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Art. 1611

INSCRIPTIONS

Détermination du rang d'une inscription formalisée sous deux dates en conséquence de la notification d'une cause de rejet suivie de régularisation
Question étrangère aux attributions légales du conservateur

Question : Deux créanciers, savoir A.. qui poursuit l'exécution d'un jugement rendu en sa faveur, et B.. qui agit dans ses fonctions de comptable du Trésor, ont chacun, respectivement le 2 et le 6 avril 1993, inscrit une hypothèque sur un même immeuble.

Toutefois, avant que le fichier immobilier n'ait été annoté de l'inscription prise en premier lieu, le rapprochement du bordereau avec les documents déjà publiés a conduit à notifier une cause de rejet. Le pli recommandé de cette notification fut remis à son destinataire le 6 mai 1993 comme l'indique l'avis de réception.

Cette notification fut suivie de la réparation de l'erreur par la remise, effectuée le mardi 8 juin, d'un bordereau rectificatif; à cette date, il fut, au registre des dépôts, fait mention à la fois de cette remise et de la reprise pour ordre du bordereau originaire.

Or, quelques semaines plus tard, dans une lettre envoyée au conservateur, le trésorier payeur général du département de la résidence administrative de B... fit état de renseignements recueillis par celui-ci et demanda à son correspondant de lui "confirmer les dates d'accusé de réception de rejet et de régularisation ci-dessus énoncées et de préciser les raisons pour lesquelles la régularisation, bien que tardive, a été acceptée".

Le conservateur se propose de répondre que "le bordereau rectificatif a été déposé le 8 juin, soit un mois et un jour après la date de réception de la notification de rejet "; que cependant "ce document a été accepté par le service, à bon droit, semble-t-il, mais ne peut bénéficier de l'effet de rétroactivité".

C'est que, serait-il exposé, "conformément à l'article 34-3 du décret du 14 octobre 1955, lorsque le signataire du certificat d'identité a déposé un document rectificatif, la publicité du document originaire prend effet à la date du dépôt pour toutes les énonciations non entachées d'erreurs; en revanche, la publicité du document rectificatif prend effet à la date de son propre dépôt; au cas particulier, il convient donc de retenir la date du 8 juin 1993 comme date d'effet de l'hypothèque judiciaire, sauf décision contraire du tribunal de grande instance; dès lors, l'inscription requise le 6 avril 1993 par le percepteur prend rang avant l'inscription déposée par l'avocat le 2 avril 1993".

L'A.M.C. approuve-t-elle les considérations de droit et de fait développées ci-avant ainsi que la conclusion à laquelle elles aboutissent ?

Réponse : L'énoncé de la question soulève deux séries d'interrogations relatives respectivement d'une part, au rang de chacune des deux inscriptions qui y sont désignées et

d'autre part, à la suite à donner à la présentation tardive d'un document rectificatif appelé à supprimer une cause de rejet notifiée.

1 - Sur le rang respectif des deux inscriptions susvisées

Comme la Cour d'appel de Limoges l'a justement rappelé dans un arrêt du 14 mars 1990 rendu en audience solennelle (1), "le conservateur des hypothèques n'a pas à fixer le rang des inscriptions grevant un immeuble" si bien que, s'il y a discussion à ce sujet entre plusieurs créanciers, la difficulté "est résolue par le tribunal sans consultation du conservateur qui n'est pas compétent pour juger s'il y a lieu de retenir l'antériorité d'un titre par rapport à un autre".

C'est qu'en effet, selon ladite cour, "la validité au fond, les effets des documents déposés au bureau de la conservation des hypothèques pour être formalisés n'ont pas, conformément à la doctrine et à la jurisprudence, à être appréciés par le conservateur, cette appréciation relevant des autorités judiciaires".

Il ne peut qu'être entièrement souscrit à ces principes qui résultent directement de la règle constitutionnelle de la séparation des pouvoirs.

Aussi est-il vivement conseillé à nos collègues de s'abstenir de prendre parti sur les difficultés qui leur sont soumises chaque fois que leur solution conduit à se prononcer sur les rangs à attribuer à des inscriptions prises dans les bureaux qui leur sont confiés.

2 - Sur l'acceptation de la régularisation tardive d'une cause de rejet

Ainsi qu'il ressort des dispositions du 4ème alinéa du 3 de l'article 34 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955, le bordereau ou le document rectificatif destiné à régulariser une cause de rejet doit être déposé au bureau des hypothèques "avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de notification directe ou de celle de l'avis de réception ou de l'avis de refus de la lettre recommandée". Si ce délai est dépassé, l'antépénultième alinéa du même article prescrit au conservateur de rejeter la formalité et d'annoter, en conséquence, le registre des dépôts et le fichier; en outre, à l'alinéa suivant, il est précisé que la décision de rejet est notifiée au signataire du certificat d'identité dans les 8 jours de l'expiration dudit délai.

Le rejet, dès lors, doit prendre la forme d'une décision expresse du conservateur .

Il ne saurait, par suite, résulter de plano du silence gardé par le signataire déjà cité pendant plus d'un mois compté à partir du jour où il a eu connaissance de la cause du rejet. Au surplus, tant que le conservateur n'a pas matérialisé, publié (2) et notifié sa décision, le rejet implicite ainsi que la fin de non recevoir qui en résulterait ajouteraient aux dispositions de l'article 34 une sanction qui n'y est pas édictée; ils aboutiraient, en réalité, sans support légal, à déchoir du droit de réparer les omissions, produire les justifications ou déposer les documents rectificatifs.

Au cas particulier la position du conservateur ne peut qu'être pleinement approuvée.

 (1) sur renvoi de cassation : Affaire Banque de l'Union Occidentale Française et Canadienne c/ époux BONNARD - M. DELROS (JCP 90,édition notariale, II, p.69)

(2) La publicité du rejet est assurée par sa mention sur les fiches, lesquelles font partie de la documentation du bureau accessible à tous ceux qui le requièrent.