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ARTICLE 1778

PUBLICATIONS D’ACTES

Actes soumis ou admis à publication
Acte portant quittance du prix d’une licitation immobilière et constatant à la fois la non-publication et l’extinction du privilège du copartageant
Acte n’entrant pas dans le champ d’application de la publicité foncière

Arrêt de la Cour d’appel de Paris ( 2ème chambre, section B ) du 18 septembre 1997

Faits : Le recours sur lequel la Cour de Paris a statué le 18 septembre 1997 est celui formé contre un jugement reproduit et commenté à l’article 1717 du Bulletin, auquel, afin d’être informé de l’objet du litige, le lecteur est invité à se reporter.

A ce jugement qui l’a débouté de toutes ses demandes, Me S... n’a pas acquiescé.

Devant la Cour, ce notaire, comme il l’avait fait en première instance, a conclu à ce qu’il soit ordonné " au conservateur de procéder à la publication de l’acte de quittance reçu par l’office notarial Y... S... et A... R... le 9 novembre 1993 avec effet à la date de la première remise de ce document à la conservation, c’est-à-dire le 9 décembre 1993 ".

A cette fin, il a persisté à invoquer une interprétation erronée du principe de la légalité des refus édicté à l’article 2 199 du code civil.

Il a tout d’abord fait grief aux premiers juges d’avoir violé ce texte " en lui ajoutant une condition qu’il ne comporte pas ".

Cette condition est celle consistant à exiger que la formalité requise soit " susceptible d’affecter la situation juridique d’un immeuble ".

Cette critique dans les observations en réplique est devenue moins catégorique.

En effet, il y a été exposé que " le terme utilisé  de " situation juridique de l’immeuble " a un sens très large puisque les textes ont prévu la publication des servitudes et des baux de plus de 12 ans alors que ces documents n’ont aucune influence sur le droit de propriété des immeubles et n’ont d’influence que sur leur valeur économique ".

A ce moyen qui n’est que la réitération de ce qui a été vainement plaidé en première instance, l’appelant a ajouté celui tiré de ce qu’ " une quittance est l’un des actes déclaratifs dont la publicité est rendue obligatoire par le "e" de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955 ".

Il a également été soutenu que " les conservateurs des hypothèques n’étant juges ni de la validité, ni de la portée des actes qui leur sont remis en vue de leur publication, ne peuvent fonder un refus de dépôt ou un rejet de formalité sur le fait que l’acte serait, selon eux, de nature purement mobilière puisqu’ils ne peuvent pas être juges de cette qualification ".

Enfin, il a été relevé que " si la quittance de la soulte avait figuré dans le partage, elle aurait été publiée avec ce dernier et aurait été connue des tiers " et dès lors, selon le demandeur, " rien ne justifie que cette quittance ne puisse faire l’objet d’une publication du fait qu’elle résulte d’un acte postérieur et qu’elle doit, de ce fait conserver un caractère secret vis à vis des tiers ".

Ces prétentions ont été rejetées par la Cour de Paris qui par les motifs rapportés ci-après a confirmé le jugement entrepris :

" Considérant que l’acte notarié de licitation en date du 21 mai 1986 a expressément stipulé que les soeurs D... convenaient que le prix fixé à 150 000 F, à acquitter par la cessionnaire serait payable dans un délai de 5 ans à compter du 1er juin 1986 au moyen de 60 mensualités de 2 500 F chacune; que la cessionnaire serait propriétaire et aurait la jouissance exclusive de la totalité du bien dès la signature de l’acte de licitation, la cédante renonçant en outre à la publication de son privilège de copartageant ;

" Que cet acte a été publié le 3 juillet 1986 au ... bureau des hypothèques de P... ;

" Considérant que l’acte notarié en date du 9 novembre 1993 intitulé " Quittance de prix de vente " indique à la rubrique " Quittance " que " le vendeur reconnaît que le prix de la vente précitée lui a été entièrement réglé en principal, intérêts et accessoires et en donne quittance à Mademoiselle D..., sans réserve. Par suite de ce paiement, le privilège de copartageant est éteint et ne peut plus être publié " ;

" Qu’à la suite, le notaire requérait le conservateur des hypothèques de P... de publier l’acte ;

" Considérant, en premier lieu, qu’il convient de rechercher la nature juridique de l’acte de quittance dressé par le notaire, acte distinct de l’acte de licitation, étant en outre observé qu’il n’en constitue nullement un accessoire ;

" Considérant que l’acte de quittance est un écrit par lequel le créancier reconnaît qu’il a reçu paiement de sa créance ou par extension que le débiteur a satisfait à son obligation ;

" Considérant que, comme l’a relevé à juste titre le tribunal, le paiement à terme du prix de cession, qui n’a donné lieu en outre à la prise par la cédante d’aucune garantie immobilière ne concernait que les rapports personnels des parties à ladite cession et n’affectait pas, aux yeux des tiers, la situation juridique de l’immeuble, dont le transfert de la propriété avait été immédiatement constaté dans l’acte de licitation du 21 mai 1986 régulièrement publié ;

" Qu’il faut en outre préciser que l’acte de licitation ne contenait aucune restriction du droit de disposer du bien de la cessionnaire ce qui a été porté à la connaissance des tiers par la publication de l’acte; que ces derniers ont eu aussi connaissance de l’absence d’inscription du privilège du copartageant institué par l’article 2103, al. 3 du code civil, la cédante y ayant renoncé ;

" Considérant, en deuxième lieu, que la publicité foncière a pour but d’assurer la publicité des droits sur les immeubles et est destinée à prévenir les tiers d’un droit de propriété ou encore de la constitution de droits réels ou de charges grevant la propriété d’un bien immobilier ;

" Considérant qu’il se déduit des éléments de fait ci-dessus rappelés qu’ en l’espèce, la quittance du paiement de la soulte est indiscutablement de nature purement mobilière et n’entre pas dans le champ d’application de la publicité foncière; que dès lors, tous les textes revendiqués par l’appelante (1) sont totalement inopérants au soutien de ses demandes ;

" Considérant que la lecture raisonnée de l’argumentation de l’appelante démontre, s’il en était encore besoin, la nature mobilière de l’acte dressé par le notaire qui la conteste, en s’attachant aux seules énonciations de l’acte par rapport à leur finalité ;

" Qu’en effet, la réquisition du notaire tend à faire publier un acte notarié qu’il a lui-même dressé, qui constate que la soulte a été acquittée par le cessionnaire, ( ce qui n’affecte en rien le transfert de propriété ); que le privilège de copartageant qui n’a pas été publié, ( la cédante ayant renoncé à sa publication ) se trouve éteint par le paiement de sorte que ledit privilège n’a plus besoin d’être publié et que la cédante se trouve désormais dans l’impossibilité d’une résolution pour défaut de paiement de la soulte ;

" Que toutes ces indications concernent directement les droits de la cédante dans ses rapports avec la cessionnaire, donc leurs rapports personnels, et sont manifestement sans aucune incidence sur la propriété de l’immeuble; qu’elles ne font pas plus état de la moindre mutation de droits réels immobiliers  ;

" Considérant, en troisième lieu, qu’il ne saurait être fait grief au conservateur des hypothèques d’avoir examiné l’acte notarié  qui lui était soumis, pour déterminer s’il relevait ou non des actes soumis à la publicité foncière obligatoire ou facultative ou de sa sphère de compétence et d’avoir ainsi procédé à une simple analyse de l’acte lui permettant de motiver son refus de dépôt ou le rejet de la formalité; qu’il possède dans ce cas un pouvoir d’analyse en raison de la nature de ses fonctions en tant qu’agent " que la Loi a placé comme intermédiaire entre la propriété et les tiers " ;

" Considérant que, dès lors, le conservateur des hypothèques, comme l’ont décidé les premiers juges, était donc parfaitement fondé à refuser le dépôt et la publication de l’acte de quittance litigieux ;

" Que c’est à bon droit que la SCP S... ( anciennement dénommée SCP S... et A...R...) a été déboutée de ses demandes ;

" Considérant que les appelants doivent être condamnés aux dépens ;

PAR CES MOTIFS , LE TRIBUNAL

" Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

" Condamne la SCP S... et Maître Y... S... aux dépens d’appel,

" Admet la SCP F... et A..., avoués, au bénéfice des dispositions de l’article 699 du NCPC "

Observations : A priori, on ne comprend pas pourquoi l’officier ministériel qui avait requis vainement la publication de l’acte en cause a poursuivi si obstinément l’annulation d’un refus qui, pourtant, était manifestement sans incidence sur les intérêts des parties contractantes.

Certes, dans cet acte, Mme Renée D... a, à sa soeur Lucienne, donné quittance du prix de l’appartement qui avait été licité, mais ni l’une, ni l’autre de ces copartageantes n’avait la moindre raison de vouloir que cette quittance soit intégrée dans le registre public.

A aucune d’elles, en effet, la formalité voulue par leur notaire, pas plus d’ailleurs que la publication d’un autre acte, n’était susceptible d’apporter un quelconque avantage.

La cédante avait été entièrement payée " en principal, intérêts et accessoires " et elle n’avait pas fait procéder à l’inscription du privilège du copartageant; elle n’avait pas, par suite, à consentir à sa radiation.

Quant à la cessionnaire, elle détenait un titre de propriété qui avait été publié le 23 juillet 1986 (2) si bien qu’elle se trouvait déjà à l’abri des revendications qui viendraient à être formées par des tiers ayant, sur le même immeuble, acquis du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions non publiés ou publiés depuis.

C’est pourquoi, comme l’avaient fait les premiers juges, la Cour d’appel, dans les motifs ayant servi de support à sa décision a tenu à relever que " le paiement à terme du prix de cession, qui n’a donné lieu en outre, à la prise par la cédante d’aucune garantie immobilière, ne concernait que les rapports personnels des parties à ladite cession et n’affectait pas, aux yeux des tiers, la situation juridique de l’immeuble dont le transfert de propriété avait été immédiatement constaté dans l’acte de licitation du 21 mai 1986 régulièrement publié ".

Mais pour Me S..., l’inutilité de la formalité tant pour les parties que pour les tiers ne constituait pas nécessairement un élément d’appréciation décisif.

Depuis quelques années, il utilisait certains des actes qu’il recevait pour tester de nouvelles formules qui, quoique diverses, étaient toutes destinées à empêcher les conservateurs de radier les inscriptions.

Or, l’un des stratagèmes ainsi échafaudés consistait à substituer aux mainlevées après paiement des actes n’emportant pas consentement à radiation et à en requérir la publication.

Dans ces actes, les créanciers donnaient quittance à leur débiteur et le notaire rédacteur certifiait que " le privilège (ou l’hypothèque) est éteint de plein droit par application de l’article 2180 du code civil et que sa publication a cessé de produire effet à compter du présent acte ".

Cette manoeuvre a été mise en échec par la jurisprudence qui a décidé que ces quittances caractérisaient un renoncement à la garantie et que, partant, la radiation était obligatoire ( Douai 22 octobre 1992, bull. AMC, art. 1540; Cass. Civ. 3° 13 juillet 1994, ibid. art. 1639 ).

L’impossibilité de publier qui, de la sorte, a été reconnue est fondée sur le pouvoir de contrôle dévolu au conservateur et qui " s’étend à la validité au fond de la mainlevée totale d’une inscription hypothécaire " ( Cass. Civ. 3°, 9 février 1994, bull. AMC, art. 1604 ).

Aussi, cette jurisprudence ne saurait-elle faire obstacle à la publication d’une quittance constatant un remboursement qui n’était garanti par aucune inscription.

De là, l’obstination de Me S... à parvenir à faire intégrer au registre des publications des droits sur les immeubles autres que les privilèges et les hypothèques une quittance où il est exposé que " le privilège du copartageant est éteint et ne peut plus être valablement publié ".

Si, en effet, une telle quittance est déclarée publiable, pourquoi n’en sera-t-il pas de même de celle assortie de la certification - rapportée ci-dessus - de l’extinction d’un droit de privilège ou d’hypothèque qui, lui, a été inscrit ?

Certes, cette transposition est discutable, mais elle n’apparaît pas manifestement dénuée de fondement.

A coup sûr, la controverse aurait été rouverte si, dans la présente affaire, le refus du conservateur avait été annulé; mais il ne l’a pas été et il ne pouvait pas l’être car aucun des moyens dirigés contre cette décision n’était pertinent.

Tout d’abord, même s’il n’a pas décelé dans le document qui lui est remis une anomalie formelle qualifiée de cause de refus du dépôt ou de rejet de la formalité par une disposition législative ou réglementaire, un conservateur n’est pas systématiquement tenu de le répertorier au fichier immobilier et de l’incorporer dans l’un des registres publics placés sous sa garde.

C’est pourtant le contraire que Me S... a soutenu jusqu’au bout, mais à tort, eu égard aux principes généraux de la publicité foncière tels qu’ils sont appliqués par la réglementation en vigueur. En particulier, selon le second alinéa de l’article 1er du décret du 4 janvier 1955, " le fichier immobilier présente, telle qu’elle résulte des documents publiés, la situation juridique actuelle des immeubles ".

Or, lorsque, pour l’immeuble qui y est désigné, le document à formaliser ne contient aucune disposition contribuant à définir la situation juridique de ce bien, il ne peut pas être résumé sur les fiches.

En conséquence, il doit, d’emblée, être écarté.

Tel est le cas des actes ou décisions juridictionnelles qui, à la fois, sont étrangers aux inscriptions et qui n’emportent aucune création, mutation, modification, constatation ou consolidation d’un droit immobilier autre qu’un privilège ou une hypothèque.

Pour opérer ce tri, le conservateur, ainsi qu’il est justement affirmé dans l’arrêt susrapporté " possède un pouvoir propre d’analyse en raison de la nature de ses fonctions en tant qu’agent que la loi a placé comme intermédiaire entre la propriété et les tiers ".

Par suite, en l’espèce, en constatant que la quittance délivrée le 9 novembre 1993 était purement mobilière, notre Collègue a fait un usage régulier des pouvoirs qui lui sont conférés; puis, en considérant que cette quittance n’entrait pas dans le champ d’application de la publicité foncière, il a tiré de la constatation qu’il avait effectuée une conséquence juridiquement correcte.

C’est ce que la Cour de Paris a jugé en termes exprès et elle a, en conséquence, rejeté les moyens de l’appelant parce que reposant sur des textes " totalement inopérants ".

La qualification ainsi donnée aux prétentions de l’appelant vaut tant pour le moyen fondé sur la prétendue violation du principe de la légalité des refus édicté à l’article 2199 du code civil, que pour celui ayant consisté à voir, dans la quittance, l’un des actes déclaratifs visés au 4°e de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955.

En effet, dès lors que le document à formaliser est extérieur au champ d’application de la publicité foncière, le conservateur a l’obligation, et non la simple faculté, de ne pas l’accepter.

En la circonstance, cet agent public a une compétence liée: il est tenu de refuser le dépôt de l’acte bien qu’il n’existe aucun texte le prévoyant expressément et sans qu’il ait à s’interroger sur les caractères propres de la convention qui y est énoncée.

Il n’a pas notamment à rechercher si elle a ou non un caractère déclaratif.

Bien entendu, ce faisant, il agit sous le contrôle a posteriori de l’autorité judiciaire mais sans, quoiqu’en ait pensé l’appelant, qu’il puisse lui être fait grief de s’être érigé en juge de la validité des actes des notaires.

Tels sont les commentaires que la décision d’appel susreproduite paraît appeler et contre elle, Me S... ne s’est pas pourvu en cassation.

Elle aura donc mis le point final à un contentieux qui, sous l’apparence de voir ordonner une publication dénuée de toute utilité, avait pour seul but de relancer une contestation déjà jugée.

Rapprocher: Bull. AMC art. 1717