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Art. 1677

RADIATIONS

Mainlevée judiciaire

Ordonnance de référé enjoignant de radier une inscription de privilège de vendeur sans que le créancier ait à l'audience donné son accord

Refus de radier justifié

Le Président du Tribunal de Grande Instance de Nice a rendu le 9 juin 1994 une ordonnance qui contient un exposé complet des circonstances de l'affaire.

Elle est reproduite ci-après :

"Par acte du 27 avril 1994, la SNC P... a fait délivrer à M. A... au contradictoire de la SNC M... une assignation tendant à voir ordonner la mainlevée de l'inscription de privilège de vendeur prise à son profit contre cette société.

La SNC P... expose que par acte notarié du 21 mars 1990, M. A... a vendu à la SNC M..., aux droits de laquelle elle se trouve, un bien immobilier pour le prix de 3.756.000 Frs réglé comptant à raison de 3 millions de francs, le solde 756.000 Frs payable au moyen d'une dation en paiement dans l'immeuble à édifier.

M. A... s'obligeait à donner mainlevée de l'inscription de privilège de vendeur si son acquéreur lui fournissait une caution bancaire correspondante.

Cette caution intervenue le 22 février 1994 a été signifiée le 18 mars 1994 à M. A... qui lui"oppose un comportement passif".

M. A... explique n'être plus propriétaire ayant "par acte ssp du 2 février 1993 opéré un transfert de droits et une cession de créance" de ses biens et droits immobiliers, visés dans l'acte authentique du 21 mars 1990, au profit de M. B..., qu'il a donc appelé en intervention dans le présent référé.

M. B... conclut d'abord à l'irrecevabilité en la forme, l'assignation ne comportant pas les renseignements exigés permettant d'identifier sans erreur le privilège devant être radié.

M. B... fait valoir ensuite que le juge du fond est saisi d'une action "en nullité "de l'acte constitutif de ce privilège et subsidiairement en résolution de vente sur le fondement de ce "privilège de vendeur avec réserve de l'action résolutoire"; que l'existence de ce procès amènerait le juge des référés à préjudicier au fond, ce que la loi lui interdit s'il venait à faire droit aux prétentions de la SNC.

Il ajoute que par application de l'article 2157 du code civil, le juge des référés est incompétent pour ordonner la radiation totale ou partielle d'une inscription de privilège ou d'hypothèque légale.

La SNC M... s'en rapporte à la justice.

LES MOTIFS DE LA DECISION

Attendu, sur l'exception d'irrecevabilité, que les renseignements permettant l'identification exacte du privilège ont été apportés à l'audience par la SNC P..., qu'il échet, en conséquence, de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée.

Attendu qu'aux termes de l'article 2157 du code civil, les inscriptions sont "rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée."

Attendu que par acte passé le 21 mars 1990 par devant Me..., notaire..., M. A... auteur de M. B., a vendu à la SNC M..., auteur de la SNC P..., un bien immobilier figurant sous le n°... de la section... pour une contenance de ..., au plan cadastral rénové de la commune de M...

Cette vente a été réalisée moyennant le prix de 3.756.000 Frs, réglé à raison de 3.000.000 Frs le jour de l'acte, le surplus, soit 756.000 Frs, converti en la livraison d'un appartement de 45 m² plus balcon dans l'immeuble que les acquéreurs allaient édifier après démolition des locaux existants; un acte ultérieur devant être passé dès que seraient réunies les conditions de sa réalisation définitive.

Pour garantir le paiement de ce solde, le vendeur inscrivait son privilège spécial mais s'obligeait à donner mainlevée de cette inscription :

- si les acquéreurs fournissaient une caution bancaire correspondant à ce solde

- ou au jour de la signature de l'acte ultérieur de dation de l'appartement.

Attendu que cette obligation de M. A... de donner mainlevée de son privilège moyennant la remise d'une caution bancaire d'un montant équivalent s'analyse comme un consentement à cette mainlevée une fois la condition de cautionnement remplie.

Attendu que la SNC M... a bénéficié le 22 février 1994 d'un cautionnement de la banque L... qu'elle a notifié à M. A. par acte extra judiciaire du 18 mars 1994.

Attendu que le consentement de M. A..., auteur de M. B..., ne lui permet pas de contester sérieusement son obligation et d'invoquer la seule compétence du TGI qui est aux termes mêmes de l'article 2157 du code civil exclusive du consentement des parties.

Qu'il échet, en conséquence, de faire droit à la demande de mainlevée du privilège formée par la société P...

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SNC le montant de ses frais irrépétibles, qu'il convient de condamner M. A... à lui payer à ce titre la somme de 3.000 Frs.

Attendu que la présente ordonnance rendue au contradictoire de M. B... et de la SNC M... leur est opposable.

Attendu que M. A... supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Ordonnons la jonction des instances 1442/94 et 1553/94 (1).

Rejetons les exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence soulevées par M. B...,

Donnons acte à la SNC M... de ce qu'elle s'en est rapportée à la Justice,

Ordonnons la mainlevée de l'inscription de privilège de vendeur publiée le... au profit de :

- M.A... demeurant à ....

contre :

- la SNC M... dont le siège est à...

sur un immeuble sis à M..., comprenant ...

pour sûreté de la somme de 756.000 Frs, surplus du prix de la vente passée entre la Société M... et M. A..., convertie en la livraison d'un appartement de ...

Disons que cette mainlevée interviendra sur présentation à M. le Conservateur d'une expédition de la présente ordonnance,

Condamnons M. A... à payer à la SNC P... 3.000 Frs sur la base de l'article 700 du NCPC,

Condamnons M.A... aux dépens".

Une expédition de l'ordonnance de référé susrapportée ayant été remise au conservateur

intéressé, celui-ci, après avoir refusé le dépôt, consulta l'association.

Il lui a été répondu ce qui suit :

"Pour ordonner le 9 juin 1994 la mainlevée de l'inscription de privilège de vendeur en cause, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nice, d'une part a relevé que le vendeur, M. A..., s'est, dans l'acte du 21 mars 1990, engagé à renoncer à cette inscription dès qu'une caution bancaire aura été fournie et, d'autre part, a constaté que cet événement est survenu le 22 février 1994.

M. A..., dans sa défense, sans contester l'existence de l'engagement conditionnel et l'accomplissement de la condition, a objecté que la créance garantie ne lui appartenait plus; il a expliqué que par acte s.s.p. du 2 février 1993, il avait transféré ses droits à M. B... qu'il a, en conséquence, appelé à l'instance.

Ce dernier, pour sa part, a fait valoir que l'action en radiation était irrecevable, faute pour l'auteur de l'assignation d'avoir énoncé la désignation complète de l'inscription à supprimer et qu'au surplus, cette action avait été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Aussi ne paraît-il pas possible de considérer qu'en statuant comme il l'a fait, le juge des référés s'est borné à donner la forme authentique à un accord donné à l'audience; en réalité, il a tranché une contestation et sa décision ne s'apparente en rien à un jugement d'expédient.

Or, pour qu'en l'absence du consentement des "parties intéressées", un conservateur puisse anéantir le signe public du droit d'hypothèque ou de privilège, les auteurs des articles 2157 et 2158 (1er alinéa) du code civil ont exigé "un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée" et donc, sous la seule réserve des voies extraordinaires de recours, un décision qui termine définitivement le procès.

Ce but, toutefois, ne peut être atteint qu'à condition que le terme "jugement" soit pris dans son acception habituelle, laquelle attribue à cet acte l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

Mais la force de vérité légale n'est pas attachée à une ordonnance de référé; elle "est une décision provisoire" (N.C.P.C., art. 484); elle "n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée" et "elle "peut être modifiée ou rapportée en référé en cas de circonstances nouvelles" (ibid., art. 488)."

C'est pourquoi le refus que vous avez opposé doit, semble-t-il, être confirmé en soutenant, même si un certificat de non-appel vous est remis, que la décision de justice à exécuter n'a pas la force exigée à l'article 2157 du code civil mais en s'abstenant d'exciper de l'incompétence du juge, laquelle touchant à la validité même de la décision et non seulement à son efficacité, est une question étrangère aux attributions du conservateur."

Observations :

Cette recommandation doit être rapprochée de celle, contraire, faite sous l'article 1534 du bulletin où il s'agit d'une ordonnance de référé ayant enjoint de radier la publication d'une sommation à un tiers détenteur.

Les raisons de cette divergence sont les suivantes :

Dans le cas de l'ordonnance rendue à DAX ( art. 1534 du bulletin), il est apparu certain que le poursuivant qui, au cours des débats, avait déclaré qu'il ne s'opposait pas à la demande, a, en s'abstenant de former appel, définitivement renoncé à toute contestation.

Dans la présente espèce, le consentement "des parties intéressées" n'a pas semblé présenter le même degré de certitude : M. A..., l'auteur de l'inscription de privilège en cause, loin d'acquiescer à sa suppression a objecté qu'il avait cédé la créance garantie à M. B... et l'a assigné.

Quant à cet ayant-droit, il s'est vivement opposé à la mainlevée; en outre, il a fait état d'une instance en nullité du privilège et subsidiairement, en résiliation de vente, engagée devant le juge du fond.

Or, à ce juge, une décision prise en référé, même devenue définitive, ne s'impose nullement s'il vient à être saisi de conclusions aux mêmes fins.

Dans un tel contexte, il est prudent de s'en tenir à la règle qui veut qu'une ordonnance de référé ne soit pas suffisamment irrévocable pour suppléer au défaut de consentement du bénéficiaire d'une inscription.

 (1) L'instance 1442/94 avait été introduite par l'assignation de M. A.... ET DE LA SNC M... par la société P..., tandis que celle enregistrée sous le numéro 1553 correspond à la mise en cause de M. B. par M. A.

Rapprocher : Bull. A.M.C., art. 1417 et 1551.