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ARTICLE 1748

PUBLICATIONS D'ACTES

Authenticité obligatoire
Acte d'huissier constatant la mainlevée d'un commandement de saisie publié, empiétant sur le monopole accordé aux notaires par l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945
Caractère authentique ( non )

Ordonnance du Vice-Président du Tribunal de grande instance de CAEN
( 11 février 1993 )

Les faits

A la requête des époux P..., un commandement de saisie immobilière a été signifié le 22 janvier 1992 aux époux V... .

Ce commandement a été publié le 20 mars suivant au bureau des hypothèques mais la créance a été payée si bien que la procédure n'a pas été poursuivie.

Toutefois, d'autres dettes des époux V... étant arrivées à échéance, les époux P..., après avoir, dans un exploit d'huissier du 7 août 1992, donné mainlevée du commandement devenu sans objet, en ont fait délivrer un autre, notifié lui aussi aux fins de saisie immobilière.

Mais le conservateur, s'étant abstenu de radier la saisie publiée le 20 mars 1992, s'est fondé sur la règle énoncée à l'article 680 de l'ancien code de procédure civile pour refuser de publier celle concernant le même immeuble, signifiée en second lieu.

Notre collègue a, en effet, relevé qu'en constatant la conclusion de la convention qu'est une mainlevée, l'huissier était sorti de ses attributions légales et que par suite, l'exploit établi à cette fin n'a pas constitué un acte authentique.

Or, selon le 1er alinéa de l'article 4 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, la forme authentique est exigée de tout acte sujet à publicité.

Ce raisonnement n'a pas convaincu les poursuivants qui ont assigné le conservateur devant le juge des référés civils.

En effet, d'après ces demandeurs, 'la forme authentique n'est exigée que dans un souci de protection des créanciers lorsque la mainlevée est demandée par le débiteur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce'.

Statuant sur la requête dont il était saisi, le vice-président du tribunal de grande instance de Caen a débouté ses auteurs par les motifs et dans le dispositif rapportés ci-après :

' AU FOND

' Attendu que le litige n'a plus d'intérêt pratique puisque le délai prévu pour la publication du second commandement est aujourd'hui expiré;

' Attendu que le décret du 4 janvier 1955 ne prévoit pas de dérogation à la règle selon laquelle un acte ne peut être publié s'il ne revêt un caractère authentique; que les époux P... ne pouvaient donc se contenter d'une mainlevée par acte d'huissier; que le conservateur des hypothèques a refusé, à juste titre, de recevoir cette mainlevée; qu'il ne pouvait par la suite publier le second commandement;

' Attendu que les demandes des époux P... ne sont donc pas fondées;

' Attendu que pour des raisons d'équité, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile :'

' PAR CES MOTIFS

' Statuant publiquement, en matière de référé et en premier ressort :

' Constatons la non-comparution des époux V... (1);

' Déboutons les époux P... de leurs demandes;

' Déboutons le conservateur des hypothèques de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles;

' Condamnons les époux P... aux dépens.

OBSERVATIONS

I - Une ordonnance de référé est une décision provisoire, n'ayant pas au principal l'autorité de la chose jugée ( N.C.P.C., art. 484 et 488 ).

Aussi, dans son mémoire en défense, le conservateur, tout en soutenant que la demande des époux P... n'était pas fondée, a relevé que la juridiction devant laquelle il avait été cité n'était habilitée à statuer, ni sur le refus d'exécuter la mainlevée d'un premier commandement de saisie, ni sur celui, corrélatif, de publier le second.

Il a donc soulevé l'incompétence du juge des référés, mais le vice-président du tribunal de Caen est passé outre à cette exception.

II - Ce magistrat a statué au fond et il s'est, pour débouter les demandeurs, fondé sur le fait que l'acte de mainlevée ne constituait pas un acte authentique.

C'est ce que notre collègue avait fait valoir en invoquant le 1er alinéa de l'article 4 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 selon lequel ' tout acte sujet à publicité dans un bureau des hypothèques doit être dressé en la forme authentique '.

Quant à l'objection susrapportée, d'après laquelle la forme authentique n'est obligatoire que si la mainlevée est demandée par le débiteur, elle n'aurait pu être retenue que si les auteurs des dispositions réglementaires dont il s'agit avaient apporté cette restriction.

Or, ainsi qu'il a été noté dans les motifs de la décision, ' le décret du 4 janvier 1955 ne prévoit pas de dérogation à la règle selon laquelle un acte ne peut être publié s'il ne revêt un caractère authentique '.

Etait-il toutefois exact de considérer, comme l'a fait notre collègue, qu'un acte de mainlevée est 'sujet à publicité' et qu'il tombait, dès lors, sous le coup de l'article 4 (1er alinéa) déjà cité ?

Cette question paraît appeler une réponse négative.

En effet, cet acte est seulement destiné à susciter et justifier la radiation opérée par le conservateur. Il ne fait pas partie des documents servant à constituer les registres publics afin, comme il est prescrit à l'article 2196 du code civil, d'être délivrés à tous ceux qui le requièrent.

Il semble, dès lors qu'une erreur de droit ait été commise à la fois par le conservateur et par le juge.

Cette erreur, cependant, est sans incidence pratique car point n'est besoin de qualifier une mainlevée volontaire ' d'acte sujet à publicité ' pour qu'elle ne soit pas susceptible d'être exécutée lorsqu'elle a été constatée dans un acte sous seing privé.

Bien au contraire, pour radier une inscription de privilège ou d'hypothèque, la forme authentique de la mainlevée est exigée au premier alinéa de l'article 2158 du code civil dont la rédaction est demeurée inchangée depuis 1804.

En outre, il a constamment été admis que les conditions de forme posées audit article sont également applicables aux actes portant consentement à la radiation d'un commandement de saisie : voir notamment Jacquet et Vétillard, Traité de la mainlevée d'hypothèque, page 632.

C'est pourquoi, malgré leur motivation contestable, tant le prononcé du refus litigieux que sa validation s'imposaient absolument si, du moins, comme il a été jugé dans l'ordonnance susreproduite, l'exploit d'huissier dans lequel les époux P... ont donné mainlevée n'avait pas effectivement le caractère d'authenticité habituellement attaché aux actes des officiers ministériels.

Telle est la véritable difficulté qui a été résolue dans la présente affaire et qui conduit, pour la complète information de nos collègues, à reproduire deux arrêts de cassation dont le plus ancien aurait suscité un doute qui, heureusement, est complètement levé par le plus récent.

L'arrêt du 8 janvier 1970 ( Cass. civ. 3ème, Bull. civ. 1970 III n° 25 ) a statué sur un pourvoi formé contre un arrêt de cour d'appel n'ayant pas reconnu le caractère d'acte authentique à un exploit d'huissier ayant constaté une promesse unilatérale de vente.

Selon l'analyse qu'en a faite la Haute Juridiction, la décision d'appel avait déclaré nulle, ' en application de l'article 7 de la loi du 19 décembre 1963 (2), comme n'ayant pas été constatée par acte authentique, la promesse de vente immobilière qu'avait consentie demoiselle H... à dame G..., et qui était littéralement reproduite dans un acte, dressé en forme d'exploit, par Me A..., huissier de justice à P..., puis enregistré, et par lequel la bénéficiaire signifiait à la promettante qu'elle acceptait la pollicitation et se réservait de lever ou de ne pas lever l'option '.

Pour justifier cette déclaration de nullité, l'arrêt attaqué a énoncé ' que s'il est exact que les exploits d'huissier de justice ont en principe le caractère d'acte authentique, il n'en est ainsi que dans la mesure où l'huissier de justice qui le dresse agit dans la limite de ses attributions légales et seulement en ce qui concerne les constatations qu'il a faites personnellement '.

Mais la Cour Suprême a cassé cet arrêt, en considérant, sans dire plus, ' qu'en décidant par ce motif, l'arrêt a violé par fausse application le texte susvisé ' (3).

Tout à fait contraire est la position prise dans l'arrêt du 19 février 1991 ( Cass. civ. 1ère, Bull. civ. I n° 65; J.C.P. éd. N II p. 177 ) où il est statué également sur un arrêt d'appel ayant dénié le caractère d'acte authentique à une promesse de vente recueillie sous la forme d'un procès-verbal de constat dressé par un huissier.

L'arrêt attaqué a été approuvé et le pourvoi, en conséquence, a été rejeté par les motifs rapportés ci-après :

' Sur le moyen unique pris en ses deux branches :

' Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que par un premier procès-verbal de constat en date du 14 avril 1987, dressé par Me B... huissier de justice à D..., Mme L... s'est engagée à signer au profit de M. M... une promesse de vente, pour le prix de 33 millions de F, d'un immeuble sis ..., dont elle était copropriétaire avec sa mère, Mme F...; que la date limite de levée d'option a été fixée au 30 avril 1987; que, par un second procès-verbal de constat en date du 23 avril 1987, dressé par le même huissier, le prix de l'immeuble a été porté à 35 millions, et les modalités de paiement modifiées; que, le 28 avril 1987, M. M... a levé l'option, à la fois par lettre recommandée avec accusé de réception et par exploit d'huissier, et a donné rendez-vous aux venderesses chez un notaire pour le 11 mai 1987; que les deux intéressées ne s'étant pas présentées à cette date, M. M... les a assignées en réalisation de la vente; que l'arrêt attaqué (Paris, 28 avril 1989) a déclaré nuls en tant qu'actes authentiques les deux procès-verbaux de constat des 14 et 23 avril 1987, nul également en tant qu'acte sous seing privé le constat du 14 avril 1987, faute d'avoir été soumis à l'enregistrement prescrit par l'article 1840-A du code général des impôts, débouté M. M... de toutes ses demandes, et condamné ce dernier à 50.000 F de dommages-intérêts.

' Attendu que M. M... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, que constitue un acte authentique, tel que défini par l'article 1317 du code civil, l'exploit dressé par un huissier de justice constatant une promesse de vente immobilière, dont il précise exactement les modalités et les conditions d'exécution; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait déclarer nuls en tant qu'actes authentiques les procès-verbaux des 14 et 23 avril 1987 dressés par Me B..., huissier de justice, et constatant la promesse de vente des dames L... et F..., sans violer le texte susvisé; et alors, d'autre part, que si le procès-verbal du 23 avril 1987 faisait référence à celui du 14 avril 1987 dont il reprenait certaines dispositions, il n'en contenait pas moins tous les éléments requis pour la validité ''

de la promesse de vente; qu'il était donc autonome, se suffisait à lui-même, et pouvait être dissocié de l'acte du 14 avril 1987; que la promesse de vente contenue dans le procès-verbal du 23 avril 1987 ayant été acceptée par M. M... le 28 avril suivant, l'acte en question était donc devenu un acte synallagmatique non soumis quant à sa validité, à l'exigence d'un enregistrement dans les 10 jours; qu'ainsi, l'arrêt attaqué n'a pu refuser de considérer cet acte du 23 avril 1987 comme un acte sous seing privé constatant une promesse de vente acceptée valant vente parfaite, qu'en méconnaissance des termes de cet acte et en violation de l'article 1134 du code civil;

' Mais attendu, d'abord, qu'en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 (4) , les notaires disposent d'un monopole pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité publique; que l'huissier, officier ministériel, ne saurait, sans empiéter sur le monopole des notaires et sans sortir de ses attributions, constater l'existence d'une convention; que c'est donc à bon droit, en l'espèce, que la cour d'appel, après avoir relevé qu'une promesse de vente avait été recueillie sous la forme d'un procès-verbal de constat, a décidé que ce procès-verbal ne constituait pas un acte authentique et qu'il ne pouvait, par application de l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, valoir qu'à titre de simples renseignements;

' Attendu, ensuite, que c'est dans l'exercice de leur pouvoir souverain que les juges du second degré ont estimé que le second acte du 23 avril 1987 n'était pas un acte autonome et qu'il ne pouvait être dissocié du premier acte du 14 avril 1987; qu'ils en ont exactement déduit, par application de l'article 1840-A du code général des impôts, que la promesse unilatérale de vente recueillie dans ce premier acte du 14 avril 1987 était nulle, faute d'avoir été enregistrée dans le délai de 10 jours;

' Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses deux branches. '

Cet arrêt a été soigneusement motivé et c'est à la jurisprudence qui en résulte que le juge des référés civils de Caen s'est conformé en décidant que pour satisfaire à la règle de l'authenticité obligatoire, les demandeurs ' ne pouvaient se contenter d'une mainlevée par acte d'huissier '.

Bien entendu, ce qui est vrai pour les mainlevées vaut également pour tout document qui n'entre pas expressément dans ses attributions légales et qui, remis à un bureau des hypothèques en vue de l'exécution d'une formalité civile prescrite, est au nombre des ' actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique '.

Lorsqu'un tel document a été établi par un huissier en dehors des limites de ses attributions légales, son dépôt doit être refusé pour défaut de caractère authentique et ce, en invoquant l'arrêt de cassation du 19 février 1991, ainsi que les dispositions législatives dont, en en faisant application, cette décision de justice a explicité le sens et la portée.

Ces dispositions sont celles à la fois de l'article 1317 du code civil et de l'article 1er de chacune des deux ordonnances du 2 novembre 1945 relatives respectivement au statut du notariat et à celui des huissiers.

 (1) Les époux P... avaient appelé les débiteurs à l'instance et demandé que la décision à intervenir leur soit déclarée opposable.

(2) L'article 7 de la loi du 19 décembre 1993 a été codifié sous l'article 1840 A du code général des impôts.

(3) Qui était l'article 1317 du code civil.

(4) Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 Novembre 1945 relative au statut du notariat, ' les notaires sont des officiers publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions '.