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Art. 1842

 

PROCEDURE

Action en responsabilité dirigée contre un conservateur par un marchand de biens.

Manquement invoqué tiré de la révélation tardive de deux inscriptions provisoires d’hypothèque judiciaire grevant un immeuble figurant dans son stock.

Omission de ces charges dans un état hors formalité requis antérieurement à l’acquisition dudit immeuble ainsi que dans l’état sur formalité délivré en conséquence de la publication de cette acquisition.

Révélation desdites charges à la suite d’une demande de renseignements hors formalité formée après cette publication.

Préjudice allégué imputé à l’obstacle imprévu apporté par ces charges à la commercialisation de ce bien.

Obstacle rendu inexistant par les dispositions de l’article 2198 du code civil.

Rejet de la demande d’indemnité pour défaut de démonstration du préjudice allégué.

Arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 20 février 2001.

( 1ère chambre A civile )

Faits : Le jugement entrepris a été rendu le 9 février 1996 par le tribunal de grande instance de Draguignan statuant à la requête d’un marchand de biens, la société Agence M….

Devant cette juridiction, cette société a exposé que dans le cadre de son activité professionnelle, elle a, suivant un acte notarié du 12 février 1993, publié le 24 du même mois au bureau des hypothèques de D…., acheté deux lots de copropriété correspondant à un appartement et une cave.

Or, a-t-elle fait valoir, ce logement devait être revendu le 19 avril 1993 et il a fallu, pour réaliser cette opération, accomplir de multiples démarches et attendre 9 mois.

Chacun des deux lots, en effet, était grevé de deux inscriptions provisoires d’hypothèque judiciaire prises respectivement le 15 et le 30 décembre 1992 sur le précédent propriétaire.

Mais ces charges avaient été omises dans deux états obtenus au bureau de D ... le 5 février et le 8 mars 1993.

Elles n’ont été révélées que le 9 avril 1993, en réponse à la demande de renseignements faite le 29 mars par le même notaire en vue de préparer la revente des lots et c’est cette information qui les aurait rendus difficilement négociables.

Dès lors, selon la demanderesse, il y a eu un lien de cause à effet entre, d’une part, les omissions déjà citées, commises deux fois, et d’autre part, les agios et le manque à gagner suscités par la tardiveté de la revente qui n’a été signée que le 10 janvier 1994, après que les banques créancières eurent, dans un acte notarié du 3 décembre 1993, accordé la mainlevée des inscriptions.

A ces prétentions, les premiers juges ont fait droit.

Ils ont tout d’abord affirmé " qu’il est constant que, quel que soit le support employé ou la méthode utilisée, la conservation des hypothèques est tenue de fournir avec exactitude les renseignements demandés et notamment les inscriptions en instance de régularisation. "

De là, ils ont induit que " les fausses informations délivrées à la S.A. Agence M…par Monsieur le Conservateur de D… sont constitutives d’une faute civile qui ouvre droit à réparation ".

 

Puis, sans répondre au moyen tiré de l’article 2198 du code civil qui, pourtant, avait été expressément invoqué, ils poursuivirent en relevant qu’" il n’est pas sérieux de soutenir l’absence de préjudice en raison du principe que l’immeuble serait toujours demeuré aliénable et que le retard dans la vente n’incomberait qu’à la S.A. agence M… " et ce, parce que " s’il est vrai que sur le strict plan juridique une telle vente demeurait possible, le fait qu’il y ait eu ou non des inscriptions d’hypothèques change pour le vendeur la nature même de la chose vendue et lui permet d’en négocier un prix différent ".

Aussi, considéré comme étant celui par la faute duquel le dommage litigieux était arrivé, le défendeur fut-il condamné à payer à la plaignante 71.243,67 F de dommages-intérêts et 9.000 F sur le fondement de l’article 700 N.C.P.C. ainsi qu’à s’acquitter des entiers dépens.

De ces condamnations, notre collègue, le 9 février 1996, interjeta appel devant la cour d’Aix qui, le 20 février 2001, l’en déchargea.

Elle le fit par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après :

" SUR CE,

Attendu que suivant acte reçu par Maître C…, Notaire associé à F…le 12 février 1993, les consorts S… ont vendu à la société " Agence M… " les lots 14 et 140 dépendant d’un immeuble cadastré section BI n°683 et 321 à F… moyennant le prix de 450.000 francs, payé comptant antérieurement à concurrence de 443.255,64 francs en dehors de la comptabilité du notaire et pour le surplus, soit 6.744,36 francs, lors de la vente à la caisse du notaire; que cet acte précise que le bien vendu est libre de tout privilège et hypothèque; qu’à l’occasion de cette opération, il a été déposé à la conservation des hypothèques par Maître C…, le 26 janvier 1993, une réquisition de renseignements sommaires urgents hors formalité du chef de P… R… et M… S… sur les immeubles sis à F… cadastrés section B n°321 et 683; que l’état délivré le 5 février 1993 certifiait qu’à la date du dépôt, il n’existait pas de formalité en attente pour la période comprise entre le 6 novembre 1992 et le 26 janvier 1993; que l’état sur formalité de la publication de la vente délivré le 8 mars 1993 confirmait les termes du précédent; qu’un nouvel état requis le 21 mars 1993 et délivré le 9 avril 1993 faisait cependant apparaître que deux formalités prises les 15 et 30 décembre 1992 à la requête des Caisses de Crédit Mutuel du T… et du V… étaient en attente ;

Attendu que l’article 2198 du code civil prévoit que " lorsque le conservateur, délivrant un certificat au nouveau titulaire d’un droit (…) omet une inscription de privilège ou d’hypothèque, le droit demeure dans les mains du nouveau titulaire, affranchi du privilège ou de l’hypothèque non révélé, pourvu que la délivrance du certificat ait été requise par l’intéressé en conséquence de la publication de son titre… " ;

Attendu qu’en application de ce texte, dès lors que les inscriptions prises à la requête des caisses de Crédit Mutuel du T… et du V…avaient été omises par le conservateur des hypothèques sur l’état sur formalité de la publication de la vente délivré le 8 mars 1993, le bien litigieux s’est trouvé définitivement affranchi d’hypothèques provisoires inscrites par les deux Caisses de Crédit; que l’omission de ces inscriptions sur les états délivrés les 5 février 1993 et le 8 mars 1993 n’a dans ces conditions pu causer aucun préjudice à la société Agence M… qui, ayant acheté le bien pour le vendre, pouvait librement en disposer ;

Attendu que la société Agence M…, faute de faire la démonstration du préjudice allégué, ne peut en conséquence qu’être déboutée de l’ensemble de ses demandes en dommages-intérêts ;

Attendu que la société Agence M…, qui succombe au principal, doit supporter les dépens; qu’aucune considération d’équité ne commande cependant de faire application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Réformant le jugement entrepris,

Déboute la société Agence M…de ses demandes ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne la société Agence M…aux dépens de première instance et d’appel et dit qu’ils seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile."

 

Observations :

En vertu du 2° de l’article 2197 du code civil, les conservateurs des hypothèques sont responsables du préjudice résultant de l’omission, dans les certificats qu’ils délivrent, d’une ou de plusieurs inscriptions existantes.

Dans l’affaire considérée, l’omission de deux inscriptions d’hypothèques judiciaires provisoires dans des états hors formalité le 5 février 1993 et sur formalité le 8 mars suivant, suivie de leur délivrance, hors formalité, le 9 avril 1993, constituait effectivement une circonstance qui aurait été susceptible d’entraîner légalement réparation si les dispositions de l’article 2198 du code civil ne prévoyaient pas que le droit acquis demeure, entre les mains de l’acquéreur, affranchi de l’hypothèque non révélée lorsque le renseignement est requis par celui-ci en conséquence de la publication de son titre, ce qui était le cas de l’état délivré le 8 mars 1993.

L’agence M... était donc mal fondée à soutenir que les inscriptions finalement délivrées le 9 avril 1993 avaient fait obstacle à la négociation des immeubles grevés dés lors que ces inscriptions lui étaient devenues inopposables.

L’agence M... s’est pourvue en cassation.