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ARTICLE 1783

SAISIES

Mainlevée judiciaire
Radiation opérée à la requête du poursuivant ayant acquiescé au jugement l’ayant ordonné
Annulation de la radiation demandée par le débiteur ayant obtenu le jugement de mainlevée
Demande irrecevable et abusive

Jugement du juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de Tours du 17 septembre 1997

Faits : Statuant le 25 mars 1997 sur un incident de saisie immobilière soulevé par le débiteur, M. C..., le tribunal de grande instance de Tours a rendu un jugement dont le dispositif est rapporté ci-après :

" - Déclare nul et de nul effet le commandement aux fins de saisie immobilière délivré le 1er octobre 1996 à M. C... ;

 " - Ordonne la radiation de la présente procédure de saisie immobilière et dit que sur la remise d’une expédition du présent jugement signifié et définitif, Monsieur le conservateur du Premier bureau des hypothèques de T... pourra être requis de rayer de ses registres la publication du commandement susénoncé et des actes de procédure postérieurs ;

"  - Condamne le C... L... à payer à Monsieur C... la somme de 10 000 F (dix mille francs) à titre de dommages-intérêts et une indemnité de 5 000 F (cinq mille francs) pour frais irrépétibles ;

"  - Déboute le C... L... de sa demande fondée sur l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;

"  - Condamne le C... L... aux dépens de la présente instance et dit qu’il conservera la charge des frais de la procédure de saisie immobilière annulée ;

"  - Accorde à Maître B..., avocat, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de procédure civile ".

L’avocat du C... L..., et donc du poursuivant, s’est fait délivrer une expédition de ce jugement; il y a joint un acte en date du 21 avril 1997, établi par lui au nom de son client, où il " déclare acquiescer à tous les chefs du jugement rendu le 25 mars 1997 par le tribunal de grande instance de tours et renoncer à exercer quelque recours que ce soit ".

Se fondant sur ces justificatifs, l’avocat qui les avait réunis a, en les présentant, requis le conservateur de radier la publicité du commandement déclaré nul et de nul effet et, à cette demande, notre collègue a déféré le 3 juin 1997.

Mais, par exploits séparés, signifiés les 7 et 8 juillet 1997, à la fois le C... L... et le conservateur furent assignés par Monsieur C... devant le juge des référés afin que la suspension de la radiation soit ordonnée.

L’action ainsi engagée donna lieu à une ordonnance en date du 12 août 1997 dont les motifs et le dispositif sont reproduits ci-après :

" Attendu que la chambre des saisies immobilières a épuisé sa saisine en prononçant la nullité du commandement et en ordonnant la radiation de la procédure ;

" Attendu qu’en revanche, la demande soulève une difficulté d’exécution du jugement rendu par cette chambre le 25 mars 1997 ;

" Attendu qu’en effet, la question est de savoir si l’acquiescement du C... L... autorisait l’exécution du jugement, et donc la radiation du commandement, en dépit de l’exigence d’un "jugement signifié et définitif " ;

" Attendu que cette question relève de la compétence du juge de l’exécution ;

" Attendu que l’article L. 311-12-1, alinéa 4, du code de l’organisation judiciaire impose à tout juge autre que le juge de l’exécution de relever d’office son incompétence ;

" Qu’il convient de se déclarer incompétent au profit du Juge de l’exécution ;

" PAR CES MOTIFS

" Nous, Juge des référés,

" Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

" Nous déclarons incompétent au profit du juge de l’exécution de ce Tribunal,

" Renvoyons à l’audience de ce juge du mercredi 3 septembre 1997 à 10 h 30,

" Réservons les dépens ".

A la suite de cette décision, l’instance se poursuivit devant le juge de l ’exécution qui, par un jugement du 17 septembre 1997, déboutât le demandeur en énonçant les dispositions suivantes :

" Les défendeurs font valoir que l’acquiescement du C... L... a rendu la signification inutile, qu’un éventuel appel de Monsieur C... aurait été déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt et que le conservateur a justement procédé à la radiation du commandement conformément aux dispositions des articles 504 et 506 du Nouveau code de procédure civile.

" Le C... L... voit dans la demande " une manoeuvre d’obstruction dans le but de retarder ou même d’empêcher toute nouvelle procédure de saisie immobilière ;

" C’est pourquoi il sollicite une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

" En outre, le C... L... et le conservateur sollicitent chacun une indemnité de 3 000 F sur le fondement de l’article 700 du N.C.P.C.

" SUR CE,

" Attendu qu’aux termes de l’article 31 du Nouveau code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ;

" Attendu qu’en l’espèce, Monsieur C... n’a pas d’intérêt légitime au respect de la lettre du jugement du 25 mars 1997, puisque, l’ordre de radiation étant devenu exécutoire, la radiation effective du commandement lui a donné satisfaction, sans pour autant le priver du droit de faire appel sur le quantum des dommages-intérêts que le tribunal lui a alloués ;

" Qu’il convient de déclarer la demande irrecevable ;

" Attendu que cette demande paraît même abusive puisqu’elle tend, pour un motif inavouable, à rétablir ce qui, dans une autre procédure, a été dénoncé comme une cause de préjudice ;

" Qu’il sera alloué au C... L... une somme de 2 000 F à titre de dommages-intérêts ;

" Attendu qu’enfin, il paraît inéquitable de laisser à la charge des défendeurs leurs frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS

" Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;

" Déclarons la demande irrecevable ;

" Condamnons Monsieur C... à payer au C... L... une somme de 2 000 F (deux mille francs) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

" Condamnons Monsieur C... à payer au C... L... et au conservateur des hypothèques, à chacun, une indemnité de 3 000 F (trois mille francs) sur le fondement de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

" Condamnons Monsieur C... aux dépens de l’instance ".

Observations : D’emblée, l’affaire apparaît paradoxale.

En effet, M. C..., le demandeur, est le débiteur saisi et il veut faire rétablir la publicité d’un commandement délivré à son encontre dont, pourtant, il a lui-même obtenu en justice la mainlevée.

Il a pour contradicteur les deux personnes assignées par lui devant le juge des référés qui, après s’être déclaré incompétent, a renvoyé les parties devant le juge de l’exécution.

Ces personnes sont le C... L... et donc le poursuivant, ainsi que le conservateur qui, à la requête de ce créancier, a opéré la radiation dont la suppression est demandée.

Au soutien de cette prétention, M. C... invoque le passage susreproduit du jugement du 25 mars 1997 rendu par la chambre des criées où l’injonction de radier, adressé au conservateur du 1er bureau des hypothèques de T..., est subordonnée à " la remise d’une expédition du présent jugement signifié et définitif ".

Or, fait-il valoir, ce jugement n’a pas été notifié si bien que le délai de recours n’a pas commencé à courir et qu’en conséquence, il n’a pas pu être fourni un certificat de non appel.

Mais ce raisonnement n’est pas convaincant.

Certes, en cas de mainlevée judiciaire d’une saisie, un conservateur ne peut valablement radier la publicité d’un commandement qu’au vu d’une décision juridictionnelle rendue exécutoire à l’égard du poursuivant et passée en force de chose jugée.

Généralement, l’accomplissement de ces deux conditions résulte d’un certificat de non-appel établissant à la fois que le jugement a été notifié, que le délai de recours est arrivé à son terme et que, dans ce délai, aucun appel n’a été formé.

C’est ce qui est prévu au deuxième tiret du second alinéa de l’article 504 N.C.P.C.

En l’espèce, toutefois, le conservateur ne pouvait pas demander la production de ce certificat dès lors qu’en son lieu et place, il lui était présenté un acte d’acquiescement pur et simple.

Au vu de cet acte et comme il résulte du premier tiret du même second alinéa, notre collègue devait, comme il l’a fait, exécuter l’ordre de radier contenu dans le jugement dont une expédition lui avait été remise.

Aussi, le juge de l’exécution aurait-il certainement reconnu la validité de la radiation s’il avait statué sur le fond.

Mais il n’avait pas à le faire dès lors qu’il décidait d’opposer à l’action engagée par M. C... la fin de non recevoir tirée de ce que son auteur n’avait aucun intérêt légitime au succès de sa prétention.

En effet, ce demandeur a fait prononcer l’annulation judiciaire du commandement qu’il souhaite maintenant voir devenir à nouveau un document public, accessible à tous ceux qui le requièrent.

Un tel retournement est vraiment insolite et il ne peut avoir d’autre raison que celle d’empêcher le C... L... de reprendre les poursuites et ce, en jouant sur les dispositions de l’article 680 de l’ancien code de procédure civile d’où il ressort que " saisie sur saisie ne vaut ".

C’est ce dont, dans le jugement du 17 septembre 1997 susrapporté, le juge de l’exécution du T.G.I. de Tours a fait grief à M. C... en déclarant son étrange prétention irrecevable, en la qualifiant d’ " abusive " et en lui reprochant d’avoir " un motif inavouable ".

A ce jugement, toutefois, ce plaideur inflexible n’a pas acquiescé; il a interjeté appel et, sans exposer aucun argument sérieux, il persiste à soutenir devant la Cour d’Orléans que sa demande est recevable et fondée.