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Art. 1843

PUBLICITE FONCIERE

Contrôle juridictionnel des pouvoirs du conservateur

Interdiction à lui faite par un juge des référés d’accepter le dépôt d’un document dont la publicité pourrait être requise

Ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Meaux

du 2 février 2000

Faits : Le 1er février 2000, l’un de nos collègues a été assigné en référé devant le président du tribunal de grande instance de Meaux, ce qui, pour un conservateur, n’a rien d’extraordinaire puisque ce magistrat est le juge de la validité des décisions de refus du dépôt et de rejet de la formalité.

Mais dans cette citation, il n’est mentionné aucune de ces décisions; il y est seulement fait état d’un désaccord opposant deux personnes se prétendant chacune propriétaire de l’immeuble désigné dans l’exploit.

L’une se prévaut d’un jugement d’adjudication du 25 janvier 2000 lui ayant attribué ledit immeuble alors que l’autre conteste la validité de ce titre en prétendant avoir acquis des droits antérieurs.

Pour le démontrer, elle fait état d’une promesse de vente s.s.p. du 21 mai 1992 et d’un acte portant substitution ayant donné lieu à un versement de 400.000 F à la Sarl L… qui l’a subrogée dans ses droits.

Elle se propose d’exercer une action en revendication de l’immeuble vendu et pour que lui soit laissé le temps nécessaire à la mise en œuvre de ce projet, elle entend faire obstacle à la publication du jugement ayant emporté mutation de l’immeuble en cause et demande à cette fin au juge des référés d’interdire au conservateur compétent d’accepter le dépôt de ce document.

Dans l’ordonnance qu’il a rendue sur-le-champ, le Président expose ce qui est rapporté ci-avant et indique qu’à l’audience publique des référés tenue le 2 février, il a " entendu les parties en leurs explications…, notamment l’avocat de Monsieur le Conservateur des hypothèques qui s’en rapporte à justice "

Puis, après avoir visé les trois pièces déjà citées, savoir, la promesse de vente, l’acte de substitution et le jugement d’adjudication, il a fait droit aux conclusions de la demanderesse par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après  :

Attendu que Mademoiselle V… L… entend introduire une action en revendication de propriété; que cette action justifie sa demande en application de l’article 808 du nouveau code de procédure civile qui permet au juge des référés d’ordonner toutes mesures conservatoires en vue de prévenir un dommage imminent ou toutes mesures en cas de contestations des droits ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Faisons interdiction à Monsieur le Conservateur des hypothèques de publier l’acte relatif au droit de propriété acquis par la Sarl G… et L… sur le pavillon sis à C…, 6-8, avenue P… C…, par le jugement d’adjudication en date du 25 janvier 2000, dans les TROIS ( 3) mois à compter de ce jour pour permettre à Mademoiselle V… L…d’assigner toutes les parties intéressées devant le Tribunal compétent en revendication de propriété, action fondée sur la promesse de vente en date du 21 janvier 1992 et sur celle consentie par substitution par la Sarl L…, qui a donné lieu au versement de la somme de QUATRE CENT MILLE FRANCS (400.000 Francs) entre les mains de la Sarl L…  ;

Disons qu’à défaut d’assignation en revendication de propriété devant le Tribunal compétent dans le délai de trois mois ci-dessus disposé, l’interdiction cessera d’elle-même ;

Disons que cette ordonnance doit être dénoncée à toutes les parties intéressées avec la délivrance de l’assignation en revendication de propriété ;

Disons qu’ il pourra nous en être référé en cas de difficultés ;

Réservons les dépens.

Observations  : A la Justice, il est souvent reproché d’être lente; mais, de toute évidence, ce grief ne saurait être formulé à l’encontre de la présente ordonnance.

En effet, assigné un 1er février à comparaître le lendemain 2 à 9h30, le défendeur fut sur-le-champ frappé de l’interdiction temporaire de publier un document qui ne lui avait pas été remis, mais était susceptible de l’être.

Son avocat, il est vrai, dans cette précipitation, s’était borné à s’en rapporter à la Justice; mais il s’agissait d’une simple marque de confiance dans la sagesse du tribunal et non d’un acquiescement aux prétentions de la demanderesse.

En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une telle réponse, faite à la demande, implique la contestation de celle-ci.

Aussi, le juge des référés n’était-il pas dispensé d’apprécier le mérite des conclusions qui lui étaient présentées.

Il devait notamment les rapprocher de la première phrase de l’article 2199 du code civil qui dispose qu’ " en dehors des cas où ils sont fondés à refuser le dépôt ou à rejeter une formalité, conformément aux dispositions législatives ou réglementaires sur la publicité foncière, les conservateurs ne peuvent refuser ni retarder l’exécution d’une formalité ni la délivrance des documents régulièrement requis, sous peine des dommages et intérêts des parties ".

Cette phrase, dans sa rédaction initiale, celle de 1804, énonçait que " dans aucun cas, les conservateurs ne peuvent refuser ni retarder la transcription des actes de mutation, l’inscription des droits hypothécaires, ni la délivrance des certificats requis, sous peine des dommages et intérêts des parties ".

Ces dispositions demeurèrent en vigueur jusqu’au décret n° 59-89 du 7 janvier 1959 qui donna à ladite phrase son contenu actuel.

Ce changement est seulement explicatif; il précise la portée de l’article 2199 en le mettant en harmonie avec les textes ayant réalisé la réforme de 1955 et notamment avec l’institution alors faite de nombreux cas de refus et de rejet.

Il laisse entier ce qui est l’essentiel et qui est la liberté reconnue à tout titulaire d’un droit immobilier de présenter son titre au bureau des hypothèques du lieu de la situation du bien afin de le rendre public.

A cette liberté, aucune autorité, même judiciaire, ne saurait porter atteinte.

Ensuite, lorsqu’elle a été exercée et donc après la remise du document à publier, le conservateur apprécie si se trouvent réunies les conditions mises à son entrée dans le registre public par les lois et règlements sur la publicité foncière.

Il est tenu à cette fin de rechercher s’il existe ou non une ou plusieurs causes légales de refus ou de rejet et de se diriger en conséquence, si bien qu’en la matière, le contrôle juridictionnel ne peut intervenir  qu’a posteriori.

Ce n’est qu’alors que toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut saisir la Justice, soit en réclamant l’annulation de la décision dont elle conteste la validité, soit, si elle a été victime d’un dommage actuel, direct et certain, en en demandant réparation.

Le plus souvent, la décision contestée est un refus ou un rejet, mais elle peut être également un non-refus ou un non-rejet.

C’est pourquoi le contentieux ne pouvait être régulièrement lié par l’action intentée par Mlle L…afin de se mettre à l 'abri d’un concurrent ayant acquis sur le même immeuble le droit qu’elle estimait détenir depuis longtemps.

Cette action aurait dû être déclarée irrecevable, à titre principal parce que l’autorité judiciaire n’a pas qualité pour faire défense à un conservateur de s’intéresser à un document qui lui est remis pour être publié et qu’au surplus, subsidiairement, si même ce pouvoir lui était dévolu, il ne pourrait pas être exercé en référé.

En effet, l’interdiction de publier est susceptible d’avoir des conséquences irréversibles sur le rang de la formalité qui, sans elle, aurait été exécutée.

Elle ne saurait, dès lors, résulter de la mesure provisoire qu’est une ordonnance de référé.

Certes, de prime abord, il peut sembler équitable d’empêcher un adjudicataire dont le droit de propriété va être attaqué de publier son titre avant que son adversaire ait engagé l’action en revendication et soit de ce fait, mis en mesure de publier l’assignation qu’il aura fait signifier.

Mais ce faisant, on fausse la mise en œuvre de la règle majeure de la publicité foncière qui veut que le premier à avoir publié devienne préférable en droit.

En l’espèce, la demanderesse, initialement, a pris un risque en s’abstenant de faire constater les droits auxquels elle prétend dans un acte établi en la forme authentique et qui, dès lors, aurait été publié.

Puis, elle a négligé d’écarter ce risque en ne recourant pas à la publicité provisoire dite aussi prénotation, instituée au 2 de l’article 37 du décret du 4 janvier 1955.

Par suite, en réalité, la mesure dont elle a bénéficié doit tout à la bienveillance.

Or, les assouplissements s’accordent mal avec le devoir de stricte impartialité qui s’impose à nos collègues lorsqu’ils agissent en qualité d’intermédiaire obligé pour la réalisation de la publicité foncière.

Ce qui ne peut que les conduire à se défendre fermement lorsqu’ils sont assignés en interdiction de publier un document.

Rapprocher : Bull. AMC, art .605.