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ARTICLE 1563

PROCEDURE.

Action contre le conservateur.
Abandon devant la cour d'appel des conclusions dirigées contre lui, mais assignation du service du cadastre en intervention forcée.
Assignation irrecevable faute d'évolution du litige impliquant la mise en cause.
Allocation à l'Administration d'une indemnité couvrant les frais irrépétibles.
Refus de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Arrêt de la Cour d'Appel de Rennes du 31 mars 1992 ( 1re Chambre A)

Faits : Tels qu'ils se présentaient au début de l'année 1991, l'objet du litige ainsi que le déroulement de la procédure ont été exposés sous l'article 1480 du bulletin : Mlle R., se fondant sur des renseignements obtenus du service du cadastre, imputait au conservateur de L. l'agissement dolosif ayant consisté à tenir secrète la rétrocession de deux parcelles contiguës à sa propriété ; selon ses dires, cette rétrocession avait été effectuée par la S.C.I. G. à Mme P. Aussi, par un exploit signifié le 22 mars 1989, a-t-elle assigné notre collègue devant le juge des référés afin qu'il soit condamné à délivrer sous astreinte de 100 F par jour de retard " un état hypothécaire à jour des propriétés concernées ", ensemble à payer 2.000 F au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du N.C.P.C, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

Déboutée par une ordonnance en date du 9 mai 1989 du président du Tribunal de grande instance de L., Mlle R. interjeta appel et à sa demande, le conseiller chargé de la mise en état commit un huissier afin de rechercher, dans le registre des dépôts, sur place et donc sans déplacement dudit registre, si, pendant l'année civile 1986, des mutations étaient intervenues, " relativement aux parcelles susmentionnées".

Au cours de cette vérification, opérée le 5 décembre 1990, il ne fut relevé aucune cession de la S.C.I. G. à Mme P. si bien que l'appelante cessa de conclure à l'infirmation de l'ordonnance attaquée ; mais, pour autant, elle ne se désista pas ; bien au contraire, elle relança la procédure en se retournant contre le service du cadastre qu'elle assigna en garantie.

A l'appui de cette assignation, elle exposa l'argumentation suivante, extraite littéralement de l'analyse opérée dans l'arrêt même sous la rubrique " Faits et Procédure " : " le service du cadastre a commis une faute en lui délivrant des renseignements erronés car les fiches cadastrales ne concordaient pas avec les actes de la conservation des hypothèques, malgré les prescriptions du décret du 14 octobre 1955 (1) ; le Tribunal de grande instance de L. n'aurait pas dû la débouter de sa demande, en faisant droit sans vérification préalable aux objections de la conservation des hypothèques, lesquelles n'ont rendu, que plus crédible sa suspicion ; ayant abandonné l'action initialement entreprise contre les hypothèques, dès qu'elle a connu les résultats de la mesure d'instruction, elle n'a commis aucun abus de procédure puisqu'elle a invité les services du cadastre, dont la responsabilité a été judiciairement démontrée, " par substitution évidente à celle qu'on eût pu primitivement confier au service des hypothèques ", à garantir toutes condamnations et frais nés de son action ".

Telles ont été les raisons invoquées par Mlle R. pour conclure à la condamnation du service du cadastre à la garantie de tous frais de justice, d'huissier et d'indemnité au titre de l'article 700 N.C.P.C., ainsi qu'à lui allouer la somme de 5.000 F pour frais irrépétibles.

Le conservateur, pour sa part, fit valoir qu'une accusation de fraude avait été portée à son encontre, que cette imputation était particulièrement grave et qu'elle s'était révélée totalement fausse. En conséquence, il ne se borna pas à conclure à la confirmation de la décision attaquée et à l'allocation, en vertu de l'article 700 d'une indemnité de 5.000 F; il réclama, en outre, 50.000 F de dommages-intérêts.

Quant au directeur départemental des services fiscaux, il conclut à titre principal au rejet comme irrecevable de la demande en intervention forcée, subsidiairement au débouté de l'auteur de cette demande et, en toute occurrence, à l'allocation des sommes de 5.000 F pour procédure abusive et de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 N.C.P.C.

Statuant à la fois sur les moyens de défense de l'intimé et de l'intervenant forcé ainsi que sur les demandes incidentes fondées respectivement par chacune des parties, la Cour de Rennes a, le 31 mars 1992, rendu l'arrêt dont les motifs sont reproduits ci-après.

" Considérant qu'il ressort du dossier et notamment des écritures que, sans procéder aux vérifications qu'elle pouvait elle-même entreprendre auprès des services du cadastre ni solliciter une mesure d'instruction, Mlle R. a d'emblée exigé la production d'un état rectifié pour la situation des parcelles voisines de ses fonds, en se prévalant uniquement de l'anomalie révélée par les documents cadastraux

" Que compte tenu des éléments soumis à son appréciation, le premier juge a donc rejeté à bon droit la demande, étant observé qu'il n'était pas tenu de suppléer la carence de la demanderesse dans l'administration de la preuve ;

" Que Mlle R. ne postule plus l'infirmation de la décision attaquée et ne formule désormais aucune demande contre son adversaire d'origine ;

" Que, succombant au principal, elle sera condamnée aux dépens;

" Que l'équité commande d'allouer au conservateur des hypothèques la somme de 5.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre l'indemnité allouée de ce chef en première instance ;

" Considérant, sur la demande de dommages-intérêts, qu'il ne rentre pas dans les attributions du juge des référés, telles que définies par les articles 484, 808 et 809 du nouveau code de procédure civile, de prononcer une condamnation à dommages-intérêts sinon à titre de provision ;

" Que, statuant en matière de référé, la Cour ne peut faire droit à la demande de l'intimé ;

" Considérant, sur la demande formée contre le Directeur des services du cadastre, qu'il résulte des articles 554 et 555 du nouveau code de procédure civile qu'une personne qui n'a été ni partie ni représentée en première instance ne peut être appelée devant la Cour que si l'évolution du litige implique sa mise en cause ;

"Considérant, en l'espèce, que toutes les données du litige ont été réunies dès l'origine et connues de Mlle R., puisque la discordance dont elle a fait état tirait son origine des renseignements fournis par deux administrations précisément identifiées et que la direction des services fiscaux l'a expressément imputée à une erreur des services du cadastre, ainsi qu'il ressort notamment d'une lettre du 23 mars 1989; que Mlle R. qui a préféré diriger exclusivement son action contre la conservation des hypothèques, pour des motifs qu'elle a explicités, disposait alors de tous les éléments nécessaires à la mise en cause des services du cadastre ; qu'elle ne saurait donc prétendre que le déplacement de responsabilité du service des hypothèques à celui du cadastre a constitué un fait nouveau, du seul fait de l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée en cause d'appel ;

" Qu'il s'ensuit que le moyen d'irrecevabilité opposé par les services du cadastre est fondé et doit être retenu en sorte que la demande en garantie sera rejetée ;

" Considérant qu'il s'ensuit que Mlle R. sera condamnée aux dépens de l'intervention forcée ;

" Que ses prétentions à bénéficier de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ne peuvent être accueillies ;

" Qu'il serait inéquitable que les services du cadastre supportent les frais qu'ils ont exposés, non compris dans les dépens, qu'il convient de leur allouer la somme de 2.500 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

" Que, par contre, ils ne justifient pas d'un préjudice dont l'appréciation des éléments légitimerait les dommages-intérêts réclamés ;

" PAR CES MOTIFS :

" Confirme l'ordonnance entreprise ;

" Y ajoutant, condamne Mlle R. à payer au conservateur des hypothèques de L. la somme de 5.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

" Déclare irrecevable la demande en garantie présentée contre les services fiscaux du cadastre d'A. ;

" Condamne Mlle R. à payer aux services fiscaux du cadastre d'A. la somme de 2.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

" La condamne aux entiers dépens... ;

" Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties.

OBSERVATIONS

Ainsi, la Cour de Rennes a confirmé l'ordonnance entreprise si bien que Mlle R., qui avait été déboutée en première instance, l'a également été en appel. Et pourtant, malgré l'échec complet de son adversaire, notre collègue n'a pu obtenu entière satisfaction. En effet, accusé faussement par un usager d'humeur chicaneuse d'avoir ourdi une machination, il n'a pu obtenir la juste réparation à laquelle il avait conclu à titre reconventionnel. C'est que d'après l'article 484 N.C.P.C., le juge des référés rend une décision provisoire et il statue dans les cas prévus par la loi ; aussi excèderait-il ses pouvoirs en allouant des dommages-intérêts autres que provisionnels à l'une des parties (Cass. Civ. 3°, 26 avril 1984, J.C.P. 84, IV, 210), même en cas d'appel abusif (Cass. Civ. 3e, 10 décembre 1980, bull. civ. III, p. 144, D. 1981 IR 291). Généralement, il est vrai, une procédure de référé se conclut rapidement ; elle est propre aux cas d'urgence (N.C.P.C., art. 808) et le juge y est investi du pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires (ibid. art. 484) ; mais, en l'espèce, il en alla différemment : cité le 22 mars 1989 devant le Président du tribunal de grande instance de L., le conservateur dut attendre plus de trois ans pour être libéré des tracas occasionnés par les incidents soulevés par l'appelante. Quant au service du cadastre, il se laissa attraire devant la cour d'appel sans, comme il aurait dû, objecter que l'action engagée à son encontre relevait de la seule compétence du tribunal administratif; en effet, l'assignation en intervention délivrée par Mlle R. tendait à mettre en cause la responsabilité de la puissance publique en raison d'une faute de service imputée à un agent d'un centre foncier en dehors de toute contestation relative à l'assiette et à la perception de l'impôt (Cons. Etat, section, 21 décembre 1962, Lebon, p. 701). Ce moyen de défense, toutefois, pouvait apparaître superflu puisque de toute façon, et c'est ce que le service a fait valoir, " l'évolution du litige ", exigée à l'article 555 N.C.P.C. n'avait pas résulté de la vérification prescrite par le conseiller de la mise en état. Cette mesure d'instruction, en effet, a seulement confirmé que la réinscription dans la documentation cadastrale de Mme P. comme propriétaire des parcelles en cause était due, non pas à une mutation de cote consécutive à un document publié au bureau des hypothèques, mais à une erreur matérielle. C'était l'explication donnée au mandataire de Mlle R. dans une lettre du directeur des services fiscaux du 23 mars 1992; si vraiment la demanderesse, qui venait tout juste d'engager l'instance, n'était pas convaincue, c'est à ce moment là qu'elle eût pu assigner utilement l'Administration en intervention forcée au lieu de se braquer sur le seul conservateur. Enfin, il ne peut qu'être remarqué que la demande d'une indemnité de 5.000 F pour procédure abusive formée par le service du cadastre a été rejetée pour cause de non-justification d'un préjudice; faut-il en déduire que la Cour a considéré qu'une telle demande entrait dans ses attributions? Il faudrait pour lever le doute qu'elle l'ait affirmé expressément.

Annoter: Bull. A.M.C., art. 1480.

Rapprocher: Bull. A.M.C., art. 1156.

 (1) Il paraît s'agir, en réalité, de l'article 2 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955.