Retour

Art. 1813

PROCEDURE

Responsabilité personnelle du conservateur
Action engagée par un créancier qui, quoiqu'étant seul à bénéficier d'une inscription d'hypothèque, n'a rien reçu du prix de vente de l'immeuble grevé
Prix payé hors la vue du notaire à la suite de la délivrance d'un état hors formalité certifié à la date de la veille du jour de cette inscription et n'ayant pu par suite, la mentionner
Manquement incriminé ayant consisté à omettre ladite inscription dans l'état sur formalité
Absence de lien de causalité entre la faute et le dommage

Jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 2 juillet 1998

(10ème Chambre)

Faits : Le 24 juin 1994, la Banque B...a inscrit une hypothèque judiciaire sur un terrain appartenant à l'un de ses débiteurs, M K... qui, par un acte notarié du 10 août de la même année, l'a vendu à son frère.

Cet acte, publié le 8 septembre 1994, a été établi en tenant compte d'un état hors formalité daté du 22 juillet 1974 mais certifié au 23 juin et qui, par suite, ne révélait pas l'inscription prise le lendemain 24.

Aussi, lors de la passation de cette vente, les parties et le notaire ont-ils cru pouvoir faire comme s'il n'y avait aucun créancier inscrit si bien que dans l'acte, il a été relaté que "l'acquéreur a payé le prix (50 000 F) comptant à concurrence de la totalité en dehors de la comptabilité du notaire".

Il est donc certain qu'il y a eu une fausse appréciation de la situation hypothécaire du bien vendu mais cette méprise ne pouvait pas être imputée au conservateur.

En effet, le manquement qui lui a été reproché a été commis lorsque l'acte du 10 août 1994 a été publié et non au moment où il a été reçu.

Ce manquement, en réalité, a consisté à omettre l'inscription en cause dans l'état requis en conséquence de cette publication, lequel, délivré le 6 octobre 1994, a, comme il se devait, été certifié au 8 septembre.

Arguant de cette omission, la banque B..., par un exploit signifié le 9 octobre 1997, assigna notre collègue devant le tribunal de grande instance de Marseille pour qu'il soit condamné, avec exécution provisoire, à verser 50 000 F de dommages-intérêts ainsi qu'à supporter les entiers dépens, avec en outre, le paiement d'une indemnité de 5 000 F au titre des frais irrépétibles.

Dans cette assignation, il fut affirmé qu' "il est évident que le notaire n'aurait pas accepté de passer un acte sans que les fonds transitent par sa caisse s'il avait été informé de l'existence de l'inscription d'hypothèque litigieuse".

Cette opinion est vraisemblable, mais l'accord des parties ayant été authentifié le 10 août 1994, rien n'aurait été changé si, le 6 octobre suivant, le notaire avait appris que le terrain cédé était chargé d'une hypothèque judiciaire inscrite pour conserver une somme de 71 443 F.

C'est ce que le défendeur invoqua dans son mémoire où il démontra qu' "avant la vente, il n'y a pas d'erreur commise par le concluant et qu'après cette vente, l'erreur n'est pas constitutive de préjudice".

Statuant le 2 juillet 1998 sur le litige dont il était saisi, le tribunal de grande instance de Marseille reconnut que le dommage litigieux n'était pas arrivé par la faute du conservateur.

Il débouta en conséquence la banque B... par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après:

" Attendu que s'il est constant que le conservateur des hypothèques n'a commis aucune erreur en délivrant un état certifié au 23 juin 1994 où ne figurait pas l'inscription litigieuse dès lors que celle-ci n'a été faite que le lendemain soit le 24 juin 1994, il est tout aussi avéré qu'il en a commis une en délivrant après la vente un état qui ne révélait pas cette inscription évidemment antérieure;

Attendu, au demeurant, qu'il ne conteste pas cette erreur;

Attendu que la Banque B... fait valoir, au soutien de ses demandes, que le notaire a écrit:

- d'une part, "si l'état hypothécaire urgent hors formalité avait révélé l'inscription, le prix de vente aurait obligatoirement transité par la comptabilité de l'office"

- et d'autre part, "le fait que l'inscription ne figure pas sur l'état sur formalité a empêché les services de prendre immédiatement des mesures nécessaires pour tenter de récupérer les fonds auprès du vendeur ou faire opposition",

pour en déduire que la faute que le conservateur ne conteste pas est bien la cause du préjudice par elle subi;

Attendu cependant et sur la première observation du notaire, que pour qu'une faute entraîne la responsabilité de son auteur alors qu'un préjudice est allégué, encore faut-il que le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice soit démontré;

Or, attendu que tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors que c'est au vu du premier état certifié que le notaire a cru devoir se passer d'un paiement en sa comptabilité, le second ayant été inopérant à cet égard;

Attendu en second lieu et sur la deuxième observation du notaire, que l'absence de mainmise sur les fonds étant consommée au moment où l'erreur du conservateur s'est matérialisée, il ne peut être tenu pour certain qu'à défaut de cette erreur, ils auraient pu être récupérés, ce que d'ailleurs indique bien le notaire;

Or, attendu qu'il n'est pas rapporté la preuve, en l'espèce, que ces fonds, si l'erreur n'avait pas été commise, auraient pu être en effet récupérés ni d'ailleurs qu'ils auraient eu plus de chance de l'être à ce moment qu'à celui où l'erreur est apparue (ce qui aurait pu être de nature à fonder une action sur la perte d'une chance qui n'est même pas alléguée), en sorte que cette fois, si l'erreur et donc la faute est démontrée, le préjudice lié à cette faute ne l'est point;

Attendu, en conséquence, que les demandes de la Banque B... doivent être rejetées;

Attendu, cependant, que l'équité ne commande pas, en l'espèce, qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Déboute la Banque B... de ses demandes, Dit cependant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la Banque B... aux dépens de l'instance,

En ordonne distraction au profit de Me T... sur son affirmation d'en avoir fait l'avance."

Observations : Si le prix de 50 000 F avait transité par la comptabilité du notaire et si cet officier ministériel avait, pour en fixer l'emploi, attendu d'avoir l'état de renseignements délivré le 6 octobre 1994 en conséquence de la publication, faite le 8 septembre, de la vente du 10 août, ce prix aurait été remis au vendeur et non à la banque B...

En effet, cet état sur formalité ne mentionnait aucune inscription de privilège ou d'hypothèque alors que celle prise le 24 juin 1994 par cette banque aurait dû y figurer.

Assurément, dans une telle situation, l'omission serait apparue comme ayant été la cause directe du non désintéressement partiel de l'unique créancier inscrit, de sorte que la créancière eut été reconnue fondée à se retourner contre le conservateur si les poursuites par elle engagées contre son débiteur avaient été infructueuses.

Mais en l'espèce, à une date non indiquée mais antérieure au 10 août 1994, le prix du terrain grevé a été payé directement par l'acquéreur au vendeur alors que l'état incomplet n'a pas pu être connu du notaire avant le 6 octobre 1994.

Ce jour là, il y avait près de deux mois que cet officier ministériel avait prêté son concours aux parties contractantes et il était, dès lors, privé de la possibilité d'en subordonner l'octroi à la remise du prix.

Il n'existait donc aucune relation de cause à effet entre la non révélation de l'inscription et la perte financière dont il était demandé réparation

C'est ce que notre collègue a fait valoir devant le tribunal de grande instance de Marseille et il a été entendu.

Rapprocher: Bull. AMC, art.1802.