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Art. 1792

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif
Inscriptions
Immeuble grevé, sorti en vertu d’une vente publiée, du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau
Annulation de la vente poursuivie par le créancier
Rejet de l’inscription prononcé par le conservateur et attaqué par le créancier devant le président du tribunal de grande instance
Affaire renvoyée à ce tribunal siégeant à juge unique
Jugement dudit tribunal se bornant à surseoir à statuer jusqu’au règlement du contentieux de la vente.

Jugement du tribunal de grande instance de Paris (4ème Chambre) du 7 septembre 1998

Faits : La société L... a requis le 16 février 1998 une inscription provisoire d’hypothèque judiciaire portant sur 5 lots de copropriété et prise contre Mme D...

Or, cette personne, depuis une vente notariée publiée le 25 septembre 1997, n’était plus propriétaire de ces lots.

Elle les avait cédés à la société F... et n’avait conservé sur eux qu’un droit d’usage et d’habitation.

Et pourtant c’est elle qui dans les deux exemplaires du bordereau remis au bureau des hypothèques apparaissait comme étant " le disposant ou dernier titulaire ".

Mais, le conservateur, conformément à la jurisprudence résultant de l’arrêt de cassation du 12 juin 1996, a considéré que cette qualité devait être attribuée au propriétaire actuel des lots.

Cette discordance, par suite, fut relevée et notifiée avec pour conséquence, d’abord le rejet de l’inscription, puis la citation de notre collègue devant le président du tribunal de grande instance de Paris pris en la personne de M. C..., vice-président.

Cette citation, signifiée le 11 juin 1998" en application des dispositions de l’article 26 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955", emportait assignation à comparaître le 15 du même mois.

Elle contenait l’exposé des prétentions et moyens reproduits ci-après :

" Attendu que la société L... ne saurait accepter ce rejet ;

" Attendu qu’en effet, l’immeuble sur lequel était requis l’hypothèque judiciaire provisoire a fait l’objet d’une vente frauduleuse tendant à empêcher l’exécution de la décision de justice pour la garantie de laquelle avait été accordée ladite hypothèque ;

Attendu que le société L... introduit, dès à présent, une action aux fins d’annulation de cette vente ;

" Attendu que, dans ces conditions, ladite inscription ne saurait perdre effet (1) à la date indiquée lors du dépôt sans gravement nuire aux intérêts légitimes de la demanderesse ;

" Dans ces conditions, le Tribunal accordera à la demanderesse la conservation de la date primitive de l’inscription de ladite hypothèque ;

" PAR CES MOTIFS,

" Annuler la décision de rejet de l’hypothèque judiciaire en date du 28 mai 1998 (2) ;

" Très subsidiairement, surseoir à statuer jusqu’à la décision prononçant sur le fond l’annulation de la vente frauduleuse du bien sur lequel portait la requête d’inscription d’hypothèque ".

A l’audience des référés qui s’est tenue le 15 juin, le conservateur, par suite d’une confusion de dates, n’était ni présent ni représenté.

Quant à la société demanderesse, ainsi qu’il est rapporté dans l’analyse de ses dires faite par l’auteur même du jugement, " elle a fait valoir que la décision litigieuse fait perdre son rang à l’inscription d’hypothèque alors qu’une décision est pendante ".

Le 7 septembre 1998, le vice-président C... a statué mais il ne l’a pas fait en qualité de délégataire des pouvoirs conférés au Président du tribunal par l’article 26 du décret du 4 janvier 1955.

Le jugement dont les motifs et le dispositif sont énoncés ci-dessous a été rendu par la 4ème chambre du tribunal de grande instance de Paris statuant à juge unique.

" MOTIFS :

" Attendu qu’il résulte des termes mêmes de l’assignation qu’aucune décision définitive n’est intervenue à ce jour sur le contentieux de la validité de la vente de l’immeuble hypothéqué ;

" Attendu, d’autre part, que l’annulation de la vente aurait pour conséquence de rendre infondée la décision attaquée, qu’il échet, dès lors, pour assurer la sauvegarde des droits de toutes les parties de surseoir à statuer jusqu’à la décision définitive à intervenir ;

" EN CONSEQUENCE,

" LE TRIBUNAL

" Sursoit à statuer jusqu’à décision définitive à intervenir sur le contentieux de la vente de l’immeuble sis à ...

" Rejette le surplus des demandes,

" Réserve les dépens ".

Observations.

Cette décision de sursis apparaît critiquable au plan tant de la forme que du fond; toutefois à la question de savoir s’il fallait ou non faire appel, il a, en définitive, été apporté une réponse négative.

Ces trois points seront successivement examinés.

La forme

Comme il a été indiqué dans l’exposé des faits, le conservateur, le 11 juin 1998, a été cité à comparaître le 15 juin devant le président du T.G.I. de Paris lequel, d’après l’assignation, devait être représenté par l’un des vice-présidents.

A la date fixée, le magistrat ainsi désigné a tenu audience; mais il ressort des mentions du jugement prononcé le 7 septembre 1998 que l’affaire, en réalité, a été débattue devant la 4ème chambre du tribunal siégeant à juge unique.

La décision rendue en premier ressort et réputée contradictoire fut, le 15 septembre et à la requête de la société demanderesse, notifiée au défendeur.

Dans l’exploit signifié à cette fin, il a été précisé que le délai d’appel est d’un mois.

Il a donc été fait choix du délai de droit commun imparti à l’article 538 du nouveau code de procédure civile et non de celui de 15 jours qui, propre au contentieux de la validité des rejets de formalité, se déduit des dispositions combinées du dernier alinéa de l’article 490 du même code et de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955 qui, dans son second alinéa, renvoie à la procédure de référé.

D’autre part, pour porter l’affaire devant le tribunal et pour l’attribuer à un juge unique, il a, selon les termes du jugement, été fait " application des articles L. 311-10 du code l’organisation judiciaire et 801 du nouveau code de procédure civile ", mais aucun de ces articles ne concerne les causes relevant des " Pouvoirs du Président " (3).

Le fond

En ayant jugé comme il l’a fait, le tribunal de Paris ne saurait être taxé d’avoir jugé extra petita.

En effet, il s’est rangé à ce à quoi le créancier avait conclu subsidiairement pour le cas où l’annulation du rejet, demandée à titre principal, ne serait pas décidée.

De la sorte cette juridiction, de façon implicite mais certaine, a reconnu qu’en prononçant le rejet attaqué, le conservateur n’avait commis aucune erreur de droit.

Mais au lieu de débouter la société L..., elle a sursis à statuer si bien que, formellement, elle n’a rien tranché.

Toutefois, elle a d’ores et déjà formé sa conviction puisqu’elle a pris la résolution de valider le rejet si l’action en nullité échoue et, dans le cas contraire, de l’infirmer.

L’appel

Le jugement rendu le 7 septembre 1998 n’était pas celui que notre collègue escomptait et, de suite, il est apparu qu’il ne faisait pas la preuve de sa régularité.

C’est ainsi que, comme il a déjà été remarqué, s’il est vrai que les articles L. 311-10 du code de l’organisation judiciaire et 801 du nouveau code de procédure civile concernent l’attribution d’affaires au juge unique ou leur renvoi dudit juge à la formation collégiale, ces affaires sont celles qui ressortissent à la compétence du tribunal de grande instance.

Or, le contrôle juridictionnel de la validité des rejets de la formalité est assuré au premier degré par le président de ce tribunal statuant " comme en matière de référé  " (4).

Il s’ensuit que le renvoi au tribunal aurait dû être décidé et la date de l’audience fixée en se fondant sur l’article 487 N.C.P.C.

Selon cet article, en effet, " le juge des référés a la faculté de renvoyer l’affaire en état de référé devant la formation collégiale de la juridiction à une audience dont il fixe la date ".

En outre et surtout, en décidant de surseoir à statuer, la tribunal n’a pas tenu compte de la véritable nature du contentieux lié sur la décision attaquée devant lui.

Le litige auquel le recours du créancier a donné naissance ne saurait être ramené à un conflit d’intérêts individuels; il s’agit, en réalité, d’un procès en légalité fait à l’acte administratif qu’est le rejet d’une formalité de publicité foncière.

Cette mesure, en effet, n’est pas discrétionnaire; ainsi qu’il ressort de l’article 2199 du code civil, il faut, pour qu’elle soit valable, qu’elle ait été prescrite par " des dispositions législatives ou réglementaires sur la publicité foncière ".

Aussi, le " recours de la partie intéressée ", ouvert au 1er alinéa de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955, est-il dirigé " contre la décision du conservateur " et non contre sa personne.

Au contraire de celui prévu à l’article 2 197 du code déjà cité, il n’a pas un objet pécuniaire.

Il n’est donc recevable qu’à condition de contenir des conclusions en annulation s’appuyant sur un moyen tiré de la violation d’une règle de droit et faisant état des seuls faits survenus à la date du rejet attaqué.

En l’espèce, il est avéré que la société L... n’a ni établi, ni même allégué le défaut de base légale de ce rejet.

De ce fait, elle aurait dû être immédiatement déboutée.

Par suite, en s ’accordant un sursis à statuer jusqu’au règlement définitif du procès en nullité de la vente de l’immeuble grevé, la 4ème chambre du T.G.I. de Paris est sortie du rôle dévolu en la matière à l’autorité judiciaire et elle a, en conséquence, excédé ses pouvoirs.

Dans un tel contexte, le conservateur devait-il interjeter appel?

La réponse à donner à cette question n’est pas évidente.

Certes, l’article 380 du nouveau code de procédure civile offre la possibilité de se pourvoir contre une décision de sursis à statuer mais sous réserve, toutefois, que le premier président ait autorisé l’appel, ce qui ne doit être fait que " s’il est justifié d’un motif grave et légitime ".

Or, si les irrégularités relevées ci-avant constituent très certainement un motif légitime, il apparaît difficile de démontrer qu’il soit grave, c’est-à-dire susceptible d’avoir des suites dangereuses pour celui qui l’invoque.

En effet, une décision de rejet n’est exécutée que si elle n’a pas été attaquée dans le délai de recours de 8 jours imparti au 1er alinéa de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955.

Si, comme dans la présente affaire, le conservateur est assigné avant l’expiration de ce délai, la chemise du dépôt est extraite du sous-dossier " Affaires rejetées à classer " et placée dans le sous-dossier " Affaires contentieuses ".

C’est ce qui est prescrit au Répertoire alphabétique de l’Enregistrement ( V° Hypothèques, n° 797 ).

Corrélativement, la formalité, quoiqu’ayant été rejetée, demeurera inachevée tant qu’il n’aura pas été statué sur la légalité du rejet par la décision " passée en force de chose jugée " exigée au dernier alinéa de l’article 26 déjà cité.

Dans un tel système, une décision juridictionnelle de sursis n’est pas susceptible, quel que soit son mérite, de léser le conservateur.

D’une part, en acquiesçant à un jugement rendu à son encontre, ce mandataire légal ne saurait commettre une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle si bien qu’il n’y a pas aggravation des risques auxquels il est exposé.

Ce jugement d’autre part, n’apporte aucune atteinte tant à la qualité des registres publics dont il a la garde qu’à la valeur des renseignements qu’il est tenu de fournir à tous ceux qui les requièrent sous forme de copies ou extraits du fichier immobilier.

En effet, l’inscription en cause continuera à être délivrée de la manière prévue au paragraphe 2 de l’article 41 du décret du 14 octobre 1955 et donc avec la mention " formalité en attente ".

De la sorte, les titulaires de droits sur les lots de copropriété dont il s’agit ainsi que ceux qui aspirent à en acquérir auront dans les états de renseignements leur attention appelée sur l’existence d’un possible concurrent.

En fait, actuellement, la " victime " du sursis à statuer ne peut être que l’acquéreur de l’appartement ayant appartenu à Mme D...

Aussi est-ce à ce propriétaire qu’il appartient, s’il est incommodé par la sûreté réelle en attente pesant sur son bien et s’il s’y croit recevable et fondé, de demander à la Justice de l’en délivrer.

A notre collègue et, également, au comité du contentieux, les considérations qui précèdent ont semblé décisives et elles expliquent pourquoi il n’a pas été fait appel d’un jugement pourtant bien contestable.

(1) Il faut lire " prendre effet ".

(2) Cette décision a été notifiée au signataire du certificat d’identité par lettre recommandée avec demande d’avis de réception; elle a été reçue par lui le 3 juin.

(3) Les dispositions des articles 801 et L.311-10 sont les suivantes:

Art. 801 : "  L’attribution d’une affaire au juge unique peut être décidée jusqu’à la fixation de la date de l’audience.

La répartition des affaires attribuées au juge unique est faite par le président du tribunal ou par le président de la chambre à laquelle elles ont été distribuées ".

Art. L. 311-10 : "  Le président du tribunal de grande instance ou le magistrat délégué par lui à cet effet peut décider qu’une affaire sera jugée par le tribunal de grande instance statuant à juge unique.

Le renvoi à la formation collégiale d’une affaire portée devant le tribunal de grande instance statuant à juge unique est de droit sur la demande non motivée d’une des parties, formulée selon les formalités et délais fixés par décret.

Le renvoi à la formation collégiale peut également être décidé par le président ou son délégué soit à la demande du juge saisi, soit d’office.

Toutefois, les dispositions du présent article ne sont pas applicable en matières disciplinaires ou relatives à l’état des personnes, sous réserve des dispositions particulières aux matières de la compétence du juge aux affaires familiales ".

(4) C’est ce qui est expressément prévu au second alinéa de l’article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955.

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