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Art. 1790

PROCEDURE

ETATS HYPOTHECAIRES

Action engagée devant le tribunal de grande instance par un propriétaire se plaignant de l’inobservation par son voisin d’une servitude conventionnelle de " non aedificandi "
Demandeur et défendeur ayant produit des états de renseignements hypothécaires apparemment contradictoires
Révélation ou non d’une servitude de " non aedificandi " selon qu’il est fait réponse à une réquisition réelle et personnalisée ou seulement réelle.
Tribunal ayant décidé avant-dire droit de recueillir l’avis du conservateur
Conduite à tenir

Jugement du tribunal de grande instance de Périgueux du 18 mars 1997

Faits : Au conservateur du bureau de Périgueux, le secrétaire-greffier du tribunal de grande instance siégeant dans cette ville a envoyé copie d’un jugement rendu le 18 mars 1997 par ce tribunal statuant à juge unique.

Dans ce jugement, son auteur procède tout d’abord à "  l’exposé du litige " où il relate notamment tant l’objet et l’état de l’instance que les moyens et prétentions des parties.

Il le fait dans les termes reproduits ci-après.

" Par acte d’huissier en date du 31.10.95, les époux M... ont fait assigner M. T... et Mme L... devant le tribunal de Périgueux à l’effet:

" - en référé, d’obtenir l’interruption immédiate des travaux de construction entrepris par les défendeurs;

" - au fond, d’obtenir la condamnation des consorts T.../L... à faire démolir la construction qu’ils ont entreprise en violation de la servitude de prospect et à leur payer la somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts, outre celle de 5 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

" Ils ont exposé à l’appui de leurs demandes que la clause instituant la servitude de prospect avait régulièrement été publiée à la conservation des hypothèques le 16-09-74 et n’avait pas fait l’objet d’une suppression depuis cette date.

" Par ordonnance du 7 décembre 1995, le juge des référés a déclaré la demande des époux M... irrecevable.

" Suivant conclusions dernières en date, les époux M... ont soutenu que l’état hypothécaire dressé le 11-10-1995 démontre que la servitude de prospect n’a pas été radiée. Ils ont encore observé que le fait d’avoir acquis leur immeuble en état de délabrement avancé ne pouvait priver d’effet la servitude établie au profit de leur fonds.

" Les consorts T...L... ont conclu au rejet des demandes adverses aux motifs que l’acte de vente du 28-02-85 ne mentionnait l’existence d’aucune servitude, que la servitude de non aedificandi ne figurait pas à l’état hypothécaire de leur immeuble et que cette servitude avait été radiée antérieurement.

" Ils ont sollicité la condamnation à titre reconventionnel des époux M... au paiement d’une somme de 25 000 francs à titre de dommages intérêts pour préjudice moral en observant que les demandeurs avaient acquis un immeuble délabré et intentaient à leur encontre un mauvais procès.

" Ils ont sollicité le paiement d’une somme de 5 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

" La clôture de l’instruction du dossier est intervenue la 17-9-1996 ".

Ayant ainsi analysé les dires des parties, le juge unique, six mois après l’audience des plaidoiries, rendit sa décision en prenant le parti d’ordonner une mesure d’instruction et ce, pour les motifs énoncés ci-dessous.

" Les servitudes établies par le fait de l’homme ne sont opposables aux acquéreurs que si elles sont mentionnées dans leur titre de propriété ou si elles font l’objet de la publicité foncière.

" L’acte de vente du 28-02-95 aux droits duquel se trouvent les consorts T...L... ne comporte aucune mention relative à la servitude de prospect instituée en 1974.

" Il existe par ailleurs une apparente contradiction entre les documents produits par chacune des parties et émanant de la conservation des hypothèques de Périgueux.

" D’un côté, en effet, les consorts T...L... produisent une copie de l’état hypothécaire des parcelles numérotées A 687 et 1 497 réclamé le 16/12/1994 par Me M... notaire à C... . Cet état, délivré le 12/01/1995, ne fait pas mention de servitude de prospect sur les parcelles qu’ils ont acquises.

" Ils produisent, en outre, la copie de l’état hypothécaire et du relevé cadastral des parcelles cadastrées section A n° 693 - 699 - 1497 et 857, qui était annexé à l’acte de vente du 19/03/1977 et sur lequel a été portée la mention " mainlevée radiation 14/06/1977 ".

" Cette mention n’a pas été tapée à la machine mais écrite à la main en travers du document précité.

" De leur côté, les demandeurs produisent en original un document daté et certifié conforme du 07/09/1995 dénommé " renseignements sommaires " et concernant les parcelles A 1751 ( anciennement A 687 ), 1752 ( anciennement A 687 ), 1753 et 1754 ( anciennement 1497 ) duquel il ressort que la servitude de prospect a bien été publiée le 16/09/1974 et n’a jamais fait l’objet d’une radiation ou d’une mainlevée.

" Compte tenu de ces contradictions, il y a lieu de surseoir à statuer sur les demandes des consorts M... et de recueillir l’avis du conservateur des hypothèques de Périgueux."

Cette résolution, dans le dispositif, est développée comme suit :

" Le tribunal statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort,

" Sursoit à statuer sur les demandes des parties,

" Invite Monsieur le Conservateur des hypothèques de Périgueux ( Cité administrative 24 016 Périgueux Cedex ) à :

" - préciser si l’état hypothécaire et cadastral des parcelles acquises par les consorts T...L... le 28/02/1995 mentionne qu’elles sont toujours grevées d’une servitude de prospect comme semble l’accréditer le document intitulé " Renseignements sommaires " émanant de la conservation des hypothèques de Périgueux et daté du 07/09/1995 et visé du 11/10/1995 ;

" - préciser si la mention " mainlevée radiation du 14/06/1977 " figurant à la copie de l’état hypothécaire et cadastral annexé à la vente du 19/03/1977 ( vente de B...L... ) figure bien sur l’original détenu par la conservation des hypothèques de Périgueux et, dans l’affirmative, si cette mention de radiation a fait l’objet d’une publicité foncière ;

" - donner tout avis utile sur l’apparente contradiction existant entre, d’une part, l’état hypothécaire délivré le 12/01/1995 à Me M... et ne portant mention d’aucune servitude et le document " Renseignements sommaires " délivré le 11/10/1995 mentionnant le maintien de cette même servitude sur les parcelles 1751 - 1752 - 1753 et 1754.

" Réserver les dépens."

Observations

Notre collègue n’a pu qu’être surpris lorsqu’il a reçu copie du jugement avant-dire droit du 18 mars 1997. En effet, le greffier l’a envoyé sans avoir, au préalable, pris contact avec son destinataire et sans, non plus, joindre une lettre d’accompagnement.

Or, en, France, l’organisation judiciaire demeure régie par l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 qui affirme la séparation des fonctions judiciaires et administratives.

Un conservateur, par suite, est en droit de penser que sauf en cas de mainlevée judiciaire, il n’a pas d’ordre à recevoir d’une juridiction devant laquelle il n’a été ni entendu, ni même appelé.

Aussi, celui chargé du bureau de Périgueux se rapprocha-t-il de notre association (1).

A cet effet, il adressa au secrétariat une télécopie du jugement " pour information et avis "; en même temps, il fit savoir qu’il se proposait de répondre par lettre à l’invitation du juge unique et de fournir à ce magistrat les renseignements qu’il souhaitait.

L’étude faite a conduit à mettre l’accent sur la règle qui veut qu’une juridiction, dans sa recherche des éléments d’information et de conviction, soit libre d’organiser cette recherche en suivant la démarche qui lui paraît convenir.

C’est ce qui ressort des dispositions de l’article 143 du nouveau code de procédure civile selon lesquelles " les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ".

En particulier, lorsque, comme en l’espèce, des connaissances spéciales sont requises, le juge, selon l’article 232 du même code, " peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien ".

En conséquence, et bien que dans le jugement, l’invitation faite au conservateur n’ait été justifiée par aucun texte, cette mesure n’est pas apparue comme manquant manifestement de base légale.

Aussi, par une lettre du 27 mai 1997, accompagnée des copies des états hypothécaires cités dans le jugement, le conservateur donna-t-il tous les éclaircissements demandés.

Dans cette lettre, il est tout d’abord relevé que sur son double, conservé au bureau et obtenu par calque, l’état de renseignements dressé en conséquence de la publication d’une vente du 19 mars ne contient pas la mention " mainlevée radiation du 14/06/1977 ".

Très logiquement, il en est déduit que l’apposition de cette mention sur l’exemplaire détenu par les consorts T...L... ne saurait être imputée au conservateur.

A ce fonctionnaire, et c’est ce qui ressort des autres informations transmises au tribunal, il ne saurait non plus être fait grief de la discordance existant entre les deux états délivrés respectivement le 12 janvier 1995 et le 11 octobre de la même année.

Certes, le premier ne révèle pas la servitude de prospect instituée dans un acte publié le 16 septembre 1974 tandis que cette charge figure dans le second; mais cette différence tient uniquement aux énonciations des réquisitions.

Celle à laquelle il a été déféré le 11 octobre 1995 était l’une des demandes, purement réelles, prévues au 2° du premier alinéa de l’article 41 du décret du 14 octobre 1955 dans sa rédaction alors en vigueur (2 ); elle avait été formulée sur l’immeuble grevé " sans indication de personnes "; elle devait donc, comme il était prescrit audit 2°, donner lieu " à la délivrance de toutes les formalités se rapportant à cet immeuble, quelles que soient la ou les personnes du chef desquelles ces formalités sont intervenues ".

C’est ce qui a été fait en indiquant la servitude en cause

Au contraire, la réquisition exécutée le 12 janvier faisait partie de celles, réelles mais personnalisées, qui, définies au second alinéa de l’article 41 comme " formulées sur un ou plusieurs immeubles déterminés, du chef d’une personne désignée, donnent lieu exclusivement à la délivrance des formalités concernant ces immeubles, intervenues du chef de la personne désignée ".

Or, en l’espèce, " la personne désignée " était le propriétaire actuel du fonds servant et non celui à qui ce bien appartenait en 1974 lorsque la servitude avait été établie.

Cette charge réelle, dès lors, n’avait pas à être délivrée.

A cette correspondance, le juge unique répondit le 30 mai; il adressa ses vifs remerciements à notre collègue qui n’entendit plus parler de cette affaire.

(1) La Commission du contentieux souhaite vivement être immédiatement informée des injonctions ou recommandations qu’une juridiction ou un organisme administratif autonome auraient faites à un conservateur.

(2) L’article 41 du décret du 14 octobre 1955 a été entièrement réécrit par l’article 12 du décret n° 98-553 du 3 juillet 1998; la forme a été améliorée mais le fond est resté le même.