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ARTICLE 1552

RADIATIONS.

Mainlevée notariée.
Remise au bureau de deux expéditions d'un acte de mainlevée d'hypothèque contenant renonciation totale du créancier à son droit mais ne comportant pas réquisition de radier.
Envoi ultérieur par le notaire ayant requis la publication d'une lettre précisant que la radiation de l'inscription n'était pas demandée.
Refus de publier opposé par un conservateur mais jugé injustifié par une cour d'appel.
Conduite à tenir.

Arrêt de la Cour d'Appel de Chambéry du 2 juin 1992.

Faits : Me S..., notaire, a, le 5 avril 1990, reçu un acte portant mainlevée entière et définitive d'une inscription d'hypothèque prise au bureau de Bonneville, le 3 juin 1965 au profit d'un établissement de crédit. Cet acte qui ne contient pas le consentement formel du créancier à la radiation n'a pas non plus été assorti d'une réquisition de radier. Sa publication ayant été demandée, il a été inscrit au registre des dépôts le 12 juin 1990, mais le conservateur s'est abstenu de mentionner la mainlevée en marge de l'inscription déjà citée. En effet, notre collègue à qui, par une lettre du 26 juin 1990, Me S... avait précisé qu'il ne demandait pas la radiation, a, le 21 août 1990, notifié la cause de rejet suivante : " Absence d'éléments permettant d'apprécier la validité du consentement à mainlevée. Il revient en effet, au conservateur, avant de procéder à la publication d'un acte de mainlevée de s'assurer que les énonciations de l'acte sont suffisantes pour justifier la validité du consentement des parties (Cass. Civ. 3°, 16 juillet 1975, D. 1975, 593). Or, tel n'est pas le cas en espèce, à défaut de présentation des justifications de la capacité des parties (mandants, créanciers, comparants) à consentir la mainlevée en cause ". Loin de déférer à cette demande, Me S... l'attaqua d'abord devant le Président du tribunal de grande instance de Bonneville, puis devant la Cour de Chambéry afin d'en faire déclarer la nullité ; mais il fut débouté tant en première instance qu'en appel si bien que le 27 juin 1991 et donc peu après le prononcé de l'arrêt confirmatif du 17 juin 1991, le conservateur prit une décision de rejet de la formalité en se fondant sur le fait qu'aucune régularisation n'était intervenue dans le délai d'un mois à compter du 24 août 1990. Par un exploit signifié le 8 juillet 1991, cette décision fut soumise à l'appréciation du juge de la légalité des rejets; elle fut validée par une ordonnance rendue le 12 septembre 1991 par le Président du tribunal de grande instance de Bonneville, puis Me S... ayant interjeté appel, cette décision fut infirmée par la Cour de Chambéry, laquelle s'est fondée sur les motifs rapportés ci-après.

" Attendu que la mainlevée consentie par le créancier hypothécaire et la radiation opérée par le conservateur des hypothèques sont des actes distincts; que la mainlevée, qu'elle ait pour objet la renonciation à l'hypothèque ou au bénéfice de l'inscription, comporte toujours consentement à la radiation de l'inscription;

" Attendu néanmoins que la radiation n'est pas la suite nécessaire de la mainlevée ou de la publication de la mainlevée ; que la jurisprudence citée par l'intimé n'est pas applicable au cas d'espèce dès lors qu'elle concerne un litige dans lequel la radiation de l'inscription avait été expressément requise ;

" Attendu qu'ainsi, le conservateur n'est pas tenu de radier l'inscription s'il est saisi d'une réquisition limitée à la publication de l'acte de mainlevée ; que par suite, il ne peut fonder le rejet de la formalité prévue à l'article 2149 du code civil sur l'absence d'éléments permettant d'apprécier, au regard des dispositions des articles 2157 et 2158, la validité du consentement du créancier ; qu'en procédant dans de telles conditions à ladite formalité, le conservateur n'encourt aucune responsabilité sur le fondement spécial des articles 2157 et 2158 ;

" Attendu que c'est à tort que le conservateur des hypothèques a rejeté, par décision du 27 juin 1991, la formalité requise ;

" Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Me S... la totalité des sommes par lui exposées et non comprises dans les dépens,

" PAR CES MOTIFS, " LA COUR, " Statuant publiquement et contradictoirement, reçoit comme régulier en la forme l'appel de Me S...

" AU FOND, " Infirme l'ordonnance déférée.

" Dit que le conservateur des hypothèques de Bonneville devra publier la mainlevée en marge de l'inscription, l'effet de la publication remontant au 12 juin 1990, date du dépôt.

" Condamne M. M... à payer à Me S... 2.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

" Condamne M. M... aux dépens de première instance et d'appel et autorise la S.C.P. B...R...F..., avoués associés, à recouvrer directement contre lui ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ".

Observations: Dans l'arrêt sus-rapporté, il est considéré que " la mainlevée, qu'elle ait pour objet la renonciation à l'hypothèque ou au bénéfice de l'inscription contient toujours consentement à la radiation de l'inscription " ; mais cette affirmation a tous les traits d'un truisme puisqu'elle ne fait que reprendre la définition même de la mainlevée qui est l'acte par lequel le titulaire d'une hypothèque inscrite renonce totalement ou partiellement, soit à la fois à son droit et à l'inscription qui en est le signe public, soit seulement à l'inscription.

Or, au contraire du droit qui s'éteint à l'instant même où son titulaire y a renoncé, le signe ne peut disparaître que grâce à l'intervention du conservateur; cet agent public, en effet, est la seule personne qui soit habilitée à radier l'inscription, c'est-à-dire non pas à bâtonner le bordereau qui la matérialise mais à faire en sorte qu'elle ne soit plus " subsistante " au sens de l'article 2196 du code civil relatif à la délivrance des renseignements hypothécaires. Par suite, renoncer au bénéfice d'une inscription tout en s'opposant à ce qu'elle soit radiée aboutirait à donner tout en retenant, et ainsi priverait la mainlevée de son caractère essentiel qui est d'être irrévocable.

En l'espèce, pourtant, le rappel de cette évidence s'imposait absolument, eu égard aux dires de l'appelant qui, dans ses écritures, avait fait valoir " qu'aucun texte n'édicte qu'une mainlevée n'est valable que si elle comporte aussi un consentement à radiation, ni n'édicte qu'un consentement à radiation n'est valable que s'il comporte une mainlevée " et aussi " qu'on ne peut concevoir la radiation d'une inscription qui est éteinte depuis le jour de l'acte de mainlevée, c'est-à-dire antérieurement à la remise au bureau des hypothèques d'une copie de cet acte, qu'en tout état de cause, une radiation était impossible puisque l'acte notarié ne comportait pas de consentement à radiation et qu'il serait ridicule de demander l'exclusion d'une formalité qui ne pourrait être exécutée ". Aussi, la Cour de Chambéry ne pouvait, comme elle l'a fait, qu'écarter expressément cette argumentation surprenante qui, reposant sur une confusion faite entre l'extinction du droit et la radiation de l'inscription, est manifestement dénuée de fondement.

C'est également à juste titre que dans l'arrêt, il a été remarqué que " la radiation n'est pas la suite nécessaire de la mainlevée " : il faut, en effet, pour qu'une radiation soit prononcée, non seulement qu'un acte de mainlevée soit établi mais encore que cet acte soit présenté à la formalité.

De la sorte, la controverse se ramène au point de savoir s'il y a lieu ou non d'accepter les mainlevées remises aux fins de publication sous la forme de mention en marge de l'inscription lorsqu'elles sont assorties, soit dans le corps ou au pied de l'acte, soit dans un document distinct, d'une réquisition excluant la radiation.

La réponse à apporter à la question de droit ainsi dégagée paraît appeler les observations suivantes :

Tout d'abord, il convient de rappeler que les conservateurs ne sauraient être tenus de délivrer toutes les formalités civiles requises ; il leur incombe d'exécuter seulement celles qui, en outre, ainsi qu'il ressort du l tant de l'article 3 de la loi du 21 ventôse an VII que de l'article 878 du C.G.I., doivent être regardées comme " prescrites " ; dès lors, s'agissant d'opérations juridiques touchant au régime de la propriété et des droits réels, ce sont celles ordonnées par la loi civile, laquelle détermine les principes fondamentaux, et par les décrets pris pour en assurer l'application

Or, contrairement aux documents destinés à constituer les registres publics des publications, des inscriptions et des saisies, dont le conservateur n'est que le vigilant réceptionnaire (1), les changements consignés en marge des inscriptions sont, aux termes de l'article 2149 du code civil " publiés par le conservateur " auquel l'article 58 du décret d'application n° 55-1350 du 14 octobre 1955 enjoint de rédiger " une analyse sommaire de l'acte à publier " " datée et signée " par lui.

Cette analyse produit ses effets au moment où elle est signée et non à la date de la remise de l'acte dont elle assure la publicité. Il va de soi qu'elle est tenue d'être fidèle si bien que lorsqu'il s'agit d'une mainlevée, son auteur, d'une part ne peut que relater la disposition essentielle de cette convention qui est de vouloir que l'inscription en cause soit supprimée c'est-à-dire occultée sur les registres publics du bureau et d'autre part, doit exercer les pouvoirs qu'il tient des articles 2157 et 2158 du code civil afin que le résultat voulu par le contractant soit obtenu.

C'est pourquoi les conservateurs dont les attributions légales ne sauraient être modifiées par les désirs des requérants n'ont pas à souscrire à l'incohérence consistant à faire appel à leur ministère en leur présentant des actes où il a été définitivement consenti à la radiation, tout en leur interdisant d'y procéder.

Ces mandataires légaux ont le devoir de passer outre à cette défense en obligeant les renonçants aux inscriptions à choisir entre l'exécution d'une formalité complète qui, seule, peut être qualifiée de " prescrite " et pas de formalité du tout. A cette fin, il leur appartient d'inviter les déposants, sous peine de refus de publier, à les mettre en état de radier et ce, en leur fournissant des éléments de justification de la capacité et des pouvoirs de l'auteur de la mainlevée, et aussi en payant le salaire proportionnel prévu pour les radiations, dont le taux, fixé à l'article 295 de l'annexe III du C.G.I. s'élève à 0,10 % des sommes garanties.

Il en est ainsi d'autant plus que la publication d'une mainlevée sans radiation ferait grief à d'autres que le créancier qui l'aurait réclamée. Si ce système se généralisait, ce seraient les ex-débiteurs grevés qui seraient lésés au plan de leur renom et du crédit qui en résulte, puisque tous ceux qui le requerraient continueraient à savoir qu'à un moment de leur vie, une inscription a été prise à leur encontre. En outre, si après la mainlevée, l'immeuble est vendu ou s'il est hypothéqué par d'autres, seule la radiation assure la consolidation définitive de la situation du nouveau propriétaire ou des inscrivants; en effet, si un acte de mainlevée vient à être annulé par l'autorité judiciaire, l'inscription radiée renaît mais elle ne peut être opposée à ceux qui auront fait publier leurs droits concurrents sur l'immeuble entre le jour de la radiation et celui du rétablissement de l'inscription (cf. par exemple Cass. Civ., 26 juin 1895, S. 96 1 481, qui se situe dans le droit fil d'une jurisprudence constante qui donne le pas à la foi due aux énonciations des livres hypothécaires sur l'effet déclaratif des décisions de justice).

Dans ce contexte, notre collègue, en plein accord avec le comité de contrôle et de contentieux, a, tout en assurant l'exécution de l'arrêt rendu à son encontre, décidé de ne pas y acquiescer. Il s'est pourvu en cassation afin de faire juger que cet arrêt est entaché d'une erreur de droit dans la mesure où il y est considéré que " la radiation n'est pas la suite nécessaire de la publication de la mainlevée " et qu'ainsi, le conservateur n'est pas tenu de radier l'inscription s'il est saisi d'une réquisition limitée à la publication de l'acte de mainlevée ".

Dans l'attente de la décision de la Haute Juridiction, il ne peut qu'être vivement conseillé à nos collègues de refuser de publier les mainlevées totales ou partielles qui leur seraient remises sans que, simultanément, il leur soit demandé de radier les inscriptions ou de les réduire.

 (1) Cf. l'article 67-3 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 d'où il ressort que la publicité est opérée par les parties elles-mêmes.