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Art.1831

PUBLICITE FONCIERE

PROCEDURE

I - Rejet de la formalité
Document rectificatif remis au conservateur
après l’expiration du délai de régularisation d’un mois
fixé au quatrième alinéa du paragraphe 3 de l’article 34
du décret n°55-1350  du 14 octobre 1955 modifié
Remise devant être regardée comme inopérante

II - Action en indemnité contre le conservateur
Notion de faute de nature à engager sa responsabilité
Régularisation d’une inscription placée en attente au vu d’un bordereau rectificatif
remis à son bureau après l’expiration du délai légal d’un mois
imparti au 3 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955 ( Oui )
Lien de causalité entre la faute et le dommage
Rejet par un tribunal de grande instance, statuant dans le cadre d’une procédure d’ordre,
 de la réclamation d’un créancier primé
ayant conclu devant lui à l’inopposabilité de cette inscription
Causalité maintenue

Arrêt de la Cour de cassation ( 3ème Chambre civile) du 29 novembre 2000

Faits

L’affaire qui vient de connaître son épilogue a son origine dans un différend qui, lors de la distribution du prix d’un immeuble grevé, s’est élevé entre deux créanciers inscrits, savoir, la société C…. ( C.G.I ) et la société G...venant aux droits de la société P..S…qu’elle avait absorbée.

Suivant un acte notarié du 1er mars 1990, cet immeuble a été vendu au prix de 1.300.000 francs par la société P..S..T.. à la société V….

Cette dernière, compte tenu des inscriptions subsistantes, a engagé une procédure de purge et, pour que ce prix soit attribué à ceux qui y avaient droit, elle a demandé l’ouverture d’un ordre lequel, toutefois, n’aboutit qu’à un règlement amiable partiel.

Dans le procès-verbal dressé le 15 avril 1991, le juge aux ordres, constatant que tous les créanciers inscrits ne seraient pas désintéressés et qu’ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord, se borna à colloquer le bénéficiaire du privilège des frais de justice et le créancier hypothécaire de premier rang,  ce qui ramena le solde disponible à 1.022.236, 71 francs.

La C.G.I. affirmait que ce solde, auquel s’ajoutèrent le 18 février 1992 2.030,14 francs d’intérêts, devait lui être remis compte tenu  des deux inscriptions d’hypothèque  judiciaire qu’elle avait prises les 17 décembre 1987 et 4 juillet 1991 pour conserver  respectivement 250.000 francs et 1.163.108 francs.

La plus récente des deux toutefois, était une inscription définitive substituée rétroactivement à une sûreté conservatoire pratiquée le 22 juin 1988 pour garantir le paiement d’une somme  capitale de 600.000 francs.

Aussi, était-elle invoquée dans la limite seulement de ladite somme.

A la prétention ainsi formulée, la société G…répliqua, d’une part en contestant la validité de l’inscription du 17 décembre 1987 qui, procédant d’une condamnation provisionnelle, lui apparaissait comme n’étant que provisoire et devant, dès lors, être suivie d’une inscription définitive et d’autre part, en opposant à celle ayant rang du 22 juin 1988, l’hypothèque dont elle bénéficiait et qui avait été inscrite par la société P…S…le 13 du même mois pour sûreté d’une créance conventionnelle de 616.691 francs .

C’est ce qu’elle fit valoir dans les conclusions qu’elle présenta au tribunal de grande instance de Tours lorsque, par un exploit du 4 mars 1992, sa concurrente l’assigna devant cette juridiction.

Statuant le 25 février 1993 sur la requête dont il était saisi, ce tribunal fixa les rangs litigieux.

Ce faisant, il décida d’abord que l’hypothèque judiciaire inscrite le 17 décembre 1987 par la demanderesse était régie par l’article 2123 du code civil , qu’elle n’avait pas, dès lors, à être confirmée par une inscription définitive et que, par suite, elle était valable et avait un rang antérieur à celle inscrite le13 juin 1988.

Puis, examinant le second chef de désaccord, il ne reconnut pas que cette même inscription, taxée d’être irrégulière, était inopposable et  jugea que, par elle, celle du 22 juin était primée.

Pour justifier ce choix, il énonça les motifs reproduits ci-après :

“ Attendu cependant que dès le 13 juin 1988, la société P…S…avait inscrit une hypothèque conventionnelle sur le même immeuble; que la formalité du dépôt alors effectuée fut toutefois mise en attente puisque aussi bien le 12 juillet 1988, M. le conservateur des hypothèques releva une discordance entre les énonciations relatives à l’identification des parties; que M. le conservateur des hypothèques, qui avait provisoirement accepté le dépôt, rejeta alors la formalité sus évoquée et invita la S.C.P. S…, notaire à…., à régulariser la formalité en cause;

“ Attendu que M. le Conservateur précisa encore à cette S.C.P. S…qu’il lui appartenait de régulariser le document dans le délai d’un mois, qu’à défaut, la formalité serait rejetée définitivement, puis lui rappela qu’aux termes de l’article 34, alinéa 3 du décret du 14 octobre 1955, le point de départ du délai imparti était fixé au jour de la notification directe, ou à défaut, à la date indiquée par l’administration des postes sur l’avis de réception ;

“ Attendu qu’en dépit de ces indications, la société P…S…ne régularisa la formalité en attente que le 17 août 1988; qu’aucune pièce ne permet de considérer, faute de copie de l’avis de réception, que le rejet de la formalité opéré le 12 juillet ait seulement été notifié le 16 juillet; qu’au demeurant, à supposer cette date exacte, le délai d’un mois sus évoqué était le 17 août 1988 ( le 17 août 1988 étant un mercredi, aucune prorogation n’a pu intervenir en vertu de l’article 642 du nouveau code de procédure civile ); qu’en dépit de cela, M. le conservateur des hypothèques ne refusa point définitivement l’inscription alors en attente, conformément à l’article 34-3 du décret du 14 octobre 1955 [1] mais l’inscrivit sous deux dates, celles des 13 juin et 17 août 1988, en quatrième rang selon la fiche de renseignements produite par la demanderesse, datée du 28 avril 1989, alors que, curieusement, selon la fiche d’immeuble délivrée le 6 mai 1991, cette même inscription se trouve en troisième et cinquième rang, la troisième mention faisant état de ce que la formalité était en attente, et la cinquième ( et sixième) mention relatant les caractéristiques de l’hypothèque prise et sa rectification ( 6 ème  mention );

 “Mais attendu, et sans qu’il y ait lieu de s’attacher à ces distorsions, que M. le Conservateur des hypothèques de Tours a considéré sous sa responsabilité que la régularisation opérée le 17 août 1988 était de nature à lui permettre de procéder à l’inscription de l’hypothèque conventionnelle consentie à la société P…S…; que cette régularisation, enregistrée le 17 août, a eu pour effet de valider le dépôt initial effectué le 13 juin 1988 et donc de conserver à l’hypothèque en cause cette date d’inscription et par conséquent et rétroactivement son rang; qu’il s’ensuit que l’hypothèque inscrite le 13 juin 1988  par la société P…S…pour garantie de sa créance évaluée à 709.195 F prime celle inscrite le 22 juin 1988 par la demanderesse ”.

En fait, ces 709.195 francs  ne furent pas remis à la société G…venant aux droits de la société P… S…

Celle-ci dut se contenter du solde disponible qui, eu égard à un versement de 322.814, 13 francs  fait à la C.G.I. au titre de l’inscription du 17 décembre 1987 et à des états de frais versés à l’audience, s’établissait à 699.635,15 francs.

Corrélativement, la demanderesse se voyait privée des sommes conservées par l’inscription du 22 juin 1988, qui, constituées par un capital de 616.691 francs et trois années d’intérêts, s’élevaient au total à plus de 700.000 francs  alors que, si ses conclusions avaient été admises, c’est à elle que le solde de 699.635,15 francs serait revenu.

Ainsi, le jugement du 25 février 1993 faisait directement  grief à la C.G.I. laquelle, pourtant, s’abstint  de le frapper d’appel mais, après un temps de réflexion, se fonda sur lui pour se retourner contre le conservateur.

C’est ce qu’elle fit le 21 novembre 1994 en assignant devant le tribunal de grande instance de Tours le conservateur alors en place qui était M.G… ; puis, ayant été informée du caractère strictement personnel de la responsabilité professionnelle mise en jeu, elle fit délivrer un second exploit qui, le 20 mars 1995, fut signifié à notre collègue H…, lequel, en fonctions en 1988 au bureau de T…, avait depuis pris sa retraite.

Dans cet exploit, ce conservateur honoraire était appelé à l’instance en indemnité engagée le 21 novembre 1994 contre son successeur et il y était demandé qu’il soit condamné à payer à la C.G.I. la somme de 699.000 francs.

Au soutien de cette demande, il était exposé que le défendeur “ avait commis une faute en ne refusant pas définitivement l’inscription en attente de la société  P… S…en date du 13 juin 1988, rejetée le 12 juillet 1988 ”.

Pour établir cette faute, il était renvoyé aux considérations de droit et de fait développées à l’encontre de M.G…, lesquelles s’appuyaient sur le jugement rendu par le même tribunal le 25 février 1993 et plus précisément, sur les motifs reproduits ci-avant qui, dans l’exploit du 21 novembre 1994, étaient intégralement cités.

De ces motifs, il était tiré que le juge de la distribution du prix, d’une part, n’avait donné la préférence à l’inscription conventionnelle de la société P… S…que parce que le conservateur avait décidé de l’accepter et d’autre part, avait tenu à relever que cette décision avait été prise sous la responsabilité de son auteur.

Or, était-il remarqué, en ne refusant pas l’inscription alors que le délai pour procéder à sa régularisation était expiré, le conservateur a commis une faute.

C’est exactement en ce sens que le TGI de Tours se prononça dans son jugement du 30 mai 1996 où il condamna notre collègue à payer 699.000 francs  à la demanderesse après avoir dit  que “ H…, conservateur des hypothèques à …, en fonctions au 17 août 1988, a commis une faute en ne rejetant pas définitivement l’inscription en attente de la société P… S…, en date du 13 juin 1988, rejetée le 12 juillet 1988 ”.

Et c’est ce qui, au second degré, fut approuvé par la cour d’appel d’Orléans qui, dans son arrêt du 5 octobre 1998, confirma  la décision déférée “  en toutes ses dispositions ”.

Contre cet arrêt, M. H…, en plein accord avec le comité de contrôle, se pourvut en cassation  et, au soutien de son recours, il invoqua deux moyens, l’un principal et l’autre subsidiaire.

Dans le premier, il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir, pour juger que le conservateur avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, fait une fausse application des dispositions réglementaires qui, relatives à la procédure du rejet de la formalité, sont énoncées au 3 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955.

Quant au second moyen, il se place dans l’éventualité du rejet du premier; il relève que pour imputer le dommage litigieux à la faute du conservateur et non à la collocation arrêtée le 25 février 1993 par le tribunal de grande instance de Tours, la Cour d’appel a couvert un déni de justice en méconnaissant l’étendue des pouvoirs dévolus à ce tribunal

Cet tribunal, en effet, sans être lié en rien par la position prise par le conservateur, devait priver d’effet l’inscription en cause  s’il estimait que, comme, devant lui, la C.G.I. le prétendait,  cette inscription ne satisfaisait pas à la condition, exigée à l’article 2134 du code civil, d’avoir été prise “ dans la forme et de la manière prescrites par la loi ”.

C’est parce qu’il ne l’a pas fait et qu’il s’est ainsi tenu en deçà des limites de sa propre compétence que le créancier lésé a perdu ses droits.

Mais la Haute Juridiction n’agréa ni l’un ni l’autre de ces deux moyens; elle rejeta le pourvoi par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après.

          Sur les deux moyens réunis

“ Attendu, selon l’arrêt attaqué ( Orléans, 5 octobre 1998 ), que la société P…S…T…, ayant été condamnée à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la société C….(CGI) a inscrit, le 22 juin 1988, une hypothèque judiciaire provisoire, à laquelle a été substituée, le 4 juillet 1991, une inscription définitive; que parallèlement, la société P…S…aux droits de laquelle se trouve la société G…,a requis, le 13 juin 1988, l’inscription d’une hypothèque conventionnelle; que le 12 juillet 1988, le conservateur a décidé de mettre la formalité en attente en raison d’une discordance dans le nom des parties; que cette décision a été notifiée au notaire du requérant le 16 juillet 1988; que la régularisation étant intervenue le 17 août 1988, le conservateur a procédé à la formalité; que par une décision du 25 février 1993, le tribunal de grande instance de Tours a dit que l’inscription prise par la société P…S…primait celle de la société CGI; que la société CGI a assigné M. H…, conservateur des hypothèques, en paiement de dommages-intérêts;

“ Attendu que M. H… fait grief à l’arrêt d’accueillir cette demande, alors, selon le moyen:

“ 1°/ que s’il avait prononcé le rejet de l’inscription, ce fonctionnaire aurait à la fois, méconnu et excédé les pouvoirs qui lui sont conférés en considérant, sans être à même d’invoquer des dispositions législatives ou réglementaires le prescrivant expressément, que l’arrivée du terme du délai d’un mois a valu rejet et qu’en outre, elle a privé le contrevenant de son droit de défense consistant, dans le cadre de la procédure contradictoire engagée à son encontre, à justifier ou à régulariser l’anomalie notifiée; qu’ainsi, l’arrêt attaqué a violé les articles 34-3 du décret du 14 octobre 1955 et 1382 du code civil;

“ 2°/ qu’une inscription d’hypothèque se borne à porter à la connaissance des tiers la prétention d’un créancier au bénéfice à la fois d’un droit d’hypothèque et d’un rang; que par suite, loin d’être validée par le conservateur qui l’opère et de bénéficier d’une quelconque immunité juridictionnelle, une inscription peut être contestée devant l’autorité judiciaire par les personnes détenant un droit concurrent sur le même immeuble et notamment par tout créancier inscrit sur ce bien; qu’en particulier, lorsqu’une juridiction règle la distribution du prix d’un immeuble grevé de sûretés, il lui appartient, s’il le lui est demandé, de s’assurer que l’inscription a été prise “ dans les formes et de la manière prescrites par la loi ”; qu’elle n’est nullement empêchée, si cette condition n’est pas remplie, de déclarer l’inscription inopposable au demandeur, que par suite, en se fondant sur les motifs qu’elle a retenus pour imputer le dommage litigieux à la prétendue faute du conservateur et non à la collocation arrêtée le 25 février 1993 par le tribunal de grande instance de Tours, la cour d’appel a commis un déni de justice, méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé les articles 6 et 13 de la convention des droits de l’homme, 4, 1382 et 2134 du code civil et 12 du nouveau code de procédure civile;

“ Mais attendu qu’ayant exactement relevé que les dispositions des articles 640 à 642 du nouveau Code de procédure civile s’appliquent à la procédure du rejet des formalités de publicité telle qu’énoncées à l’article 34 du décret du 14 octobre 1955, qu’il s’ensuit que le délai d’un mois expirait le 16 août 1988 et que ce délai s’imposait au conservateur des hypothèques, les termes de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955 ne lui laissant, sur ce point, aucune latitude puisqu’ils précisent “ la formalité est rejetée ” et retenu que M. H… n’avait pas respecté ces prescriptions en acceptant une régularisation hors délai, la cour d’appel a pu en déduire, sans excéder l’étendue de ses pouvoirs ni violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, que M. H… avait bien commis, dans l’exercice de ses fonctions, une faute ayant causé à la société CGI un préjudice certain;

“ D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;          

“ PAR CES MOTIFS:                                         

“ REJETTE le pourvoi; 

“ Condamne M. H… aux dépens”.

OBSERVATIONS

Pour confirmer la condamnation de notre collègue, l’arrêt attaqué, d’une part a reconnu que le conservateur avait commis une faute et d’autre part décidé que c’était elle qui était la cause du dommage litigieux.

Statuant sur le pourvoi dont elle était saisie, la Cour de cassation a jugé que la cour d’Orléans avait pu déduire sans excéder l’étendue de ses pouvoirs ni violer les articles 6 et 13 de la Convention des droits de l’homme que M. H…. avait bien commis, dans l’exercice de ses fonctions, une faute ayant causé à la société CGI un préjudice certain.

Pour la faute, elle a clairement expliqué pourquoi, mais, pour le lien de causalité, elle n’a pas fait montre du même souci didactique.

I - La faute     

La mission première dévolue à un conservateur des hypothèques est celle d’assurer l’entrée  au registre public placé sous sa garde des documents pour lesquels les parties ou leur représentant ont requis  l’exécution de la formalité de publicité.

Cette formalité s’accomplit différemment selon que les documents qui lui sont remis sont relatifs à des privilèges ou des hypothèques ou, au contraire, concernent des droits sur les immeubles autres que les sûretés réelles.

Pour celles-ci, seul un extrait analytique, strictement réglementé et dénommé bordereau d’inscription, doit être déposé tandis que pour les autres droits, c’est une copie du titre lui-même qui devient  public et donc, qui sera délivré sous forme de copie ou d’extrait à tous ceux qui le requièrent.

Les conservateurs, qui sont des mandataires légaux et non des magistrats, n’ont pas à s’intéresser à la validité des droits qu’ils exposent aux regards du public ni non plus à l’efficacité de leur publicité.

Aussi, l’article 2199 du code civil leur interdit-il de refuser l’exécution d’une formalité requise ou d’en retarder l’exécution “ sous peine de dommages–intérêts des parties ”, avec toutefois, une importante exception qui est celle “ des cas où ils sont fondés à refuser le dépôt ou à rejeter une formalité, conformément aux dispositions législatives ou réglementaires sur la publicité foncière ”.

Les cas de rejet sont disséminés dans plusieurs textes mais les règles fixant les formes à suivre sont pour l’essentiel regroupées au paragraphe 3 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955.

Selon les dispositions de ce paragraphe, le prononcé d’un rejet n’est pas la suite immédiate et obligée de l’anomalie relevée mais marque l’échec de la procédure contradictoire de régularisation.

La contradiction est assurée par la notification de la cause de rejet faite au signataire du certificat d’identité par une lettre qui doit être envoyée en recommandé avec demande d’avis de réception et qui fixe obligatoirement un délai de réponse d’un mois compté à partir de la date dudit avis.    

Son dépassement est envisagé à l’antépénultième alinéa dudit paragraphe 3 dont la rédaction, à l’époque des faits, était la suivante : “ Si,  dans le délai d’un mois à compter de la notification, le signataire du certificat d’identité n’a pas réparé les omissions, produit les justifications ou déposé les documents rectificatifs ou si, même avant l’expiration de ce délai, il a informé le conservateur du refus ou de l’impossibilité de satisfaire à ces obligations, la formalité est rejetée sous les réserves prévues à l’article 74 [2] . Mention du rejet est faite par le conservateur en regard de l’inscription du dépôt au registre de dépôts dans la colonne « Observations », ainsi que sur les fiches de propriétaire et d’immeuble ”.

Aux juges d’appel,  l’expression “ la formalité est rejetée ” est apparue déterminante; ils l’ont entendue comme ne laissant, sur ce point, “ aucune latitude ” au conservateur qui, dès lors que le délai d’un mois était arrivé à son terme, avait l’obligation de prononcer le rejet de l’inscription mise en attente.

De là, ils ont considéré qu’en acceptant une régularisation hors délai, l’appelant avait accompli un acte constituant une faute professionnelle.

Cette démarche et la qualification  à laquelle elle a conduit ont été expressément approuvées par la Cour de cassation qui, elle aussi, en est restée au sens littéral de l’alinéa reproduit ci-avant.

Le moyen invoqué par le requérant ne pouvait, dès lors, qu’être écarté puisque, allant au delà de la lettre dudit alinéa , il s’employait à dégager l’esprit du dispositif régissant les rejets de le formalité.

A cette fin, il était remarqué que le délai d’un mois constitue l’un des composants de la procédure qui doit être suivie par le conservateur pour pouvoir légalement infliger la sanction qu’est le rejet de la formalité.

Or, cette procédure ne débute qu’après le dépôt au bureau des hypothèques du document à publier, si bien que le délai qui y est prévu n’entre pas exactement dans les prévisions de l’article 642-1 du nouveau code de procédure civile qui rend les dispositions des articles 640 à 642 de ce code “ applicables aux délais dans lesquels les inscriptions et autres formalités de publicité doivent être opérées ”.

C’est pourquoi, eu égard à la spécificité du délai qui avait été dépassé, la prudence, en l’état des dispositions réglementaires en vigueur, paraissait conseiller au conservateur de tenir compte d’un document rectificatif  reçu tardivement.

En effet, cet agent public ne pouvait invoquer aucun texte prévoyant formellement que le silence gardé par lui pendant toute la durée du délai valait rejet ni  non plus que l’arrivée de son terme privait le signataire du certificat d’identité du droit de défense qui lui appartient et qui est celui de justifier ou de régulariser.

Ce scrupule était honorable mais nos collègues, maintenant, ont appris qu’il était excessif : grâce à l’arrêt du 29 novembre 2000, dont la portée sur ce point est certaine, ils savent désormais que si, à la fin du dernier jour du délai, ils n’ont rien reçu du destinataire de la notification d’une cause de rejet, le document  qui a été déposé ne doit pas être incorporé au registre public.

A cet automatisme, ils ne devraient avoir aucune peine à se soumettre car sa mise en œuvre est simple et  rassurante; elle va, en outre, dans le sens de la modernisation puisque semblant, a priori, pleinement favorable au traitement informatisé des nombreuses décisions faisant suite aux engagements de procédures de rejet.

II - Le lien de causalité

En première instance comme en appel, M.H… a constamment envisagé le cas où ses juges regarderaient comme établie la faute qui lui était reprochée et dont il contestait l’existence.

Aussi, se plaçant dans cette éventualité, a-t-il, pendant tout le cours du procès, opiniâtrement soutenu à titre subsidiaire qu’il n’y avait aucun lien de cause à effet entre le non-rejet de l’inscription requise le 13 juin 1988 par la société P…S…et la perte subie par la C.G.I.

Dès son premier mémoire en défense et donc devant le tribunal de grande instance de Tours, notre collègue a imputé ce dommage au jugement  rendu par ce même tribunal le 25 février 1993 qui a débouté la C.G.I. de la réclamation qu’elle lui avait présentée.

C’est ce tribunal, en effet, qui, contrairement à ce que la plaignante avait demandé, a décidé que l’inscription prise par elle le 22 juin 1988 était primée par celle, opérée neuf jours avant, par sa concurrente.

La C.G.I. pourtant, avait invoqué que l’inscription à laquelle la préférence a été reconnue était entachée d’une cause de rejet, que celle-ci avait été relevée par le conservateur, qu’elle avait été supprimée par un bordereau rectificatif, que ce bordereau était parvenu au bureau de T…alors que le délai de régularisation était expiré et que par suite, l’acceptation de l’inscription avait été irrégulière.

Mais à la prétention que cet argumentaire étayait, le tribunal n’adhéra pas ainsi qu’il ressort du dispositif de sa décision où “ il dit et juge régulière l’inscription hypothécaire prise au profit de la SARL P…S…aux droits de laquelle se trouve la S.A. G… en date du 13 juin 1988 …. ” et précise que “ ladite inscription régularisée le 17 août 1988 produira ses pleins et entiers effets rétroactivement à la date du 13 juin 1988 ”.

En  s’en tenant à ce qui a été jugé, il est évident que le dommage litigieux est directement dû à la solution apportée par le juge de la distribution du prix au conflit s’étant élevé entre deux créanciers puisque ce juge, loin de priver d’effet l’inscription la plus ancienne, l’a déclarée pleinement régulière.

Toutefois, d’abord dans l’assignation du 21 novembre 1994,  puis dans toutes les écritures qui ont suivi, la victime s’est employée à préciser l’exacte portée du dispositif du jugement l’ayant déboutée et elle s’est pour cela référée aux motifs lui servant de support.

De ces motifs, elle a induit qu’elle n’avait pas reçu satisfaction uniquement parce que le tribunal ne pouvait faire autrement que de déclarer que l’inscription en cause était régulière.

Et ce, en se référant au passage desdits motifs où il est énoncé que “ le conservateur a considéré sous sa responsabilité  que la régularisation opérée le 17 août 1988 était de nature à lui permettre de procéder à l’inscription de l’hypothèque conventionnelle consentie à la société P…S… et que cette régularisation,  enregistrée le 17 août, a eu pour effet de valider le dépôt initial effectué le 13 juin 1988 et donc de conserver à l’hypothèque en cause cette date d’inscription et par conséquent et rétroactivement  son rang ”.

M. H… ne contesta pas qu’il résultait de ces énonciations que le tribunal s’était retranché derrière l’acceptation de l’inscription pour s’abstenir d’apprécier la validité de celle-ci au regard des textes prohibant la présence dans un bordereau d’inscription d’une discordance, même mineure, touchant à la désignation des parties.

Mais de suite, il objecta que cette juridiction n’avait pu se diriger de la sorte qu’en méconnaissant l’étendue de sa propre compétence.

Or, s’il en est ainsi et donc si cette erreur de droit est établie, c’est elle et non le fait du conservateur qui a été la cause du dommage.

Les juges du fond, par suite, étaient conduits à rechercher si, oui ou non, le 17 août 1988, le conservateur en acceptant le bordereau rectificatif et en achevant l’inscription requise le 13 juin, l’avait validée de manière telle que sa régularité n’était pas susceptible d’être appréciée par le juge de la distribution du prix.

Notre collègue, pour justifier la négative, a exposé “ qu’on ne peut en réalité considérer qu’il y a eu validation de cette inscription par la seule mention sur le registre des dépôts du document rectificatif, simplement susceptible de régulariser le bordereau primitivement déposé et dans lequel existait une cause de rejet et qu’il appartenait aux juges qui disposaient de deux dates différentes d’apprécier, compte tenu de tous les éléments en leur possession, si l’hypothèque litigieuse était opposable aux autres créanciers à la date du dépôt du bordereau primitif ou à celle du dépôt du bordereau rectificatif  [3]

Dans le jugement du 30 mai 1996, ces considérations ne furent pas discutées; le tribunal, faisant comme si la validation allait de soi, se borna à en faire état, en affirmant que “ la validation de l’inscription en attente du 13 juin 1988, alors que la formalité aurait dû faire l’objet d’un rejet, cause au créancier inscrit le 22 juin 1988, qui se trouve ainsi primé, un préjudice égal à la portion du prix dont il a été frustré par la présence d’une inscription en rang préférable ”.

Devant la Cour d’Orléans aussi, il fut soutenu que du fait de l’erreur de droit alléguée, le préjudice imputé au conservateur n’avait pas le caractère direct et personnel toujours exigé en la matière.

A ce moyen, il ne fut pas répondu par une démonstration axée sur la contestation du lien de causalité et d’où auraient résulté la raison et l’existence de l’immunité juridictionnelle bénéficiant à la prétendue validation d’inscription faite par le conservateur.

Toutefois, dans les motifs de l’arrêt du 5 octobre 1998, cette immunité, implicitement reconnue par les premiers juges, a été affirmée en termes exprès.

Dans ce but, en effet, la cour d’appel, en se fondant sur les dispositions de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955 rappela que lorsqu’une cause de rejet a été notifiée, il appartient au requérant de régulariser la situation avant l’expiration du délai légal d’un mois, faute de quoi “ la formalité est rejetée ”.

Puis, elle poursuivit en déclarant que “ l’appréciation de la validité de cette procédure échappe aux tribunaux et ressort de la seule responsabilité du conservateur des hypothèques ”.

            Dès lors, en achevant le 17 août 1988 l’inscription requise le 13 juin, le conservateur était réputé avoir lié ou tout au moins conditionné l’autorité judiciaire si bien que c’était par lui et non par le jugement que l’intimée avait été lésée.

Sa condamnation apparaît, dès lors, pleinement justifiée à condition toutefois que la proposition qui en donne la raison soit juridiquement exacte.

Or, il n’en est rien et l’erreur de droit qui l’entache fut dénoncée à la Cour de cassation .

Ce fut l’objet du second moyen où il fut soutenu “ qu’une inscription d’hypothèque se borne à porter à la connaissance des tiers la prétention d’un créancier au bénéfice à la fois d’un droit d’hypothèque et d’un rang; que, par suite, loin d’être validée par le conservateur qui l’opère et de bénéficier d’une quelconque immunité juridictionnelle, une inscription peut être contestée devant l’autorité judiciaire par les personnes détenant un droit concurrent sur le même immeuble et notamment, par tout créancier inscrit sur ce bien; qu’en particulier, lorsqu’une juridiction règle la distribution du prix d’un immeuble grevé de sûretés, il lui appartient, s’il le lui est demandé, de s’assurer que l’inscription a été prise “ dans les formes et de la manière prescrites par la loi ”; qu’elle n’est nullement empêchée, si cette condition n’est pas remplie, de déclarer l’inscription inopposable au demandeur.

Ce raisonnement, s’il était reconnu fondé, devait, croyait-on, conduire à reconnaître qu’en statuant comme il l’a fait dans son jugement du 25 février 1993, le tribunal de grande instance de Tours a, en prétextant de la “ validation ” opérée par le conservateur pour rejeter la réclamation de la C.G.I., ignoré le contenu de sa propre compétence.

A partir de là, la Haute Juridiction aurait décidé que les juges du fond n’ont pu imputer le dommage en cause au fait du conservateur qu’en couvrant ce déni de justice et donc en méconnaissant eux aussi leurs propres pouvoirs.

Mais ce but ne fut pas atteint sans toutefois qu’il ait été dit clairement pourquoi.

En effet, le moyen  dont il s’agit, simplement subsidiaire, apparaissait très différent de celui invoqué à titre principal puisqu’il excipait d’une erreur de droit commise dans la constatation du rapport de causalité et donc semblait étranger à l’autre motif de cassation qui, lui, s’en prenait à la qualification d’agissement fautif attribuée à la régularisation reprochée à notre collègue.

Cependant, quoique fort dissemblables, ces deux moyens furent réunis et le moyen unique ainsi constitué fut jugé non fondé.

Dans l’arrêt, comme il a déjà été noté, il est complètement expliqué en quoi et pourquoi notre collègue avait commis une faute.

Au contraire, sur la causalité, la motivation est d’une extrême concision.

Il est seulement indiqué que cette faute a “ causé à la société CGI un préjudice certain ”, si bien qu’il n’est fait aucune allusion à la question de droit posée par l’auteur du pourvoi.

Cette question est celle de savoir si la cour d’appel était fondée à considérer que les inscriptions sont réputées avoir été validées par le conservateurs sous leur responsabilité et de là, à conclure que les tribunaux ne sont pas habilités à statuer sur leur régularité.

Faut-il donc comprendre qu’en la circonstance, le silence a valu approbation de cette thèse ?

Ce serait fort imprudent eu égard à l’autorité et à l’ancienneté du dispositif justifiant le contrôle juridictionnel des omissions et des lacunes pouvant être commises dans l’établissement des bordereaux d’inscription.

Ce dispositif est constitué par l’article 2134 du code civil et plus précisément par son premier alinéa dont la rédaction, depuis 1804, n’a subi d’autre modification que celle ayant supprimé la référence faite à la dispense d’inscription longtemps accordée à certaines hypothèques légales.

Or, cet alinéa, loin de considérer que le conservateur valide la régularité formelle de l’inscription qu’il introduit dans le registre public, subordonne la fixation de son rang, et donc son seul effet juridique, à la condition qu’elle soit prise “ dans la forme et de la manière prescrites par la loi ”.

C’est pourquoi, au cours des deux derniers siècles, l’autorité judiciaire, soit à l’occasion de demandes de radiation, soit lors des distributions du prix de vente de l’immeuble grevé, s’est constamment reconnue le pouvoir de prononcer la nullité d’une inscription irrégulièrement opérée.

A ce pouvoir, la loi du 1er  mars 19l8  s’est expressément référée.

Certes, elle ne l’a évoqué qu’accessoirement car son objet principal était de décharger le conservateur de la lourde besogne consistant à analyser sur le registre public le bordereau qui, établi en deux exemplaires, était remis par le requérant.

Dans ce but, les articles 2148 et 2150 du code civil ont été refaits afin de faire en sorte que désormais ce registre ne soit plus préparé d’avance mais composé, au fur et à mesure des dépôts, en enliassant et reliant l’un des deux exemplaires du bordereau.

Mais, à cette occasion, au dernier alinéa de l’article 2148 nouveau, il a été décidé que l’omission dans les bordereaux  d’une ou plusieurs des énonciations prescrites n’entraîne nullité de l’inscription que lorsqu’il en résulte un préjudice pour les tiers et que cette nullité ne pourra être demandée que par ceux auxquels l’omission ou l’irrégularité porterait préjudice.

Depuis le 1er janvier 1956, la restriction ainsi apportée au développement du contentieux des inscriptions irrégulières n’existe plus; elle n’est pas apparue nécessaire aux auteurs du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière qui ne l’ont pas maintenue lorsque, par l’article 20 de ce décret, ils ont, eux aussi, refait l’article 2148.

Dans un tel contexte, il n’est pas concevable que, sans un texte législatif le prescrivant formellement, l’autorité judiciaire dans sa formation la plus élevée ait discrètement consenti à ce qui serait une inexplicable abdication.

Mais alors pourquoi le pourvoi de notre collègue a-t-il été rejeté ?

On peut imaginer que la Cour de cassation ait fait sien celui des motifs de l’arrêt soumis à sa censure où il est relevé que “ les premiers juges pouvaient statuer sans qu’il soit nécessaire de se référer à la décision rendue le 25 février 1993 dans le cadre de la procédure d’ordre qui, bien qu’inopposable à Monsieur H…qui n’y était pas partie, n’en constitue pas moins un fait juridique ”.

Annoter : Bull. AMC, art. 1611.


[1] Il faut lire: conformément au paragraphe 3 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955.

[2] Ces réserves résultent des dispositions du paragraphe 4 de cet article, qui, après avoir posé la règle qui veut que le rejet concerne l’ensemble de la formalité dont la publicité est requise, y apporte quelques exceptions.

[3] Curieusement, la Cour d’appel d’Orléans dans les motifs de l’arrêt du 5 octobre 1998 a estimé devoir “ rappeler que la régularisation dans le délai d’un mois rétroagit au jour du dépôt initial, alors qu’une régularisation tardive prend rang au jour du dépôt de la formalité rectificative ”; mais elle n’a tiré aucune conséquence de cette règle qui, pourtant, implique que des régularisations tardives sont effectuées et que leurs effets sont fixées par l’autorité judiciaire; elle demande, d’autre part, à être rapprochée du dernier alinéa de l’article 26 nouveau du décret du 4 janvier 1955 modifié qui, en cas d’annulation judiciaire d’un rejet, décide sans prévoir aucune exception, que la formalité litigieuse “ prend rang, à la date d’enregistrement du dépôt ”.