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Art 1637

SAISIES

Péremption
Prorogation du délai de validité de trois ans fixé à l'article 694 de l'ancien code de procédure civile
Intervention d'un jugement n'emportant pas prorogation expresse
Absence d'effet interruptif de la péremption

ARRET DE LA COUR DE CASSATION (2° Ch. Civ.) 23 janvier 1991

Faits : Les faits sont exposés suffisamment dans l'arrêt reproduit ci-dessous mais il y a lieu toutefois d'appeler l'attention sur les particularités suivantes :

La décision attaquée n'est pas un arrêt de cour d'appel mais un jugement de tribunal de grande instance ayant rejeté la demande présentée par les époux P..., propriétaires de l'immeuble saisi, afin de faire constater la péremption du commandement.

Cette demande, formée avant la date fixée dans une dénonciation de surenchère pour être celle de l'audience éventuelle, a le caractère d'une contestation née de la procédure de saisie et s'y rattachant directement. Elle a donc constitué un incident de saisie immobilière. Or, comme il résulte des dispositions de l'article 731 de l'ancien code de procédure civile, le jugement tranchant un tel incident est rendu en dernier ressort; par suite, ce jugement n'est susceptible que des voies extraordinaires de recours qui sont la tierce opposition, le recours en révision et le pourvoi en cassation (N.C.P.C. art. 579 et suivants). C'est cette dernière voie qui fut utilisée par les époux P... : ils obtinrent gain de cause ainsi qu'il ressort des motifs et du dispositif rapportés ci-après :

"Vu l'article 694, alinéa 3, du code de procédure civile;

"Attendu que le commandement publié cesse de produire effet si, dans les trois ans de sa publication, il n'est pas intervenu une adjudication mentionnée en marge de cette publication ou un jugement prorogeant le délai de l'adjudication et mentionné comme il vient d'être dit;

"Attendu, selon le jugement attaqué et les productions, que les poursuites de saisies immobilières exercées par le Crédit..., créancier subrogé, à l'encontre des époux P... ayant été abandonnées, un jugement du 3 juillet 1986 en a ordonné la reprise et a prorogé le commandement publié le 19 juillet 1983 pour une nouvelle période de 3 ans; que la vente, convertie en vente volontaire, n'ayant pas eu lieu, un jugement du 13 avril 1989 a, à nouveau, ordonné, à la requête du Crédit..., la reprise des poursuites et fixé cette vente à l'audience du 15 juin 1989; qu'il a été procédé à l'adjudication et, une surenchère ayant été faite, que les époux P... ont déposé avant l'audience éventuelle, le 11 août 1989, un nouveau dire à l'effet de voir constater la péremption du commandement; que le tribunal a rejeté ce dire;

"Attendu que, pour déclarer mal fondée la demande de péremption du commandement, le jugement énonce que le Tribunal, en ordonnant par son jugement du 13 avril 1989, la reprise des poursuites après échec d'une vente volontaire et en fixant la vente au 15 juin 1989, a implicitement mais inéluctablement prorogé la validité du commandement puisque, compte tenu des délais de surenchère et, en ce dernier cas, des délais d'audience éventuelle et de la nouvelle date de vente, le bien saisi ne pouvait être définitivement adjugé avant le 19 juillet 1989;

"Qu'en statuant ainsi, alors qu'aucun jugement n'avait prorogé le délai d'adjudication, le tribunal a violé le texte susvisé;

"Et vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile :

"PAR CES MOTIFS... :

"Casse et annule en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 14 septembre 1989, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Caen;

"Annule la procédure de saisie immobilière introduite par l'acte publié le 19 juillet 1983;

"Dit n'y avoir lieu à renvoi".

OBSERVATIONS

Le troisième alinéa de l'article 694 de l'ancien code de procédure civile dispose qu'un commandement de saisie immobilière "cesse de produire effet si, dans les trois ans de sa publication, il n'est intervenu une adjudication mentionnée en marge, conformément à l'article 716 paragraphe 2". Cette péremption s'opère de plein droit à l'expiration du délai déjà cité; toutefois, aux termes du même alinéa, ce délai peut être interrompu par "un jugement prorogeant le délai de l'adjudication et mentionné comme il vient d'être dit".

Ces deux événements, l'intervention du jugement et sa publication au bureau des hypothèques sous forme de mention en marge, doivent l'un et l'autre être arrivés avant que le délai de trois ans ne soit venu à son terme. C'est ce qui ressort de l'arrêt de cassation (2° Ch. Civ.) du 30 octobre 1973 (bull. A.M.C. art. 985). En outre, et c'est ce qui a été jugé dans la présente espèce, la décision judiciaire de prorogation doit être explicite et formelle.

Dans le jugement en date du 14 septembre 1989 ayant fait l'objet du pourvoi, le tribunal de grande instance de Caen a cru devoir interpréter son précédent jugement rendu le 13 avril 1989 qui, à la requête du créancier, avait ordonné la reprise des poursuites et fixé la vente à l'audience du 15 juin 1989; il a considéré qu'en formulant ces injonctions, il avait implicitement mais inéluctablement prorogé la validité du commandement puisque, compte tenu des délais de surenchère et, en ce dernier cas, des délais d'audience éventuelle et de la nouvelle date de vente, le bien saisi ne pouvait être définitivement adjugé avant le 19 juillet 1989, qui était la date à laquelle la péremption était acquise.

La Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la valeur de cette recherche; elle a estimé qu'elle n'avait pas à être faite, qu'il fallait en rester au sens littéral et qu'ainsi "aucun jugement n'avait prorogé le délai d'adjudication". La date du 19 juillet ne pouvait, dès lors, qu'être regardée comme ayant marqué l'extinction des effets du commandement qui, publié le 19 juillet 1983, avait été prorogé pour 3 ans par un jugement du 3 juillet 1986.

De la constatation de cette extinction, la Haute Juridiction a tiré trois conséquences : le jugement attaqué a été cassé et annulé en toutes ses dispositions; la procédure de saisie immobilière a été annulée; enfin, comme il ne restait rien à juger, il a été fait usage de la faculté, ouverte à l'article 627 N.C.P.C., de mettre fin au litige en décidant qu'il n'y avait pas lieu à renvoi.

Cet arrêt, toutefois, comme d'ailleurs celui déjà cité du 30 octobre 1973, ne saurait être invoqué par nos collègues dans l'exercice de leurs fonctions civiles : alors même qu'il résulterait de la jurisprudence qu'un jugement prorogeant indûment le délai d'adjudication ne peut avoir cet effet et qu'ainsi, sa publication est dépourvue d'efficacité, il n'y aurait dans cette circonstance aucune cause légale de refus du dépôt.

Si elle est requise, la mention en marge d'un tel jugement doit, dès lors, être opérée; elle crée dans la documentation du bureau une apparence prêtant au commandement les traits d'une saisie en cours et le réactivant pour une période qui, en principe, doit être fixée à trois ans sauf, bien entendu, si dans le document publié, le tribunal en a décidé autrement.

Il y a lieu, sans recourir aux distinctions suggérées au 1° de l'article 1364 du bulletin, de tenir compte de cette apparence et d'agir en conséquence tant pour délivrer les renseignements hypothécaires que pour refuser, en vertu de l'article 680 de l'ancien code de procédure civile, tout nouveau commandement portant sur le même immeuble et concernant le même débiteur.

C'est aux parties intéressées, si elles s'y croient fondées, qu'il appartient de demander à la justice de constater la péremption du commandement : cette constatation, en effet, lorsqu'elle n'est pas évidente, n'a pas à être effectuée par les conservateurs lesquels, dès qu'il y a matière à discussion sur les conséquences juridiques d'une publication, n'ont pas à se faire juges de la difficulté.

Annoter : Bull. A.M.C. art. 728, 985, 1020, 1336, 1364 et 1515.