Retour

ARTICLE 1758

PROCEDURE

MENTIONS EN MARGE

Action contre le conservateur

Citation en référé afin d’obtenir en définitive l’adjonction à un jugement publié d’une mention signalant que ce jugement est frappé d’appel

Demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour instance abusive

Rejet de l’une et l’autre de ces prétentions

Ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Créteil

du 12 décembre 1996

Faits : Le demandeur est un mandataire judiciaire, Me P..., qui a été chargé d’assurer la liquidation de la S.C.I. D... Ce mandataire, dans l’exercice de ses attributions, a, avec l’autorisation du juge-commissaire, fait procéder à la vente à la barre du tribunal de grande instance de Créteil de lots de copropriété appartenant à la société qu’il représente.

A l’issue des enchères, la société R... a, suivant un jugement du 13 juin 1996, été déclarée adjudicataire desdits lots; mais il est rapidement apparu à Me P... qu’il y avait eu, en réalité, vente de la chose d’autrui.

En effet, le titre de la société D..., constitué par un acte de vente du 29 août 1990 conclu avec Mme J..., avait été résolu par un jugement qui, rendu le 25 septembre 1995 par le tribunal de grande instance déjà cité, n’avait été publié au bureau des hypothèques que le 12 août 1996.

La demande de résolution a été formée par M. B... agissant en tant qu’ayant-cause de Mme J... (1) mais, n’ayant pas été publiée, elle aurait dû, selon Me P..., être déclarée irrecevable en application du 5 de l’article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955.

C’est dans ce contexte que Me P..., qui indique avoir interjeté appel du jugement du 25 septembre 1995, a assigné en référé à la fois M. B..., le conservateur du 4ème bureau de C... et la société R... Dans ses conclusions initiales, le demandeur a conclu à ce que soit ordonnée la radiation de la publication opérée le 12 août 1996. Mais à l’audience, Me P..., " prenant acte des arguments invoqués par le conservateur des hypothèques, qu’il entend ne pas contester ", a réduit sa prétention.

Il s’est borné à solliciter que " soit publiée une mention supplétive précisant que le jugement du 25 septembre 1995 est frappé d’appel ".

Cette demande a été rejeté par le juge des référés de Créteil par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après:

" MOTIFS DE LA DECISION

Il convient de donner acte à Me P... ès-qualité de la modification de sa demande. Il y a lieu de retenir une contestation sérieuse alors qu’il est justifié par les pièces produites que le jugement du 25 septembre 1995 a été publié accompagné d’un certificat de non appel et qu’en conséquence, la recevabilité même de la voie de recours est discutée.

La procédure n’apparaissant pas manifestement abusive, il n’y a pas lieu à dommages-intérêts au profit de Monsieur le Conservateur du 4ème bureau des hypothèques de C... En revanche, il apparaît équitable d’accorder à ce dernier ainsi qu’à M. B..., 4 000 francs chacun au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

(1) Ayant prêté de l’argent pour financer l’acquisition de l’immeuble, M. B... avait été subrogé dans l’action résolutoire du vendeur, Mme J...

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement en référé par ordonnance contradictoire et en premier ressort:

Donne acte à Me P... ès-qualité de la modification de sa demande à l’audience;

Dit n’y avoir lieu en référé en raison de la contestation sérieuse soulevée par les défendeurs;

Déboute Monsieur le Conservateur du 4ème bureau des hypothèques de C... de sa demande en dommages-intérêts;

Condamne Maître P..., ès-qualité, à payer à Monsieur le Conservateur du 4ème bureau des hypothèques de C... et à Monsieur B... une somme de 4 000 francs chacun au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ".

Observations: Ainsi, après avoir dans l’assignation, conclu à ce que soit ordonnée la radiation de la publication d’un jugement prononçant la résolution d’une vente immobilière, le demandeur, au cours des débats, s’est borné à solliciter l’apposition au registre public d’une mention signalant que ce jugement est frappé d’appel.

A cette prétention résiduelle, les défendeurs n’ont pas acquiescé et la contestation qu’ils ont élevé à son sujet a, dans l’ordonnance susrapportée, été qualifiée de sérieuse. Et c’est parce que les moyens de défense ont semblé plausibles que le demandeur a été débouté.

En effet, d’après l’article 808 du nouveau code de procédure civile, seules des mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse peuvent être ordonnées par le président du tribunal de grande instance statuant en référé. Mais logiquement, la reconnaissance du sérieux de la défense implique que le rejet au fond de la demande n’est pas d’ores et déjà certain.

Aussi, en l’espèce, le juge des référé a-t-il décidé que la procédure engagée par M. P... n’était pas " manifestement abusive " et il a, en conséquence, refusé à notre collègue les 5 000 francs de dommages-intérêts qu’il avait demandés.

Et pourtant, la réalité était différente de l’apparence ainsi créée dès lors que la difficulté à trancher se ramenait au point de savoir si un conservateur peut être condamné à ajouter une mention à un document publié autre qu’un commandement de saisie ou une inscription de privilège ou d’hypothèque.

La réponse à donner à une telle question était évidente: elle était nécessairement négative eu égard au principe de la pérennité et de l’intangibilité des publications.

Quant aux dommages-intérêts demandés sur le fondement de l’article 1382 du code civil, ils n’étaient pas susceptibles d’être accordés, qu’il y ait eu ou non abus du droit d’ester en justice.

En effet, la demande qui tend à l’allocation non d’une provision, mais de dommages-intérêts, échappe à la compétence du juge des référés (Cass. Civ. 2° 27 janvier 1993, Bull. civ. II, n° 38).

Ces deux principes, l’intangibilité des documents publiés, d’une part, le fait, d’autre part, que les pouvoirs d’un juge des référés ne s’étendent pas à la fixation de dommages-intérêts sont bien établis; toutefois, dans la présente décision de justice, ils ont été à tort occultés; il semble donc utile de les rappeler.

Rapprocher: Bull. AMC, art. 1673 (dernier alinéa) et 1702.