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ARTICLE 1801

RADIATIONS

Mainlevée judiciaire
Inscription provisoire d'hypothèque judiciaire radiée en exécution d'une ordonnance du président du tribunal de grande instance, puis rétablie à la suite de l'infirmation de cette ordonnance en appel
Inscription non opposable au tiers acquéreur ayant fait publier son titre entre la radiation et le rétablissement

Arrêt de la Cour de cassation ( 3ème Chambre civile ) du 4 février 1998

Faits : Dans un acte notarié des 30 janvier et 6 février 1986 portant vente d'un appartement par les époux B... à la société S... les vendeurs avaient pris l'engagement de faire procéder à la radiation d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise le 21 septembre 1983 au profit de la banque H... dont le président du tribunal de grande instance avait ordonné la mainlevée par une ordonnance du 27 juin 1985.

Toutefois, après que le notaire, Me O..., eut remis la totalité du prix aux vendeurs, cette ordonnance fut le 27 mai 1986 infirmée en appel.

Aussi, la banque H... qui n'avait pas recouvré sa créance procéda au renouvellement de l'inscription, lorsque la société S... revendit le bien grevé.

De la sorte, cette venderesse ne reçut qu'une partie du prix convenu et elle se retourna contre Me O... en lui reprochant d'avoir, lorsqu'elle avait acheté le bien revendu, remis le prix sans avoir demandé et obtenu la radiation de l'inscription en cause.

Devant la Cour d'appel de Montpellier, cette plaignante fut déboutée de l'action en responsabilité qu'elle avait engagée et qui était fondée sur l'article 1147 du code civil.

Il fut jugé, en effet, que si l'inscription en cause avait été radiée, elle aurait été rétablie et que ce rétablissement eût été opposable à la société S...

Contre cet arrêt, cette société se pourvut en cassation et, à l'appui de son recours, elle soutint notamment que " le tiers acquéreur d'un immeuble grevé d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, dont le titre a été transcrit entre la radiation et la décision qui met à néant l'ordonnance qui a prononcé cette radiation, ne peut se voir opposer les effets de l'inscription rétablie ".

Ce moyen fut retenu par la Haute Juridiction par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après :

" Vu les articles 2157 et 2160 du code civil;

Attendu que les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet, ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée; que la radiation doit être ordonnée par les tribunaux lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsqu'elle l'a été en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé, ou lorsque les droits de privilège ou d'hypothèque sont effacés par les voies légales;

Attendu, selon l'arrêt attaqué ( Montpellier, 30 janvier 1996 ) que, suivant un acte authentique reçu les 30 janvier et 6 février 1986 par Me O..., notaire, les époux B... ont vendu un appartement à la société S....; que, suivant un second acte notarié du 21 décembre 1992, la société S... a revendu l'appartement à Mme B..; que dans ce second acte, il était fait mention d'une inscription d'hypothèque provisoire prise le 21 septembre 1983 au profit de la Banque H...; qu'à la suite d'une ordonnance de cantonnement d'hypothèque à un autre bien, une décision en date du 27 juin 1985 a ordonné la radiation de cette inscription, qu'une décision du 27 mai 1986 a infirmé cette dernière décision; que, postérieurement, la banque H.... a renouvelé son inscription; que, reprochant à M. O... de n'avoir pas fait procéder à la radiation, la société S... l'a assigné, ainsi que l'office notarial, en paiement d'une certaine somme en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité pour elle de percevoir l'intégralité du prix de la seconde vente; que le notaire et l'office notarial ont assigné M. B... en garantie;

Attendu que, pour dire qu'il ne saurait être reproché au notaire de n'avoir pas procédé lui-même à la radiation de l'hypothèque judiciaire après l'ordonnance ordonnant sa mainlevée et d'avoir procédé à la remise de la somme d'argent avant que la radiation soit effectuée, l'arrêt retient que l'arrêt du 27 mai 1986 ayant mis à néant l'ordonnance de cantonnement d'hypothèque du 14 février 1985 rétablissait cette hypothèque et que ce rétablissement était opposable à la société S... en sa qualité de tiers détenteur et propriétaire de l'immeuble grevé de l'hypothèque, cette société n'ignorant pas l'existence de cette hypothèque et celle de l'appel de l'ordonnance de cantonnement à un autre bien et ne pouvant non plus, en conséquence, ignorer le risque de rétablissement et de maintien de cette hypothèque;

Qu'en statuant ainsi, alors que le tiers acquéreur d'un immeuble grevé d'une inscription hypothécaire, dont le titre a été transcrit entre la radiation de cette inscription et la décision qui annule l'ordonnance ayant prononcé cette radiation, ne peut se voir opposer les effets de l'inscription rétablie, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

PAR CES MOTIFS

Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit qu'il ne saurait être reproché au notaire de n'avoir pas procédé lui-même à la radiation de l'hypothèque judiciaire après l'ordonnance ordonnant sa mainlevée et d'avoir procédé à la remise de la somme d'argent avant que la radiation soit effectuée, l'arrêt rendu le 30 janvier 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes;

Condamne M. O... et la SCP O..C.., ensemble, aux dépens;

Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de M. O.. et de la SCP O..C..;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé."

Observations : Dans son arrêt du 21 novembre 1978 ( Bull. AMC, art. 1134 ), la troisième chambre civile de la Cour de Cassation a déclaré que " les juges du second degré se sont référés, à bon droit, aux dispositions des articles 48 et suivants du code de procédure civile et ont justement déclaré que l'article 2157 du code civil était inapplicable en la cause dès lors que ce texte est étranger à l'institution de l'hypothèque judiciaire provisoire dont la constitution et la radiation sont réglementées spécialement par les articles 54 et 55 du code de procédure civile ".

En conséquence de quoi a été approuvé l'arrêt d'appel qui, rendu le 14 mars 1977, avait confirmé une décision de justice ayant enjoint au conservateur de radier une inscription provisoire alors que cette décision était exécutoire par provision mais n'avait pas acquis la force de chose jugée exigée à l'article 2157 déjà cité.

Toutefois, dans l'arrêt susrapporté du 4 février 1998, la troisième chambre civile vise notamment le même article 2157 avant de fixer les conséquences du rétablissement d'une inscription d'hypothèque provisoire à la suite de l'infirmation par la cour d'appel de l'ordonnance par laquelle le président du tribunal de grande instance avait ordonné sa radiation.

Sur ces conséquences, notre association a déjà pris parti à l'article 1254 du Bulletin.

Elle remarque tout d'abord que " la situation créée par la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire au vu d'une ordonnance de référé infirmée en appel est semblable à celle qui a lieu quand la radiation a été opérée sur un arrêt de cour d'appel, que cette décision est annulée par la Cour de cassation et que l'inscription radiée est rétablie par la cour de renvoi. "

Puis il rappelle que " dans cette dernière hypothèse, une jurisprudence unanime décide que l'inscription rétablie n'est pas opposable aux créanciers inscrits entre la radiation et le rétablissement de l'inscription, ni aux tiers ayant fait opérer des publications dans le même laps de temps, car l'inscription rétablie ne reprend son effet qu'à l'égard des créanciers inscrits avant la radiation ".

Cette distinction, est-il précisé, ressort notamment de sept arrêts de cassation dont les dates et références sont indiquées; le plus ancien a été rendu le 26 janvier 1814 et le plus " récent ", le 31 décembre 1895.

Dans la présente affaire, ce droit prétorien n'a pas été appliqué par les juges du fond lorsqu'ils ont statué sur l'action en responsabilité engagée par la société S... contre le notaire ayant reçu la vente des 30 janvier et 6 février 1986;

Comme il a déjà été indiqué dans la relation des faits de la cause, il était reproché à ce notaire, Me O..., d'avoir remis le prix aux vendeurs sans avoir, au préalable, obtenu du conservateur la radiation d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire dont, le 27 juin 1985, la mainlevée judiciaire avait été ordonnée;

Or, la Cour de Montpellier a considéré que même si la radiation avait été opérée, la situation de la plaignante n'aurait pas été améliorée;

Elle s'est refusée, en conséquence, à reconnaître l'existence d'un rapport de causalité entre le manquement invoqué et la perte financière dont il était demandé réparation.

En effet, selon cette juridiction, la mainlevée de l'inscription en cause ayant le 27 mai 1986 été annulée en appel, la sûreté judiciaire dont elle était le signe public aurait été opposée à la société S.. par son propre acquéreur, exactement comme ce fut le cas en l'absence de radiation.

C'est que, comme il est relevé dans l'arrêt attaqué, cette société avait pour gérant M. B.. qui était l'un des deux vendeurs, si bien qu'elle ne pouvait qu'être informée non seulement de l'existence de l'inscription mais également du prononcé de l'ordonnance de mainlevée et du recours formé contre elle.

Ainsi, l'acquéreur qui, plusieurs années après, allait être victime de l'hypothèque savait, quand il a traité, qu'elle était susceptible d'être rétablie.

C'est dans ce contexte que les juges du second degré ont refusé de condamner le notaire.

A cette fin, ils ont constaté que l'arrêt du 27 mai 1986 avait rétabli l'hypothèque judiciaire provisoire et affirmé que " ce rétablissement était opposable à la société S... en sa qualité de tiers détenteur et de propriétaire de l'immeuble grevé d'hypothèque ".

Dans ce motif qui a été soumis à sa censure, la Cour de cassation a vu la violation des articles 2157 et 2160 du code civil et ce, a-t-elle jugé, parce que " le tiers acquéreur d'un immeuble grevé d'une inscription hypothécaire, dont le titre a été transcrit entre la radiation de cette inscription et la décision qui annule l'ordonnance ayant prononcé cette radiation, ne peut se voir opposer les effets de l'inscription rétablie ".

La règle de droit ainsi formulée est conforme à la jurisprudence constante mais ancienne citée à l'article 1254 du Bulletin.

Il faut noter toutefois que la locution " la décision qui annule l'ordonnance ayant prononcé cette radiation " ne doit pas être entendue comme fixant le dernier jour de la période d'inopposabilité à la date du jugement portant annulation de la mainlevée judiciaire.

L'esprit de cette règle veut que cette période ne prenne fin qu'au moment où ce jugement est publié au bureau des hypothèques sous forme de mention en marge de l'inscription radiée, car ce n'est qu'à partir de l'apposition de cette mention qu'elle est rétablie aux yeux des tiers.

A l'évidence, il s'agit seulement d'un raccourci excessif de rédaction.

Ainsi, l'arrêt du 4 février 1998 confirme et actualise une jurisprudence élaborée au cours du 19ème siècle et qui, seule, est citée dans les ouvrages .

En outre, il décide, en se fondant sur l'article 2157 du code civil, qu'elle concerne également les inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire.

Pour elles, cet article ne peut pas être invoqué par les conservateurs afin de subordonner l'exécution de la radiation requise à la présentation d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée; mais une fois que la radiation est opérée, l'irréversibilité est la même que si cette condition avait été remplie.

Cet arrêt, enfin, renforce la sécurité des opérateurs qui interviennent sur le marché des immeubles et sur celui du crédit hypothécaire : les renseignements délivrés par les conservateurs mettent toujours les acheteurs et les prêteurs à l'abri des conséquences de l'annulation judiciaire d'une radiation d'hypothèque, même s'il est démontré que lorsqu'ils ont fait publier leur titre ou inscrire leur sûreté, ils tenaient d'une autre source qu'une inscription avait été prise, puis radiée mais que sa radiation avait fait l'objet d'un recours juridictionnel.

Annoter : Bull. AMC, art. 1254