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ARTICLE 1804

PUBLICATIONS D'ACTES

PROCEDURE

Document à publier constitué par un acte notarié relatant un recours en cassation formé par le créancier contre un arrêt d'appel ayant ordonné la radiation d'un privilège
Refus du dépôt justifié
Retard mis par l'appelant à se désister de son recours devenu de son fait dénué de tout intérêt
Demande incidente de dommages-intérêts reconnue justifiée

Ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Bordeaux du 17 juillet 1995

Arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux (1ère chambre du 9 mars 1998)

Faits : les faits de l'espèce sont la suite de ceux exposés à l'article ci-avant auquel le lecteur est invité à se reporter.

Ayant obtenu les assurances qu'il souhaitait, notre collègue, le 24 mars 1985, radia l'inscription de privilège d'entrepreneur prise le 11 octobre 1993 par la société B... contre la société A...

Mais, de suite, ce conservateur M. G... se trouva aux prises avec une nouvelle difficulté.

Le 28 mars, il lui fut remis deux expéditions, dont l'une établie sur la formule 3265, d'un acte notarié dressé le 24 mars à la requête de la société B...

Dans cet acte, le mandataire de cette société, après avoir rappelé qu'elle était titulaire de l'inscription déjà citée et que le 15 décembre 1994, la Cour d'appel de Bordeaux en avait ordonné la mainlevée, a déclaré que sa mandante " a formé un pourvoi contre cette décision et que ce pourvoi a été enregistré au greffe civil de la Cour de cassation le 8 février 1995 ".

Puis, il a requis le notaire " de faire publier le présent acte au premier bureau des hypothèques de B... afin principalement d'assurer la pleine opposabilité aux tiers du pourvoi en cassation et subsidiairement d'informer lesdits tiers que leur responsabilité pourrait être recherchée pour le cas où, en connaissance de cause, ils contribueraient, dans l'attente de la décision de la Cour de cassation, à porter atteinte au droit soumis à cette cour."

Enfin, dans cet acte, il a été procédé à l'énumération et à la désignation des lots de copropriété qui avaient été grevés par l'inscription radiée.

Ce document, à la date de sa remise, fut inscrit sur le registre des dépôts mais ensuite, la formalité, au lieu d'être achevée, fut mise en attente.

Le conservateur, en effet, se fondant sur le 3 de l'article 74 du décret du 14 octobre 1955, décida d'engager une procédure de rejet pour refus non opposé et à cette fin, notifia les motifs énoncés ci-après :

" L'acte dont la publicité est requise relate un pourvoi tendant à la cassation d'un arrêt d'appel ordonnant la mainlevée de l'inscription d'un privilège d'entrepreneur, et au rétablissement dudit privilège, comme de son inscription qui en est le signe public.

Bien que sa publicité en soit requise dans les formes prévues aux articles 34-1 du décret du 4 janvier 1955 et 67-3 du décret du 14 octobre 1955, un tel acte n'entre pas dans le cadre des dispositions des articles 28 et 35 à 37 du décret du 4 janvier 1955 susvisé, le chapitre III dont ils relèvent étant exclusivement consacré à la publicité des droits sur les immeubles autres que les privilèges et hypothèques;

Bien que visant les privilèges et les hypothèques, cet acte n'entre pas davantage dans le cadre des dispositions de l'article 2149 du code civil relatif aux mentions en marge des bordereaux d'inscriptions existantes et visant les modifications n'ayant pas pour effet d'aggraver la situation du débiteur.

En conclusion, le document en cause ne peut être intégré dans aucun des registres publics dont je suis le gardien, le registre des saisies étant, quant à lui, par hypothèse, écarté."

Cette mesure préparatoire fut, le 29 mai, suivie de la notification de la décision de rejet prise le même jour.

Ce rejet de formalité fut attaqué par le créancier d'abord devant le Président du Tribunal de grande instance de Bordeaux statuant comme en matière de référé, puis, le recours ayant été rejeté, devant la Cour d'appel de Bordeaux.

Ces décisions rendues successivement par ces juridictions sont reproduites ci-dessous :

I - Ordonnance du 17 juillet 1995

Dans cette ordonnance, les prétentions respectives des parties ont été analysées comme suit :

" Selon la société B..., la publicité demandée relève de la publicité obligatoire comme de la publicité facultative prévues au chapitre III du décret du 4 janvier 1955. Elle relève de la publicité obligatoire dans la mesure où l'acte concerné constitue une restriction du droit de disposer. A défaut, elle relève de la publicité facultative prévue à l'article 37, dont l'énumération n'est pas limitative, dans la mesure où cette disposition dans l'esprit du législateur, a pour objectif d'assurer une information des usagers la plus complète et la plus large possible.

Enfin, la société B... soutient que la publicité demandée est nécessaire pour concilier le droit d'exercice d'un pourvoi en cassation et la sauvegarde du droit des tiers, dans la mesure où en conséquence des dispositions de l'article 2157 du code civil, la rétroactivité de la cassation susceptible d'intervenir, serait inopposable aux tiers, vidant ainsi de sa substance le pourvoi formé contre l'arrêt ordonnant la radiation du privilège.

M. G... conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement au débouté, et à titre reconventionnel, sollicite 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le conservateur des hypothèques fait valoir que l'acte dont la publication est requise n'entre pas dans le champ d'application du chapitre III, que ce soit au titre de l'article 28-2° ou au titre de l'article 37. Il expose, en outre, que les recours formés contre les décisions judiciaires ordonnant une radiation d'inscription ne peuvent faire l'objet de la confection d'un bordereau ou d'une apposition en marge du bordereau déjà publié".

Le dispositif de cette ordonnance ainsi que les motifs lui servant de support sont les suivants :

Sur quoi :

I - Sur la demande principale

Les parties s'accordent pour constater que l'acte du 24 mars 1995, dressé par Me B..., tendant à la publication non pas d'un privilège, mais à l'information des tiers quant à l'existence d'un pourvoi contre un arrêt radiant une inscription de privilège, n'entre pas dans les prévisions du chapitre II du décret du 4 janvier 1955 sur " la publicité des privilèges et des hypothèques ". En revanche, pour la société B..., il relèverait du chapitre III intitulé " publicité des droits sur les immeubles autres que les privilèges et les hypothèques, lequel distingue ( article 28 ) entre les actes soumis à publication obligatoire et ceux soumis à publicité facultative ( article 37 ).

a) sur l'application de l'article 28-2° du décret du 4 janvier 1955

L'exercice d'un pourvoi en cassation contre un arrêt ordonnant la radiation d'un privilège ne peut être constitutif d'une restriction pour le propriétaire de l'immeuble, de son droit de disposition. De même, le pourvoi ne peut être considéré comme une cause d'éviction affectant le titre des éventuels ayants droit du propriétaire actuel de l'immeuble, la SCI A...

En effet, les restrictions du droit de disposition ne pourraient résulter que de la loi, d'une décision judiciaire ou d'une convention.

b) sur l'application de l'article 37 du décret du 4 janvier 1955

Les actes soumis à publicité facultative ne confèrent à leurs bénéficiaires aucun droit réel sur l'immeuble concerné, mais seulement une simple créance. L'acte dont la publicité est requise n'entre donc pas dans les catégories visées à l'article 37-1 ou 37-2.

c) sur l'application de l'article 26 aux effets tirés de l'article 2157 du code civil

Il apparaît que par un moyen détourné de procédure, la société B... saisit le juge des référés sur le fondement de l'article 26 pour atténuer les effets de l'article 2157 du code civil qui prévoit que les inscriptions sont rayées notamment en vertu d'un jugement passé en force de chose jugée ainsi que les conséquences d'une annulation éventuelle de la radiation suite au pourvoi en cassation.

En sollicitant l'inscription au titre du chapitre III, d'une simple déclaration de l'exercice d'un pourvoi, la société B... tente de faire revivre à l'égard des tiers, le privilège radié, non pas pour leur rendre opposable en cas de réussite de son pourvoi le privilège dont la radiation serait annulée, mais pour pouvoir exercer contre eux ( acquéreurs ou créanciers hypothécaires ou privilégiés ) une éventuelle action en responsabilité.

Tel n'est pas l'objet de la publicité foncière, la procédure spéciale de recours établie à l'article 26 étant, en outre, étrangère à l'article 2157 du code civil.

En conséquence la demande de la société B.. est rejetée.

II - Sur les demandes reconventionnelles

a) sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Sur le fondement de l'article 26 du décret du 4 janvier 1955, le président du tribunal statue non pas en référé, mais comme en référé, et son ordonnance n'est pas susceptible d'exécution provisoire. Il est donc compétent pour allouer des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Toutefois, en l'espèce, cette demande sera rejetée, la société B... n'ayant fait qu'exercer un droit de contestation reconnu par une disposition réglementaire.

III - sur la demande de frais irrépétibles

Compte-tenu de la nature et de la complexité de l'affaire, il peut être alloué au défendeur une somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement comme en matière de référé
Vu les articles 26, 28 et 37 du décret du 4 janvier 1955 sur la publicité foncière;
Déboutons la société B.. de l'ensemble de ses demandes;
Déboutons M. G.. de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;
Condamnons la société B...à verser à M. G... la somme de quatre mille francs (4 000 F) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Condamnons la Société B... aux dépens."

B - Arrêt du 9 mars 1998

Contre l'ordonnance qui l'avait déboutée, la société B.., le 17 août 1995 interjeta appel; elle demanda à la Cour de Bordeaux d'une part, d'annuler la décision de rejet du 29 mai 1995 et d'autre part, d'enjoindre au conservateur de publier l'acte du 24 mars 1995 sous astreinte de 1 000 F par jour de retard et de le condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 8 000 F par application de l'article 700 N.C.P.C.

Quant au conservateur, il conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise ainsi que, reconventionnellement, à la condamnation de l'intimé à lui payer deux indemnités de 20 000 F, l'une à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et l'autre en compensation des frais irrépétibles.

Toutefois, en cours d'instance la société B... se désista de son appel tandis que l'intimé maintint ses conclusions incidentes, lesquelles dès lors, furent seules jugées;

C'est ce qui ressort des motifs et du dispositif reproduits ci-après :

" Attendu qu'aux termes de l'article 401 du nouveau code de procédure civile, le désistement d'appel, admis en toute matière, n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente;

Que n'est pas une demande incidente la demande de condamnation aux frais irrépétibles de l'article 700 du même code;

Attendu, en l'espèce, que la société B... se désiste de son appel dans ses écritures du 23 janvier 1998; qu'il lui sera donné acte de ce désistement;

Que toutefois, il convient de statuer sur les demandes incidentes faites par M. G..., en qualité de conservateur des hypothèques à B..., auteur du refus de publication;

Attendu que les pièces de la procédure révèlent que la société B... maintenait son appel alors qu'il résulte de l'arrêt rendu le 23 avril 1997 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation que cette société se désistait du pourvoi en cassation qu'elle avait formé contre l'arrêt de cette cour du 15 décembre 1994;

Que ce désistement démontre le peu de sérieux des arguments de la société B.... dans les moyens du pourvoi et donc une faute certaine dans le maintien de l'appel de l'ordonnance de référé; que cette faute est encore aggravée par le fait que le désistement d'appel n'intervient que quelques jours avant l'audience alors que l'arrêt de la Cour de cassation est intervenu depuis presque une année et que les conclusions de M. G... insistant sur l'inutilité de l'appel à la suite de cet arrêt étaient déposées le 7 novembre 1997;

Que cette faute a causé à M. G... un préjudice certain par la nécessité où il s'est trouvé de se défendre à une procédure dilatoire et même vexatoire; qu'il sera donc alloué à M. G... la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Attendu que la société B.., qui se désiste de son appel, supportera les dépens;

Que, tenue aux dépens, elle devra payer à M. G... la somme de 9 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Reçoit en la forme l'appel jugé régulier,
Donne acte à la société B.. de son désistement d'appel,
Condamne la société B.. à payer à M. G... la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 9 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la société B... aux dépens......"

 

Observations : Les conservateurs ont pour rôle d'assurer la formation régulière des registres publics dont ils ont la garde.

Ce rôle est primordial car de lui découlent toutes leurs attributions civiles;

Longtemps, ces registres furent servis soit en inscrivant les privilèges et les hypothèques auxquels les titres présentés avaient donné naissance, soit en transcrivant les actes et les décisions judiciaires, c'est-à-dire en les recopiant.

Mais depuis les lois du 1er mars 1918 et du 24 juillet 1921, ils sont constitués en enliassant et reliant les bordereaux d'inscription ainsi que les copies des actes et des décisions : ils sont donc devenus des recueils de documents déposés.

Ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article 77 du décret du 14 octobre 1955, les registres publics sont au nombre de trois : il y a le registre des inscriptions, celui des commandements valant saisie, enfin, celui des droits sur les immeubles autres que les privilèges, les hypothèques et les saisies;

En l'espèce, l'acte notarié remis le 28 mars 1995 à notre collègue G... tendait uniquement à relater que le 11 octobre 1993, une inscription de privilège d'entrepreneur avait été prise sur l'ensemble immobilier qui y était identifié, que le 15 décembre 1994, la Cour d'appel de Bordeaux avait ordonné la mainlevée de cette inscription mais que, contre cet arrêt, le créancier, le 7 février 1995, s'était pourvu en cassation.

Par suite, si ce document était ajouté au registre public, il permettrait à toute personne demandant des renseignements sur la situation juridique de l'immeuble qui y était désigné d'apprendre que ce bien avait été grevé d'un privilège, que cependant, cette charge n'était plus délivrée et donc devait être regardée comme périmée ou radiée mais qu'elle était susceptible d'être rétablie.

Or, pour opérer sa publication et obtenir en conséquence le résultat qu'il souhaitait, le créancier avait remis deux expéditions du document dont l'une était rédigée sur la formule spéciale dont l'emploi est prescrit à l'article 67-3 du décret du 14 octobre 1955.

Ce qui signifiait qu'il voulait que des informations qui, pourtant étaient relatives exclusivement à une sûreté réelle, fussent introduites dans le registre propre à la publication des droits sur les immeubles autres que les privilèges et hypothèques.

A une telle anomalie, le conservateur ne pouvait que s'opposer.

Mais pour autant, il ne disposait pas du pouvoir d'intégrer le document en cause dans le registre des inscriptions car la collecte de renseignements sur les privilèges et les hypothèques est filtrée par les dispositions des articles 2148 et 2149 du code civil.

En effet, selon l'article 2148, ce registre est composé uniquement de bordereaux d'inscription et de l'article 2149, il résulte que les actes et décisions judiciaires les modifiant ne sont pas susceptibles d'y être incorporés.

Ceux-ci et celles-ci peuvent seulement être publiés par le conservateur sous forme de mentions en marge des inscriptions existantes à condition toutefois de ne pas avoir pour effet d'aggraver la situation du débiteur.

Il ne pouvait, dès lors, qu'être considéré que l'acte portant dénonciation du pourvoi en cassation n'était pas au nombre des documents appelés à être reliés afin de concourir à la formation des registres publics et qu'être conclu,en conséquence, qu'il devait être refusé.

En réalité, ce ne fut pas ce qui fut fait: cet acte, le jour de sa remise a été mentionné sur le registre dont la tenue est exigée à l'article 2200 du code civil; mais avant d'achever l'exécution de la formalité, notre collègue usa du droit, accordé par le 3 de l'article 74 du décret du 14 octobre 1955, d'appliquer les règles du rejet lorsqu'il apparaît, au moment de l'annotation du fichier, que le dépôt aurait du être refusé.

Dans la notification réglementaire, adressée au signataire du certificat d'identité, les principes rappelés ci-dessus étaient clairement exposés et ils donnèrent à la décision de rejet une base légale solide.

Cette décision cependant, fut vigoureusement contestée devant le juge de la validité des rejets tant en première instance qu'en appel.

A l'appui de conclusions tendant à obtenir la condamnation du conservateur à exécuter la publication sous astreinte de 1 000 F par jour de retard, le créancier invoqua deux moyens.

Le premier consista à affirmer que cette publication était régie par le chapitre III du décret du 4 janvier 1955 relatif, selon son intitulé, à la " publicité des droits sur les immeubles autres que les privilèges et hypothèques " et non du chapitre II du même décret qui concerne " la publicité des privilèges et hypothèques".

Quant au second, il fut avancé à titre subsidiaire; il se ramena à soutenir qu' " à supposer même que la publicité relève du chapitre II du décret, elle est nécessaire pour concilier le droit fondamental d'exercer le pourvoi en cassation et la sauvegarde des droits des tiers " c'est-à-dire, est-il expliqué, qu'il faut que le succès du pourvoi puisse leur être rétroactivement opposé.

Dans ses écritures, la société B.. développa longuement les raisons ainsi données mais aucune d'elles ne valait critique pertinente des motifs de la décision attaquée.

En effet, il était constant que le seul droit immobilier désigné dans l'acte en cause était un privilège.

Aussi ne pouvait-il pas être fait grief au conservateur d'avoir considéré que la publication demandée n'était pas susceptible d'être opérée selon les modalités propres à la publicité des droits sur les immeubles autres que les privilèges et les hypothèques.

C'est pourtant cette évidence que la demanderesse a estimé devoir combattre.

Dans ce but, elle a allégué que " le chapitre III du décret du 4 janvier 1955 constitue le droit commun de la publicité foncière tandis que le chapitre II est d'interprétation restrictive ".

Corrélativement, elle s'est prévalue du 2° de l'article 28 de ce décret qui soumet obligatoirement à la publicité " les actes entre vifs dressés distinctement pour constater les clauses d'inaliénabilité temporaire et toutes autres restrictions au droit de disposer ".

Elle a également fait appel à l'article 37 du même décret qui énumère des documents admis à être publiés " pour l'information des usagers ".

La liste ainsi dressée serait énonciative et non limitative si bien que rien n'empêcherait de publier la relation d'un recours en cassation formé contre un jugement de mainlevée.

Ces arguments rapprochés des motifs de fait et de droit qu'ils étaient censés réfuter étaient manifestement sans valeur.

Ils tendaient seulement à désorienter l'adversaire en suscitant l'impression qu'existaient des difficultés là ou il n'y en avait aucune.

En réalité, avant comme depuis le décret du 4 janvier 1955, la publicité des privilèges et des hypothèques, d'une part, est entièrement séparée de celle des autres droits sur les immeubles et, d'autre part, est strictement limitée à la délivrance des inscriptions subsistantes avec, s'il y en a, les mentions en marge qui leur ont été ajoutées.

Dans la présente affaire, le document à publier ne citait d'autre droit immobilier qu'un privilège; mais il ne constituait pas un bordereau d'inscription et n'était pas non plus susceptible d'être mentionné en marge d'un bordereau déjà formalisé.

Le conservateur, dès lors, ne pouvait, comme il l'a fait, que le déclarer non publiable sans que ce mandataire légal ait à s'intéresser aux articles 28 et 37 du décret susvisé dont les dispositions, parce que propres à la publicité des droits autres que les privilèges et les hypothèques, apparaissent de ce seul fait comme totalement, inopérantes.

Il en était de même pour le moyen subsidiaire tiré de ce que la publicité qui n'avait pas été faite était nécessaire pour que la cassation, quand elle est prononcée, produise ses effets normaux.

Ce raisonnement, en effet, était étranger à la recherche de la solution du litige dès lors qu'une décision de rejet ne peut être annulée qu'à condition qu'il soit établi que la publicité qu'elle a empêchée aurait été régulière au regard des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date où elle a été prise.

Au surplus, le résultat voulu emporterait abrogation du principe qui veut que certains tiers ne puissent se voir opposer les effets d'une inscription rétablie à la suite de l'annulation judiciaire du titre en vertu duquel elle avait été radiée;

Les tiers ainsi épargnés sont les personnes qui ont inscrit ou publié des droits concurrents sur le même immeuble entre le jour où l'inscription qui le grevait a été anéantie et celui où elle a été réinscrite à la suite du jugement ayant annulé sa radiation.

C'est ce qui résulte d'une jurisprudence de la Cour de cassation, ancienne mais constante, que les lecteurs du Bulletin connaissent bien .

Elle n'a jamais été démentie; au contraire, récemment, elle a été confirmée et appliquée à l'infirmation de la radiation d'une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire .

Dans leurs dires, les auteurs du procès fait à M. G... ont fait comme si les nombreux arrêts la constituant n'existaient pas; selon eux, l'inopposabilité est proposée par la doctrine " en l'absence de jurisprudence sur ce point ".

Et pourtant, cette jurisprudence, élaborée dès le début du 19ème siècle est généralement connue; les arrêts se trouvent au Sirey ou au Dalloz et dans les ouvrages où il est traité des inscriptions, elle est habituellement citée.

Elle a d'ailleurs sa source dans l'organisation même de la publicité des privilèges et des hypothèques telle qu'elle a été décrite ci-dessus et d'où il ressort :

- que toutes les informations obtenues dans les bureaux des hypothèques sont, lorsqu'elles concernent ces sûretés réelles, extraites exclusivement des énonciations au registre des inscriptions;

- et que les inscriptions entièrement radiées ne sont pas délivrées puisqu'elles ne sont plus subsistantes.

Dans ce système, ceux qui prêtent sur hypothèque ou achètent des immeubles sont amenés, lorsqu'ils établissent leurs titres puis les font publier, à lever des états hypothécaires; mais les inscriptions radiées n'y sont pas mentionnées.

Aussi, serait-il contraire à la foi due à ces états et à la sécurité qu'ils sont destinés à apporter que d'opposer à ces tiers des inscriptions qui ne pouvaient leur être révélées.

Entre les intérêts particuliers des très rares créanciers pour lesquels la justice a enjoint d'abord de supprimer le signe public de leur sûreté puis de le rétablir et les intérêts généraux du crédit hypothécaire et du commerce des immeubles, la Cour de cassation a constamment donné la préférence aux seconds.

Or, dans cette construction jurisprudentielle, la publicité empêchée par le conservateur aurait ouvert une brèche si elle avait été ordonnée par le juge des rejets. Mais, comme il a été démontré, l'action engagée à cette fin par la société B.. n'avait aucune chance de prospérer.

Aussi, cette société fut-elle déboutée en première instance et, en appel, quoiqu'elle se fut désistée à la suite de la renonciation au pourvoi qu'elle voulait voir relaté dans les réponses aux demandes de renseignements, notre collègue obtint 20 000 F de dommages-intérêts s'ajoutant aux
9 000 F accordés à titre de frais irrépétibles.