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Art. 1617

PROCEDURE

Instance en radiation entre parties
Mise en cause du conservateur - Assignation abusive
Demande en dommages-intérêts justifiée.

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 22 septembre 1993

FAITS : Le 23 mai 1991, la société G.M. a été déclarée adjudicataire d'un immeuble vendu après saisie, dont elle a payé le prix et qu'elle a revendu le 9 mars 1993.

Elle s'était engagée vis à vis de l'acquéreur à rapporter les certificats de radiation des inscriptions subsistantes. Son conseil a donc enjoint aux créanciers inscrits d'accorder la mainlevée des charges grevant le bien. Un seul d'entre eux ayant cédé à cette injonction, il fut procédé, le 5 mai 1993, à l'assignation devant le T.G.I. de Paris, d'une part des créanciers récalcitrants afin que les radiations non consenties soient ordonnées et, d'autre part, du conservateur du bureau "à titre informatif, de façon à ce que le jugement lui soit rendu opposable, sans qu'aucune condamnation de quelque nature que ce soit soit requise à son encontre".

Le conservateur, qui dut constituer avocat, soutint qu'il était indûment mis en cause et que cette procédure lui occasionnait un préjudice. En conséquence, il conclut à sa mise hors de cause, puis, reconventionnellement, à la condamnation de la demanderesse au versement d'une somme de 5.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 5.000 F au titre des frais irrépétibles (art. 700 N.C.P.C.).

Dans un jugement rendu le 22 septembre 1993, le Tribunal, après avoir ordonné les radiations demandées, a mis le conservateur hors de cause et a condamné la société G.M. à lui payer les sommes de, respectivement, 2.000 F et 2.500 F, au motif que "la mise en cause du conservateur des hypothèques ne s'imposait nullement, même pour lui rendre le jugement commun" et "que la... procédure (était) donc parfaitement abusive".

OBSERVATIONS :

1 - Mise en cause du conservateur :

Lorsque la "partie intéressée" n'a pas, ainsi qu'il est prévu à l'article 2157 du code civil, consenti à la radiation d'une inscription d'hypothèque, l'article 2159 du même code ouvre au propriétaire de l'immeuble grevé une action qui, en principe, doit être portée devant "le tribunal dans le ressort duquel l'inscription a été faite". Selon sa définition même, cette action a pour objet de suppléer le consentement du bénéficiaire de l'inscription; elle doit, dès lors, être dirigée uniquement contre lui (ou contre son ayant droit si l'hypothèque a été transmise après avoir été publiée). Un conservateur n'a pas à être amené à défendre à une telle action.

C'est ce qu'exposent Jacquet et Vétillard dans leur Traité de la mainlevée d'hypothèque : (page 371), "un conservateur ne participe à l'inscription que comme agent de l'exécution de la volonté des parties dans les conditions fixées par la loi et il demeure, en toute hypothèse, étranger à l'intérêt pécuniaire que cette inscription révèle aux tiers. Il n'a, par suite, aucun intérêt à la radiation ou au maintien de ladite inscription et il est de même, sans qualité, pour acquiescer à la demande en radiation ou y contredire". Aussi, lorsqu'il est appelé à une instance en radiation engagée contre le créancier, ne peut-il que conclure à l'irrecevabilité de la citation qui lui a été délivrée.

Certes, dans la présente affaire, l'assignation, d'après son auteur, n'a été faite qu'afin de rendre le jugement commun. Mais cet objectif ne confère à celui qui le poursuit aucun intérêt positif et actuel. Point n'est besoin, en effet, qu'un conservateur ait été appelé au litige pour être tenu d'exécuter une décision de justice ordonnant la radiation d'une inscription dès lors que cette décision est opposable à la partie qui succombe et passée en force de chose jugée.

C'est pourquoi, confirmant une jurisprudence abondante et constante, le tribunal a considéré qu'en toute hypothèse, la citation de Mme A. était inutile.

2 - Dommages-intérêts

L'octroi d'une indemnité au titre de l'art. 700 N.C.P.C. allait de soi et le tribunal, sans doute parce qu'il s'agissait d'une affaire simple, déjà maintes fois jugée, l'a arbitrée à 2.500 F au lieu des 5.000 F demandés.

D'autre part, l'extrême légèreté ayant consisté à assigner une personne sans avoir le moindre intérêt actuel ou futur au succès de son action a été a bon droit reconnue fautive; le dommage correspondant aux tracas et perte de temps imposés au conservateur a été évalué à 2.000 F. Il s'agit là d'une compensation effective et non du franc symbolique alloué par la Cour d'appel de Bordeaux dans un arrêt du 29 janvier 1962 rapporté à l'article 514 du bulletin.

Rapprocher : Bull. A.M.C., art. 113, 517, 771 et 1157.