette condamnation n'acquit pas force de chose jugée ; elle fut infirmée en appel par les motifs et le dispositif ci-après :

"1) Sur le défaut de qualité et d'intérêt légitime invoqués par M. P...

" M. P... considère que seul la banque S... et la société L... avaient qualité et intérêt légitimes à critiquer le rejet de la formalité ;

" Maître S... est certes mandataire mais aussi notaire titulaire d'un monopole ; il a dressé l'acte litigieux et le problème de fond soulevé, en l'espèce, ne concerne que le rédacteur de l'acte litigieux. De plus, la cause de rejet de formalité et le rejet lui-même ont été notifiés à Maître S... lui-même qui a intenté le recours prévu régulièrement à l'article 26 du décret du 4 janvier 1955 ; il y a lieu de débouter M. P... de sa demande concernant l'irrecevabilité. Par ailleurs il convient de rappeler que la banque S... ne peut pas plaider par procureur puisque le sort du procès lui est totalement indifférent ;

" 2) Sur la qualification de l'acte notarié du 24 septembre 1991

" Après examen attentif du libellé de l'acte du 24 septembre 1991, la Cour estime qu'un acte de mainlevée ou de quittance ou encore de réduction de durée d'effet mettant fin à une garantie caractérisait un renoncement à cette garantie qui n'a plus lieu d'être et doit donc être radiée des registres. La radiation de l'inscription correspondante est une formalité inévitable suite à l'abandon nécessaire de l'inscription comme garantie. L'article 2158 du code civil prévoit la nécessité d'établir les consentements des parties intéressées et leurs capacités par acte authentique pour qu'une radiation d'inscription puisse être effectuée. La Cour estime donc que, contrairement aux prétentions de Me S..., les dispositions de l'article 2149 du code civil n'étaient pas applicables en l'espèce.

" Dans ces conditions, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance déférée et de débouter Me S... de l'ensemble de ses demandes ;

" 3) Sur les autres demandes

" M. P... ne justifie pas d'un préjudice permettant l'allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive et sera débouté de sa demande à ce titre ;

" Compte tenu du contexte de l'affaire, il apparaît inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge de M. P... à qui il sera alloué une somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

III - Décision de la Cour

" Par ces motifs, la Cour,

" Statuant publiquement, contradictoirement,

" Reçoit M. P... en son appel et le déclare fondé.

" Infirme l'ordonnance du président du tribunal de grande instance d'Avesnes-sur-Helpe en date du 18 juin 1992.

" Déboute Me S... de l'ensemble de ses demandes.

" Déboute M. P... de sa demande de dommages et intérêts.

" Condamne Me S... à payer à M. P... la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

" Condamne Me S... aux dépens de première instance et d'appel ... ".

Observations: Après avoir requis la publication sans radiation, d'abord des mainlevées d'hypothèque, puis des quittances des sommes garanties, Me S... a mis au point la formule dite de " quittance et réduction de durée d'effet d'inscription " ; c'est elle qui a été suivie pour établir l'acte du 24 septembre 1991 reproduit ci-dessus.

Eu égard au contenu de la réquisition figurant dans cet acte, sa publication se ramène à mentionner dans la marge du bordereau que la date marquant la limite d'effet est ramenée à celle dudit acte. Or, selon son initiateur une telle mention ne saurait soulever la moindre difficulté : aucune des dispositions législatives ou réglementaires prescrivant le refus du dépôt ou le rejet de la formalité ne fait défense de l'apposer. Bien plus, elle entre exactement dans les prévisions de l'article 2149 du code civil ; elle constitue, en effet, l'une des modifications, non autrement dénommées, dont la publication est autorisée par ledit article dès lors qu'il n'y a pas aggravation de la situation du débiteur.

Ce raisonnement a l'apparence d'une extrême rigueur mais il constitue en réalité un sophisme. Certes, le principe de la légalité des refus est énoncé à l'article 2199 du code civil et il n'est pas question de le contester. Il ne saurait toutefois avoir pour résultat d'empêcher l'agent public qu'est un conservateur des hypothèques, d'une part, de rechercher l'exacte qualification des formalités civiles qu'il est requis d'exécuter, d'autre part, de s'assurer qu'elles sont " prescrites " (L. 21 ventôse an VII, art. 3-1° ; C.G.I., art. 878-1°) et donc qu'elles se situent dans le cadre de ses compétences légales, enfin, d'en subordonner l'accomplissement à la production des justifications nécessaires au bon exercice desdites compétences.

En suivant cette démarche, notre collègue n'a pu que fixer son attention sur la forme de son intervention, qui est une mention marginale signée par lui, et aussi s'arrêter sur le résultat obtenu, savoir le déclassement du bordereau émargé qui, à l'instant de la signature de la mention, passe des archives publiques du bureau dans celles qui ne le sont plus. Ces similitudes sont telles qu'il ne pouvait qu'être conclu que l'intention à la fois de la " partie intéressée ", qui est la banque S..., et du notaire agissant en son nom a été de l'amener à exercer le pouvoir à lui dévolu par les articles 2157 et 2158 du code civil et qui est celui de radier les inscriptions.

Il appartenait, dès lors, à M. P... de se diriger en conséquence et donc, comme il l'a fait, d'exiger la justification des pouvoirs du comparant ainsi que le paiement du salaire proportionnel liquidé au taux de 0, 10 % sur les sommes garanties.

C'est à cette conclusion que la Cour de Douai a abouti mais avec une motivation plus radicale qui place sur le même plan les trois innovations sus-relatées, introduites par Me S... ; elle a estimé, en effet, " qu'un acte de mainlevée ou de quittance ou encore de réduction de durée d'effet mettant fin à une garantie caractérisait un renoncement à cette garantie qui n'a plus lieu d'être et doit donc être radiée des registres ". Il en est déduit que " la radiation de l'inscription correspondante est une formalité inévitable suite à l'abandon nécessaire de l'inscription, comme garantie ". Par suite, lorsqu'un des trois actes énumérés ci-avant est remis à un bureau d'hypothèques afin d'être publié sous forme de mention en marge, le conservateur doit considérer qu'il est fait appel à son ministère pour radier l'inscription ; il est donc fondé à refuser le dépôt tant qu'il ne dispose pas des éléments d'information lui permettant de s'assurer que l'acte qui lui est présenté remplit les conditions de régularité de la radiation telles qu'elles sont fixées par les articles 2157 et 2158 du code civil, savoir, la forme authentique et l'existence d'un consentement valable, c'est-à-dire émanant des parties intéressées et ayant capacité à cet effet.