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ARTICLE 1802

INSCRIPTIONS, PROCEDURE ,PUBLICITE FONCIERE, RADIATIONS

Mise en jeu de la responsabilité personnelle du conservateur, à la fois par le créancier et les tiers détenteurs

Faute invoquée consistant dans l'état requis sur la publication de la cession de l'immeuble d'une inscription alors placée en instance de rejet mais régularisée depuis

Rejet de l'excuse légale de responsabilité tirée d'une erreur de date de naissance mais exigence du lien de causalité entre la faute et le dommage

Absence dudit lien ressortant pour la demande des tiers détenteurs des dispositions mêmes de l'article 2198 du code civil

Absence également opposée au créancier pour, de l'évaluation du dommage indemnisable,exclure la partie du prix d'achat remise directement par les acquéreurs au vendeur et ayant servi à désintéresser un créancier inscrit mieux placé que le demandeur

Mainlevée judiciaire

Action en nullité d'une inscription judiciaire intentée par les nouveaux propriétaires de l'immeuble grevé et fondée sur l'article 2147 du code civil

Arrêt de la Cour d'appel de Rennes (1ère chambre A) du 23 février 1999

Faits : Suivant un acte notarié reçu le 8 septembre 1990 et publié le 21 du même mois, les époux L.. ont acquis de la soeur de l'un d'eux une maison moyennant le prix de 250 000 F. Ce prix à hauteur de 228 500 F, a été payé hors la vue du notaire si bien que seul le solde, soit 21 500 F, a transité par la comptabilité de cet officier ministériel.

Près de 3 ans après cet achat, les nouveaux propriétaires de ce bien ont décidé de le revendre et, dans le cadre de ce projet, un état hors formalité a été levé le 29 avril 1993.

Il révéla que sur l'immeuble dont il s'agit, une banque, le Crédit M... avait bénéficié d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire qui, prise pour sûreté d'une somme capitale de 31 014,76 F, avait donné lieu à la notification d'une cause de rejet et à la régularisation de celle-ci.

Aussi, portait-elle deux dates, savoir le 12 septembre 1990 qui était le jour du dépôt des bordereaux et le 31 octobre 1990 qui était la date où la discordance a été supprimée et la formalité achevée.

Dans cet état, il était également indiqué que le 4 juin 1991, à l'inscription provisoire avait été rétroactivement substituée une inscription définitive.

Enfin, il n'a pu qu'être déduit des deux dates déjà citées que l'inscription provisoire était en instance de rejet le 21 septembre 1990, lors de la publication de l'acte d'achat et que, par suite, ç'avait été à tort que dans l'état délivré en conséquence de cette publication, aucune formalité en attente n'avait été signalée.

Cette charge donc était inattendue et les époux L... se forgèrent la conviction que sa présence faisait obstacle à la revente qu'ils projetaient.

Aussi, assignèrent-ils devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, d'abord, le 28 décembre 1993, le Crédit M..., puis le 20 février 1995, le conservateur du bureau de la situation de l'immeuble pris impersonnellement, enfin le 2 octobre 1995, notre collègue G..., qui en 1990, était chargé de ce bureau.

A la banque créancière, il était reproché d'avoir, en méconnaissance de la règle énoncée à l'article 2147 du code civil, pris une inscription sur un bien qui était sorti du patrimoine du débiteur.

Il était conclu en conséquence à ce que soit prononcée " la nullité de l'hypothèque provisoire du 31 octobre 1990 et de l'hypothèque définitive du 4 juin 1991 ".

A l'encontre du conservateur, les demandeurs invoquaient l'article 1382 du même code en lui reprochant d'avoir manqué à ses obligations professionnelles en passant outre de deux manières à la législation ou à la réglementation en vigueur.

Tout d'abord, selon ces plaignants, il aurait dû, en application des dispositions combinées des articles 34 et 41 du décret du 14 octobre 1955, délivrer l'état sur formalité déjà cité avec la mention " formalité en attente ".

Il lui eût appartenu, d'autre part, compte tenu de l'article 2147, de s'opposer à l'inscription provisoire.

Tels sont les motifs pour lesquels les époux L.. ont demandé la condamnation du conservateur à leur verser la somme de 91 014,76 F laquelle leur était nécessaire pour obtenir de la banque prêteuse la mainlevée de l'inscription définitive;

Sur ces trois demandes qui soulevaient des difficultés connexes, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a statué par un seul jugement, rendu le 5 novembre 1996, et dont le dispositif est reproduit ci-après :

"LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort :

Déboute les époux L.. de leur demande en nullité de l'hypothèque judiciaire du 31 octobre 1990 et de l'hypothèque définitive du 4 juin 1991 prises par le Crédit M.. sur l'immeuble sis...;

DECLARE nulle l'assignation délivrée par les époux L.. à Monsieur le conservateur des hypothèques de S...;

Déclare Monsieur G..., conservateur des hypothèques à S..., responsable du préjudice causé aux époux L... du fait de la délivrance d'un état de renseignements ne mentionnant pas la demande d'inscription d'hypothèque provisoire faite par le Crédit M.. le 11 septembre 1990;

En conséquence,

Le condamne à payer aux époux L... la somme de quatre vingt onze mille zéro quatorze francs soixante-seize centimes ( 91014,76 F ) à titre de dommages et intérêts;

CONDAMNE Monsieur G... à payer aux époux L... la somme de quatre mille cinq cents francs (4 500 F) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

CONDAMNE les époux L.. à payer à Monsieur F.... conservateur actuel des hypothèques à S... la somme de mille cinq cents francs (1 500 F) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

DEBOUTE le Crédit M... de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes;

CONDAMNE Monsieur G... aux dépens à l'exception du coût de l'assignation en date du 20 février 1995 à la charge des époux L..."

A ces condamnations, M. G... n'acquiesça pas; il interjeta appel devant la Cour de Rennes où il conclut à la réformation du jugement attaqué, au débouté de M. et Mme L.. et à leur condamnation à payer les dépens ainsi qu'une indemnité de 8 000 F au titre des frais irrépétibles.

Subsidiairement et donc pour le cas où il ne serait pas mis hors de cause, il fit valoir que le préjudice indemnisable des époux L.. devait être limité aux 21 500 F ayant transité par la comptabilité du notaire.

Ce à quoi le Crédit M.. répliqua en demandant à titre principal la confirmation de la décision entreprise et la condamnation de l'appelant à lui verser 5 000 F en application de l'article 700 nouveau du code de procédure civile;

Cet intimé, en outre, forma à titre subsidiaire un appel incident et conclut reconventionnellement à la condamnation du conservateur au paiement tant de 100 333,81 F de dommages-intérêts que de 10 000 F au titre du même article.

Quant aux époux L..., ils demandèrent à la Cour de confirmer la décision entreprise sauf toutefois à ajouter un second principal de 6 743,28 F aux 91 014,76 F alloués par le premier juge ainsi que des intérêts dont ils précisaient les taux et le mode de calcul, avec, en conséquence, la mise des dépens à la charge de la partie perdante et l'attribution de 10 000 F en compensation des frais qui n'y étaient pas compris.

Statuant le 23 février 1999 sur ces trois séries de prétentions, la Cour d'appel infirma le jugement soumis à sa censure et donna au litige une solution nouvelle, fondée sur un raisonnement différent de celui suivi par les premiers juges.

C'est ce qui résulte des motifs et du dispositif énoncés ci-dessous :

"Considérant qu'il résulte des pièces produites que, le 12 septembre 1990, le Crédit M... a fait déposer un bordereau d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, portant sur l'immeuble objet de la vente du 8 septembre 1990, et que cette réquisition a été rejetée le 23 octobre 1990, à raison de la discordance entre les énonciations relatives à l'identification des parties dans le document déposé et celles des titres publiés depuis le 1er janvier 1956 :

Considérant que la décision de rejet portait la mention suivante :

" Au fichier L.... née le 13 septembre 1910, dans votre bordereau L... née le 14 septembre 1910

Déposer un extrait de naissance ou fournir un bordereau rectificatif ".

et l'indication de l'article 34 par.3 du décret du 14 octobre 1955 comme fixant les conditions du délai de régularisation;

Considérant qu'il n'est pas contesté et qu'il résulte des pièces produites que la régularisation a été effectuée en temps utile le 31 octobre 1990;

Que par ailleurs l'hypothèque judiciaire provisoire est devenue définitive le 4 juin 1991 à raison de l'effet du jugement du tribunal d'instance de Saint-Brieuc du 7 janvier 1991;

Considérant que saisi le 21 septembre 1990 d'une demande de " renseignements sur formalité " le bordereau portant énonciation de ce que cette formalité était celle d'une vente A.../L... du 8 septembre 1990, M. G... alors conservateur des hypothèques à S.., a délivré le 5 novembre 1990 un état de renseignement certifié à la date du 21 septembre 1990 ne portant aucune mention de référence relative à l'hypothèque du crédit M...;

Considérant qu'en 1993 ayant l'intention de revendre cet immeuble les époux L.. ont présenté une demande de renseignements hors formalité, que le conservateur des hypothèques a délivré le 18 mai 1993 un état faisant apparaître l'inscription de l'hypothèque provisoire du Crédit M... prise le 12 septembre 1990 rectifiée le 31 octobre 1990 et l'inscription définitive se substituant à celle-ci, le montant en principal garanti étant de 110 000 F;

Considérant qu'en application de l'article 34-3 et de l'article 41 du décret du 14 octobre 1955, les fiches des propriétaires ayant été annotées de la formalité en attente, le conservateur aurait dû délivrer une fiche de renseignements mentionnant à raison de l'hypothèque provisoire du Crédit M... " formalité en attente " avec mention du texte expliquant celle-ci;

Considérant que M. G... ne peut contester cette obligation et faire écarter la responsabilité qu'il encourt à raison de sa négligence en se fondant sur les dispositions de l'article 2197-2 du code civil, puisque l'erreur à l'origine de l'omission sur l'état de renseignements délivré le 21 septembre 1990 lui est bien imputable et qu'il n'y a pas eu d'erreur dans le bordereau de demande de renseignements;

Considérant qu'avec raison et à l'exact visa de l'article 2147 du code civil, le premier juge a estimé que l'hypothèque du Crédit M... qui, en application de l'article 2148 du code civil prenait rang à la date de remise du bordereau constatée au registre des dépôts soit en l'espèce le 12 septembre 1990, était normalement opposable aux époux L.. qui n'avaient fait eux-mêmes publier leur titre que le 21 septembre 1990;

Considérant que toutefois l'état de renseignements délivré de façon incomplète le 5 novembre 1990 ayant été délivré sur formalité, l'immeuble aux termes de l'article 2198 du code civil demeure dans les mains des époux L... affranchi de l'hypothèque non révélée duCrédit M..., étant par ailleurs relevé que le seul fait que M. L... soit le frère de la venderesse ne suffit pas à établir qu'il avait connaissance de l'hypothèque judiciaire provisoire du crédit M.. et de sa date d'inscription;

Considérant que, dès lors, les époux L... ne prouvent pas l'existence d'un réel préjudice hormis celui afférent à l'obligation qu'ils ont eu d'exposer des frais en justice pour faire trancher le litige, préjudice dont l'appréciation relève de l'application des règles relatives aux dépens et à l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Considérant qu'en application de cet article 2198 du code civil, le prix ayant été payé par l'acquéreur et aucun ordre n'ayant été ouvert, le Crédit M.. peut réclamer à M. G... réparation de son préjudice;

Considérant qu'il n'est pas contesté que sur le prix de 250 000 F fixé par l'acte de vente du 8 septembre 1990, la somme de 228 500 F a été payée avant le jour de la signature de l'acte en dehors de la comptabilité du notaire et a servi à désintéresser la B.. créancier inscrit selon un meilleur rang que le Crédit M...;

Considérant que le Crédit M.. ne produit aucun élément de nature à démontrer que ce prix était en réalité inférieur à la valeur réelle de l’immeuble ou à celle qui aurait pu résulter d’une adjudication ; que son préjudice, puisqu’il venait au rang suivant la B…., ne peut excéder le solde du prix, soit 21 500 F ;

Considérant que la procédure n’a été rendue nécessaire qu’à raison de la négligence de M. G..., qu’il supportera la charge des dépens que l'équité justifie uniquement qu’il verse en application de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile aux époux L… une somme globale de 7 000 F et au Crédit M… une somme de 7 000 F ;

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Constate que ne sont pas remises en cause les mentions du dispositif du jugement entrepris relatives à la mise hors de cause de M. Le F…, conservateur des hypothèques de S… au moment de l’ouverture de la procédure,

Statuant dans les limites de l’appel, infirme la décision entreprise,

Statuant à nouveau,

Dit inopposable aux époux L.. l’inscription d’hypothèque prise par le Crédit M… sur l’immeuble situé à…,

Condamne M. G… à payer au Crédit M… la somme de 21 500 F,

Déboute les parties de leurs autres chefs de demande,

Condamne M. G… à payer en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile une somme globale de 7 000 F tant aux époux L.. qu’au Crédit M…

Dit que l’intégralité des dépens de première instance et d’appel à l’exception du coût de l’assignation du 20 février 1995 qui restera à la charge des époux L.. sera supportée par M. G…

Accorde aux avoués de la cause le bénéfice de l’article 699 du nouveau code de procédure civile "

Observations : Dans cette affaire, l'autorité judiciaire a été amenée à résoudre plusieurs difficultés juridiques susceptibles d’influer sur la mise en jeu de la responsabilité personnelle de nos collègues.

Elles sont relatives respectivement à la fixation du rang d’une inscription à deux dates, aux modalités d’application de l’excuse légale énoncée au dernier alinéa de l’article 9 du décret du 4 janvier 1955, enfin, à la recherche du lien de causalité qui, pour justifier la condamnation d’un conservateur, doit exister entre la faute reprochée et le dommage dont il est demandé réparation.

I - Rang d’une inscription à deux dates

Ainsi qu’il ressort des faits relatés ci-avant, deux époux, M. et Mme L… se proposaient de revendre une maison acquise suivant acte publié en septembre 1990.

Instruit de ce projet, leur notaire, afin de bien connaître la situation juridique de ce bien, leva, le 29 avril 1993, un état hors formalité, qui, certifié à cette date fut délivré le 18 mai suivant.

Il en ressortit que la maison mise en vente était grevée d’une inscription d’hypothèque judiciaire prise par le Crédit M… contre l’ancienne propriétaire, Mme A…, qui est la sœur d’un des acquéreurs.

Cette inscription définitive avait, le 4 juin 1991, été substituée rétroactivement à celle, provisoire, requise le 12 septembre 1990 mais qui, le 23 octobre 1990, à la suite de la notification d’une cause de rejet, avait été mise en attente et dont, en définitive, l’exécution n'en fut achevée que le 31 octobre 1990.

En effet, il y avait discordance entre les bordereaux remis le 12 septembre 1990 au bureau des hypothèques de S.. et les documents déjà publiés en ce qui concerne la date de naissance de la débitrice .

Cette discordance était due à une erreur commise par l’inscrivant .

Elle fut supprimée par un bordereau rectificatif qui, déposé le 31 octobre 1990, entraîna ce jour là l’exécution de l’inscription.

Celle-ci, dès lors, comme il est de règle dans une telle situation, porte deux dates, à la fois celle du bordereau originaire et celle de sa régularisation.

Or, les tiers acquéreurs se persuadèrent que la présence de cette inscription dans les états de renseignements allait faire obstacle à la réalisation de l’aliénation qu’ils souhaitaient .

Aussi, ainsi qu’il est relaté ci-avant, assignèrent-ils le Crédit M…afin de voir notamment prononcer la nullité des hypothèques prises le 31 octobre 1990 et le 4 juin 1991.

A cette prétention, le défendeur répliqua que "  l’inscription en cause avait été prise le 12 septembre 1990 et que la régularisation de l’erreur matérielle avait fait rétroagir la publicité sur l’immeuble concerné à la date du dépôt du document originaire "

La question à juger se ramenait donc au point de savoir si l’inscription provisoire avait pris rang le 31 octobre 1990 ou, au contraire le 12 septembre 1990.

Dans son jugement du 5 novembre 1996, le tribunal se prononça pour le second terme de cette alternative.

Appliquant les dispositions de l'antépénultième alinéa de l'article 2148 du code civil et du 3 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 à l'espèce, les juges du premier degré, dans les motifs servant de support à leur décision, ont considéré que " la rectification apportée dans le délai légal par la banque a fait rétroagir sa demande d'inscription provisoire à la date du premier dépôt, soit le 12 septembre 1990 alors que la publication de l'acte authentique de vente a eu lieu le 21 septembre suivant, donc postérieurement ".

Dès lors, au sens de l'article 2147, l'inscription contestée apparaissait comme ayant été prise " utilement " et elle ne pouvait, comme il a été fait, qu'être déclarée opposable aux nouveaux propriétaires.

A cette motivation, de toute évidence il n'y a rien à objecter si bien qu'en appel, les époux L.. s'abstinrent de réitérer leur demande de nullité de l'inscription.

Malgré ce silence qui semblait valoir acquiescement, la Cour de Rennes approuva expressément ce qui, sur ce chef, avait été jugé en première instance.

Ainsi, tant en première instance qu'en appel, il a été jugé que le rang est conservé lorsque la mise d'un document en instance de rejet est due à une erreur qui, faite dans la citation de la date de naissance d'une des parties, a ensuite été rectifiée.

Il faut cependant remarquer que le T.G.I. dans les motifs de son jugement a tenu à relever que la suppression de la discordance était intervenue dans le délai légal d'un mois et que la Cour, de son côté, a pris soin de constater que " la régularisation a été effectuée en temps utile le 31 octobre 1990 ".

Ces notations signifient-elles qu'a contrario, la rétroactivité aurait été refusée si la régularisation avait été opérée tardivement ?

II- L'excuse légale

En première instance, les époux L... ont imputé à M. G.. le fait d'avoir eu la désagréable surprise d'apprendre par l'état hors formalité délivré le 18 mai 1993 que leur bien était grevé d'une inscription d'hypothèque judiciaire.

Selon eux cette charge n'aurait pas été révélée aussi inopportunément s'il en avait été fait mention dans l'état sur formalité délivré en conséquence de la publication de leur titre de propriété, opérée le 24 septembre 1990.

En effet, estimaient-ils, si cette inscription y avait figuré, le créancier en bénéficiant aurait reçu la part du prix lui revenant et il aurait, en conséquence, accordé la mainlevée de ce signe public devenu sans objet. Or ce signe aurait du se trouver dans l'état établi en 1990 par le défendeur.

Certes, lorsque le document à publier donne lieu à la notification d'une cause de rejet, il n'est ni intégré au registre public, ni analysé sur les fiches.

Mais celles-ci, aux termes du second alinéa du 3 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955, " doivent être annotées de la date et du numéro de classement du document déposé avec la mention " formalité en attente ".

Corrélativement, le 2 de l'article 41 du même décret dispose que " lorsqu'une formalité est en instance de rejet par application de l'article 34 ", le conservateur la délivre avec la même mention.

En l'espèce, cette mention a été apposée seulement sur la fiche créée au nom de Mme A..., née le 14 septembre 1910, alors qu'il aurait fallu annoter semblablement la fiche existante établie pour Mme A... née le 13 septembre 1910.

Or l'état certifié au 21 septembre 1990 a été extrait de la fiche portant la date du 13 septembre et c'est pour cela qu'il n'a pas été complet.

Aussi, a-t-il été fait grief à notre collègue d'avoir commis le manquement défini au 2° de l'article 2197 du code civil qui " rend les conservateurs responsables du préjudice résultant de l'omission dans les certificats qu'ils délivrent d'une ou de plusieurs des inscriptions existantes "

Cet article, toutefois, admet que l'omission dont il s'agit n'est plus un fait de nature à engager la responsabilité de son auteur lorsqu'elle provient de " désignations insuffisantes ou inexactes " données dans les réquisitions de renseignements.

Les conditions d'application de cette excuse légale sont précisées au dernier alinéa de l'article 9 du décret du 4 janvier 1955, qui dispose que toute erreur commise dans une telle réquisition " dégage la responsabilité des conservateurs à raison des renseignements inexacts qu'ils peuvent être amenés à fournir au vu des documents publiés ".

Pour sa défense M. G.. invoqua ce texte et soutint qu'il devait en bénéficier puisque, d'après la réquisition déposée à l'appui de l'acte publié le 21 septembre 1990, la disposante était née le 13 septembre 1910, alors que selon les bordereaux d'inscription déposés le 11 septembre 1990 elle était née le 14 septembre.

Cette argumentation, indéniablement, avait pour elle le sens littéral de la disposition réglementaire sur laquelle elle se fondait, mais elle n'était pas conforme à son esprit.

Le tribunal a reproché au conservateur, d'une part, d'avoir méconnu l'obligation édictée au 3 de l'article 34 du décret du 14 octobre 1955 en ne portant pas sur la fiche " formalité en attente " et d'autre part, de ne pas avoir vérifié qu'aucune inscription n'était en cours et " ce d'autant que seul le jour de naissance était inexact alors que les mentions sur l'immeuble et sur l'identité étaient correctes ".

De ces constatations, il a été conclu qu'il avait été délivré un état " néant " sur l'inscription en cause sans s'assurer que le fichier immobilier était à jour et que, de la sorte, avait été commise une " faute de négligence au sens des articles 1382 et 1383 du code civil."

En appel, cette conséquence, ainsi que le raisonnement qui la sous-tend, ont été entièrement approuvés.

Pourtant, la dernière phrase de l'article 9 du décret du 4 janvier 1955 exonère les conservateurs de toute responsabilité à raison de renseignements inexacts " en cas de non-concordance entre les énonciations des documents et celles de la réquisition, bien que ces dernières fussent exactes "

Ainsi, les juges d'appel, en se prononçant comme ils l'ont fait, n'ont pas conféré une autorité absolue à une incidente qui, il est vrai, ajoute à l'article 2197 qui est le texte législatif, une précision qui ne s'y trouve pas.

III - Lien de causalité

Le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc d'abord, la Cour d'appel de Rennes ensuite, ont successivement reconnu que le conservateur avait commis une faute en omettant de mentionner dans un état hors formalité une inscription mise en attente.

Mais ces juridictions ont fixé différemment les conséquences indemnitaires de ce manquement.

Cette divergence est due au fait que la possibilité ouverte à l'article 563 NCPC. a été utilisée pour justifier devant la Cour de Rennes les prétentions soumises au premier juge.

L'accent fut mis sur le principe qui veut, que pour engager la responsabilité d'un conservateur, il ne suffit pas à la victime d'établir la faute commise par ce mandataire légal; il faut aussi qu'elle prouve que le dommage dont il est demandé réparation provient vraiment de cette faute.

Or, dans la présente affaire, l'état de renseignements incomplets avait été requis par les acquéreurs de l'immeuble grevé et leur avait été délivré en conséquence de la publication de leur titre.

Dans ce cas selon l'article 2198 du code civil, le droit de propriété " demeure, dans les mains du nouveau titulaire, affranchi du privilège ou de l'hypothèque non révélé "

Aussi ne pouvait-il qu'être reconnu que l'omission dont les époux L.. se plaignaient, loin d'avoir rendu leur bien difficilement négociable, l'avait purgé de la sûreté réelle dont l'inscription non révélée était le signe public.

Dès lors, le bénéficiaire de cette inscription n'avait aucune raison légitime de subordonner sa mainlevée au paiement de la créance qu'elle conservait.

Si le Crédit M.. avait persisté dans cette attitude, les acquéreurs eussent été en droit, conformément à l'article 2160 du code civil, de dénoncer à l'autorité judiciaire l'effacement du droit d'hypothèque et de lui demander en conséquence d'ordonner la radiation de l'inscription.

D'autre part, toujours dans le cadre de l'analyse du rapport de causalité, l'examen attentif des faits en cause permit d'établir que, même si l'omission incriminée n'était pas entrée dans les prévisions de l'article 2198, le montant du dommage résultant de la faute du conservateur ne pouvait de toute manière être supérieur à la partie du prix de 250 000 F qui avait transité par le compte du notaire, soit à 21 500 F.

En effet, selon les stipulations de l'acte d'achat du 8 septembre 1990, les époux L... avaient, avant cette date, remis directement à la venderesse un acompte de 228 500 F.

Or, cet acompte avait servi à désintéresser la banque B... qui, inscrite sur le même immeuble, primait le Crédit M..., si bien que la perte financière subie par ce dernier ne pouvait être imputée à la faute du conservateur qu'à hauteur du solde du prix et donc de 21 500 F.

Grâce à ces nouveaux moyens, l'affaire en appel prit un autre tour.

Le jugement attaqué ne fut maintenu que dans la mesure où il mettait hors de cause le conservateur qui n'était pas en fonction à l'époque des faits.

Sur le surplus, il fut statué autrement, car seuls furent indemnisés les dommages ayant un lien de cause à effet avec la non révélation de l'inscription qui, mise en instance de rejet, allait ensuite être régularisée.

C'est pourquoi les époux L.. qui, en tant que tiers détenteurs, demandaient une somme capitale de 97 758,04 F ainsi que des intérêts de retard, n'obtinrent que 7 000 F au titre de l'article 700 NCPC, faute pour eux de " prouver l'existence d'un réel préjudice hormis celui afférent à l'obligation qu'ils ont eue d'exposer des frais de justice pour faire trancher le litige ".

Quant au créancier, il avait conclu à ce que lui soient alloués 100 333,81F de dommages-intérêts, mais il l'avait fait à titre subsidiaire, c'est-à-dire en se plaçant dans l'éventualité où les époux L... seraient déboutés.

C'est ce qui s'est produit, mais l'indemnité a été limitée à la réparation du dommage ayant une relation de causalité avec la faute du conservateur et partant, aux 21 500 F qui, se trouvant entre les mains du notaire, auraient été susceptibles de revenir au Crédit M... si l'état sur formalité avait été complet.

Cette banque, cependant, pour obtenir plus, avait soutenu que " seule une vente publique sur saisie entre les mains des époux L... ou une procédure de purge aurait permis de déterminer le juste prix de l'immeuble".

Mais ce facteur d'aggravation du dommage ne fut pas retenu par la Cour qui releva qu'il n'était produit " aucun élément de nature à démontrer que le prix de 250 000 F était en réalité inférieur à la valeur réelle de l'immeuble ou à celle qui aurait pu résulter d'une adjudication ".

Ainsi l'appel se révéla très profitable au conservateur qui, cependant, à la seule exception du coût de l'assignation impersonnelle du 20 février 1995, fut rendu débiteur de l'intégralité des dépens parce que, est-il affirmé dans les motifs de l'arrêt du 23 février 1999, " la procédure n'a été rendue nécessaire qu'à raison de la négligence de M. G....".

Cette affirmation paraît sévère, car s'il est vrai que c'est le manquement reproché à notre collègue qui est à l'origine du procès, son déroulement eût été tout autre si les époux L... n'avaient pas formé les deux demandes qui, reconnues injustifiées, ont fortement accru la durée de l'instance ainsi que les débours qu'elle a entraînés.

Ce fut le 28 décembre 1993 la contestation de l'inscription litigieuse soi-disant prise contre le précédent propriétaire, puis les 20 février et 2 octobre 1995 la mise en cause de la responsabilité du conservateur en invoquant abusivement une omission qui, quoique fautive, avait en réalité éteint le droit de suite auquel, bien à tort, les demandeurs se croyaient exposés.

Certes, à l'action engagée contre lui, M. G... aurait pu de suite utilement répliquer en se prévalant des dispositions de l'article 2198 du code civil.

Il ne l'a pas fait et ce qui s'en est suivi aide à se représenter la véritable portée de la règle traditionnelle, actuellement énoncée à l'article 12 NCPC, selon laquelle " le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ".

En principe, donc, les cours et tribunaux ont l'obligation de statuer conformément aux lois et règlements qui régissent la matière alors même que les parties ne les auraient pas expressément désignés;

Mais en pratique, le relevé d'office des moyens de droit n'est qu'une simple faculté dont, en l'espèce, le tribunal de Saint-Brieuc n'a pas usé.

Aussi, est-il prudent de ne pas compter sur cette éventualité pour pallier les faiblesses juridiques de ses dires.