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Art. 1812

PROCEDURE

TAXE DE PUBLICITE FONCIERE

Contrôle juridictionnel de la validité des refus
Refus d'une inscription requise sans paiement préalable de la taxe de publicité foncière réclamée par le conservateur
Taxe qualifiée de "n'ayant manifestement pas à être perçue" par le Président du tribunal de grande instance avec, en conséquence, l'annulation du refus contesté

Ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Créteil du 28 octobre 1999

Faits : Comme elle l'avait fait vainement, d'abord le 3, puis le 9 septembre 1999, la banque C..., représentée par son avocat, a, pour conserver une somme capitale de 2 200 000 F, requis le 17 du même mois deux inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire sur un immeuble situé à S... et appartenant conjointement aux époux L...

Il a donc été demandé de grever pour sûreté de cette créance à la fois les droits immobiliers du mari et ceux de la femme.

Mais alors que M. P..., conservateur du bureau de ..., réclamait pour l'une des inscriptions le paiement de la taxe de publicité foncière au taux de 0,60 %, le requérant estima qu'elle n'était pas due et s'abstint en conséquence d'ajouter le montant de cette taxe, soit 13 350 F., à la provision qu'il avait versée.

Or, aux termes du 3ème alinéa de l'article 1701 du code général des impôts, " à défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière, le dépôt est refusé " si bien que pour la troisième fois, notre collègue, se fondant sur ces dispositions, refusa l'inscription par une décision notifiée le 21 septembre.

Contre cette décision, la banque C..., dans le délai légal de 8 jours, exerça le recours ouvert à l'article 26 nouveau du décret du 4 janvier 1955.

A cet effet, ce créancier, le 27 septembre 1999, assigna M. P... devant le président du tribunal de grande instance de Créteil afin que le refus attaqué soit annulé et que son auteur soit condamné à lui payer une indemnité de 5000 F. au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A la demande d'annulation, il fut fait droit dans une ordonnance rendue le 28 octobre 1999 dont les motifs et le dispositif sont reproduits ci-après:

" Le défendeur oppose d'abord à C... une fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt d'agir, les inscriptions ayant été publiées le 22 septembre 1999 et aucune inscription n'ayant été prise dans l'intervalle.

Mais s'il est exact que pour sauvegarder ses droits et prendre rang dans les meilleurs délais, C..., nonobstant le recours exercé à l'encontre de la décision de refus opposée à son dépôt du 17 septembre 1999, a préféré effectuer immédiatement un nouveau dépôt en réglant la taxe de publicité foncière exigée par le conservateur, il n'en demeure pas moins qu'il conserve un intérêt évident à voir annuler cette décision qu'il considère infondée, tant par principe que pour appuyer une demande ultérieure en restitution des droits qui, selon lui, ont été indûment payés lors du dernier dépôt.

Sa demande est donc recevable.

Sur le fond, le défendeur fait valoir qu'en cas de difficultés, l'article 1701 du code général des impôts lui interdit de surseoir à la perception de la taxe, sous peine d'engager sa responsabilité personnelle en application de l'article 1702, et qu'il appartenait à C..., ce qu'en définitive il a fait, de régler la somme réclamée, à charge pour lui de se pourvoir en restitution s'il la contestait.

Il conteste au surplus l'unicité de créance alléguée par C..., faisant valoir que l'inscription d'hypothèque conventionnelle a été prise à hauteur de 8 050 000 F. à l'encontre de la SCI M... en vertu de l'acte de prêt du 24 avril 1992 alors que la créance des époux L... résulte de l'ordonnance d'autorisation d'inscription hypothécaire du 25 août 1999.

Cependant, l'article 844 du code général des impôts dispose qu'il n'est perçu qu'une seule taxe de publicité foncière pour chaque créance quel que soit le nombre des créanciers requérants et celui des débiteurs grevés.

L'article 1702 bis précise que lorsqu'il est nécessaire de requérir dans plusieurs bureaux des hypothèques l'inscription d'hypothèques conventionnelles ou judiciaires garantissant une même créance, la taxe est acquittée en totalité dans le bureau où la formalité est requise en premier lieu, et il n'est payé dans chacun des autres bureaux que le salaire du conservateur, à condition que le bureau où la publicité a été requise en premier lieu soit explicitement désigné dans la réquisition déposée aux autres bureaux et qu'un duplicata de la quittance constatant le paiement entier de la taxe dans le bureau ainsi désigné soit représenté.

En l'espèce, il n'est pas discuté que C... a satisfait lors du dépôt litigieux à ces prescriptions formelles.

Par ailleurs, c'est à juste titre qu'il soutient que bien qu'ayant inscrit son hypothèque conventionnelle initiale, puis son hypothèque judiciaire conservatoire en vertu de titres distincts et à l'encontre de débiteurs différents, celles-ci concernent bien une créance unique, à savoir la dette de la SCI M... dont M. et Mme L..., en leur qualité d'associés, répondent indéfiniment à proportion de leur part dans le capital social, en vertu de l'article 1857 du code civil.

C'est donc à tort que le conservateur a refusé le dépôt, faute de versement d'une provision couvrant le paiement de la taxe de publicité foncière qui, en la cause n'avait manifestement pas à être perçue, et l'article 1701 du code général des impôts ne saurait justifier sa décision, dans la mesure où la dispense de taxe sollicitée par C... résultait de la stricte application de l'article 1702 bis du même code.

Cette décision sera en conséquence annulée.

Toutefois, l'équité ne conduit pas à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, par ordonnance insusceptible d'exécution provisoire et comme en matière de référé,

Reçoit C... en son recours à l'encontre de la décision de refus du dépôt des hypothèques judiciaires provisoires requises le 17 septembre 1999 à l'encontre de M. L... et de son épouse, Mme B..., prise par M. P... conservateur des hypothèques de ..., le 21 septembre 1999,

Dit et juge cette décision de refus mal fondée, et en conséquence l'annule,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne M. le conservateur des hypothèques de ... aux dépens."

Observations. Selon le conservateur qui s'est fondé à la fois sur le premier alinéa de l'article 844 du code général des impôts et sur le première phrase du second alinéa du même article, l'une des inscriptions d'hypothèque judiciaire requises par la banque C..., donnait ouverture à la taxe de publicité foncière liquidée au taux de 0,60 % et dont, conformément à l'article 1647 Va du même code, le montant ainsi obtenu doit être augmenté d'un prélèvement de 2,50 % institué au profit de l'Etat.

A l'évaluation ainsi donnée à la créance du Trésor, le vice-président du tribunal de grande instance de Créteil a opposé la règle de non cumul, invoquée par le demandeur et résultant des dispositions combinées de la deuxième phrase du second alinéa de l'article 844 déjà cité et de l'article 1702 bis du même code.

Pour déclarer que ces dispositions dérogatoires auraient dû être appliquées, ce magistrat a considéré que la créance que l'inscrivant entendait garantir avait déjà été conservée par une inscription d'hypothèque conventionnelle prise dans un autre bureau des hypothèques le 20 mai 1992 à l'encontre de la SCI M... dont les époux L... sont les seuls associés.

De là, c'est-à-dire de ce que la taxe non versée n'était pas légalement due, il a été jugé que le conservateur s'était à tort opposé au dépôt des bordereaux et qu'en conséquence, le refus litigieux devait être annulé.

Mais en se déterminant par ce motif, l'auteur de l'ordonnance du 28 octobre 1999 n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des deux premiers alinéas de l'article 1701 du code général des impôts.

Ces alinéas sont issus de l'article 28 de la loi du 22 frimaire an VII où il est énoncé ce qui suit:

" Les droits des actes et ceux des mutations par décès seront payés avant l'enregistrement, aux taux et quotités réglés par la présente.

Nul ne pourra en atténuer ni différer le paiement, sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s'il y a lieu ".

Le membre de phrase " de la publicité foncière, ou de la formalité fusionnée " a été ajouté au premier alinéa dudit article 28, devenu celui de l'article 1701, en application des dispositions de l'article 5 de la loi n° 69-1168 du 26 décembre 1969 portant réforme des droits d'enregistrement et de la publicité foncière.

En effet, selon cet article 5, " les dispositions concernant l'exigibilité, l'assiette, la liquidation et le recouvrement des droits d'enregistrement ainsi que celles relatives à leur contrôle, aux pénalités, procédures, garanties, restitution et prescriptions sont applicable à la taxe de publicité foncière ".

Par suite, les conservateurs des hypothèques en leur qualité de comptables publics chargés de percevoir la taxe de publicité foncière à l'occasion des formalités civiles qu'ils exécutent sont investis de la même prérogative que celle que, depuis deux siècles, les receveurs de l'enregistrement sont tenus d'exercer.

Comme ces derniers le font lorsqu'ils sont requis d'enregistrer des actes ou des déclarations, les conservateurs liquident les droits devant être payés avant l'accomplissement des publications requises.

Ces liquidations s'imposent absolument aux requérants qui ne disposent d'aucun moyen d'en arrêter l'exigibilité.

C'est ce que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 22 octobre 1991 ( JCP 1992 édit. N, n° 48, II, page 389 ) en relevant qu'à tort, le jugement attaqué a considéré que le requérant d'une formalité unifiée avait payé volontairement la taxe de publicité foncière et ce, parce qu'il n'avait pas fait valoir la prescription, alors qu'en réalité, il résulte de l'article 1701 qu'il " avait aucune possibilité de se soustraire au paiement des droits ".

La seule voie de recours consiste à " se pourvoir en restitution ", ce qui implique qu'il faut d'abord payer et ensuite, si l'on s'y croit fondé, réclamer le remboursement dans les formes fixées aux articles L. 190 et suivants du livre des procédures fiscales.

Dans ces articles, il est notamment prescrit que les réclamations relatives aux impôts de toute nature doivent être obligatoirement présentées à l'administration.

Il est également prévu qu'en matière de taxe de publicité foncière, les décisions rendues par l'administration qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal de grande instance.

Ainsi, le contentieux de la taxe de publicité foncière ressortit à la compétence de ce tribunal; mais il ne relève à aucun titre des pouvoirs accordés à son président.

Aussi, en l'espèce, le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil, en se prononçant sur le bien fondé de la taxe vainement demandée par le conservateur, est-il sorti des limites de sa propre compétence.

D'autre part, en décidant que parce qu'illégale, cette taxe n'était pas exigible, il a méconnu la défense faite au second alinéa de l'article 1701 d'en atténuer ou différer le paiement pour quelque motif que ce soit.

C'est pourquoi à l'ordonnance qui a annulé sa décision de refus et l'a condamné aux dépens, M. P... n'a pas acquiescé.

L'excès de pouvoir commis par le premier juge lui est apparu manifeste et il a, en conséquence, interjeté appel.

Enfin, et bien que ce soit sans incidence sur la validité du refus dont le rétablissement est demandé, il est indiqué qu'il ne saurait être souscrit à l'affirmation contenue dans les motifs de l'ordonnance, selon laquelle l'imposition arbitrée par le conservateur " n'avait manifestement pas à être perçue " parce que " la dispense de taxe sollicitée par le C... résultait de la stricte application de l'article 1702 bis du code général des impôts ".

En réalité, dans la mesure où cet article décide la perception d'une seule taxe de publicité foncière lorsque plusieurs inscriptions prises dans des bureaux différents garantissent la même créance, il déroge à la règle majeure résultant des articles 663 et 844 du même code qui veut que toute réquisition d'inscription d'hypothèque judiciaire ou conventionnelle soit le fait générateur de ladite taxe.

Par suite, ayant le caractère d'une mesure d'exception, la dispense ainsi accordée doit être appliquée limitativement.

Il faut donc constater que l'inscription pour laquelle l'exonération de taxe de publicité foncière est revendiquée a été prise pour sûreté des mêmes sommes que celles ayant servi dans un autre bureau à sa liquidation.

Or, en l'espèce, cette condition n'est pas remplie.

Ainsi qu'il est exposé dans l'analyse des dires des parties, faite dans l'ordonnance du 28 octobre 1999, la banque C... a elle-même évalué à un total de 10 384 669, O2 F ce que lui doit la SCI M....

Ce total ressort d'un arrêté de compte effectué en se plaçant au 26 juillet 1999 qui est la date à laquelle le tribunal de commerce de Melun a prononcé la mise en liquidation judiciaire de cette société et c'est ce solde qui, le 13 août suivant, a été déclaré au liquidateur.

Or, la créance ainsi réévaluée se trouvait déjà conservée par l'inscription d'hypothèque conventionnelle prise le 20 mai 1992, mais seulement à concurrence de 8 050 000 F.

C'est pour parfaire ce gage, que la banque C... a demandé au juge de l'exécution de l'autoriser à inscrire deux sûretés provisoires sur un immeuble appartenant aux époux L... pris en leur qualité de porteurs de parts de la société débitrice.

A cette fin, devant cette juridiction, ce créancier a invoqué l'article 1857 du code civil qui dispose qu' "à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements".

Statuant sur la requête dont il était saisi par une ordonnance rendue le 30 août 1999, le juge de l'exécution autorisa la mesure conservatoire sollicitée et fixa à 10 384 669, 02 F le montant des sommes pouvant, grâce à elle, être garanties.

C'est cette autorisation qui permit à son bénéficiaire de requérir le 17 septembre 1999 les inscriptions provisoires litigieuses et de le faire du chef respectivement de chacun des époux L..., l'une et l'autre étant prises pour sûreté de 2 200 000 F.

Ces inscriptions, dès lors, n'entraient nullement dans les prévisions de l'article 1702 bis car, loin d'être relatives à des sommes déjà énoncées dans un autre bordereau, elles avaient pour objet de les augmenter.

L'une d'elles, par suite, devait, comme le conservateur l'a estimé, donner ouverture à la taxe de 0,60 % si bien que l'erreur relevée à son endroit n'est nullement établie.

Cette opinion, toutefois, est un simple avis auquel aucune valeur doctrinale ne doit être attribuée.

Au premier degré, en effet, la solution des difficultés d'ordre fiscal appartient aux directeurs départementaux des services fiscaux et c'est pourquoi notre association a pris pour règle de s'abstenir de prendre parti à leur sujet.