Retour

Art. 1844

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif

Immeuble grevé sorti du patrimoine du débiteur désigné au bordereau en vertu d’un acte publié mais susceptible d’être rendu inopposable au créancier par suite de l’engagement de l’action paulienne

Rejet de la formalité (oui)

Arrêt de la Cour de Cassation ( 3ème Chambre civile) du 18 juillet 2001

Faits : M.. D…, conservateur du bureau de T…, s’est, en rejetant la formalité, opposé à la prise d’une inscription requise le 1er octobre 1997 contre l’ancien propriétaire du bien appelé à être grevé.

A ce rejet, le créancier, qui est un comptable du Trésor, n’acquiesça pas; il assigna notre collègue, d’abord devant le Président du tribunal de grande instance de Tarbes qui, dans une ordonnance du 24 mars 1998, le débouta, puis devant la Cour d’appel de Pau qui, le 24 juin 1999, fit droit à ses prétentions.

Ces deux décisions rendues en sens contraire ont été insérées et commentées, respectivement dans les articles 1791 et 1814 du Bulletin auxquels, pour être plus complètement informé des circonstances de l’affaire, le lecteur est invité  à se reporter.

Dans leur arrêt du 24 juin 1999, les juges du second degré ordonnèrent au conservateur " d’inscrire l’inscription sollicitée le 1er octobre 1997 par Monsieur le Trésorier de V…. "

A cette injonction contenue dans une décision passée en force de chose jugée, M. M…, successeur de M. D… ne pouvait que déférer. C’est ce qu’il fit, mais sans acquiescer et en allant en cassation.

Au soutien de son pourvoi, il invoqua le moyen unique reproduit ci-après :

" Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que le Conservateur des hypothèques du bureau de… devra inscrire l’inscription d’hypothèque légale sollicitée par un créancier ( le Trésor Public ) sur un bien n’appartenant plus à ses débiteurs ( les époux C…- B…) ;

AUX MOTIFS qu’une donation étant intervenue par acte publié le 7 août 1995 entre les époux C…- B… et leurs enfants, le bien immobilier ne leur appartenait plus le 1er octobre 1997, date à laquelle le Trésor Public avait sollicité l’inscription d’hypothèque; que les dispositions de l’article 34-1 du décret du 14 octobre 1955 imposaient une obligation au Conservateur, qui devait vérifier l’exactitude des références à la formalité antérieure et la concordance des titres ( désignation des parties, qualité de disposant ou de dernier titulaire, désignation individuelle des immeubles) sous peine d’engager sa responsabilité ; qu’en l’espèce, ayant constaté que la sûreté concernait les anciens propriétaires, il avait estimé qu’il n’y avait pas concordance au sens où l’avait entendu la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 1996 qui avait retenu la responsabilité d’un conservateur des hypothèques; que conformément aux dispositions de l’article 5 du code civil, la référence à une décision rendue dans un litige différent de celui soumis à une juridiction ne pouvait servir de fondement à la décision de cette dernière, d’autant qu’en l’espèce, l’article 34 § 2 du décret du 14 octobre 1955 prévoyait : " il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens du 1 de l’article 32, a cessé postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets à raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié " ; que le devoir de précaution du Conservateur, qui ressortait des textes sur la publicité foncière, lui imposait une vigilance sur la concordance des titres afin de garantir la fiabilité du système français de publicité foncière, que toutefois, en sa qualité de professionnel averti, il ne pouvait se retrancher derrière les dispositions de l’article 34 § 2 en prétendant que le fait d’avoir été propriétaire du bien à un moment donné justifiait l’inscription de toutes les sûretés sollicitées, ni les refuser au motif que sa responsabilité pouvait être engagée; que l’obligation de vérification qui pesait sur le conservateur, dont il était susceptible d’avoir à répondre, ne justifiait pas de sa part, dans le cas d’espèce, une attitude de refus systématique, les dispositions de l’article précité étant toujours en vigueur; que les époux C…- B…, débiteurs du Trésor public, ayant fait une donation à leurs enfants, laquelle faisait l’objet d’une action paulienne, il convenait de faire droit à la demande du Trésor public et d’ordonner en conséquence l’inscription sollicitée le 1er octobre 1997 ( arrêt p. 4 et 5 ) ;

ALORS QUE les dispositions réglementaires de l’article 34 § 2 du décret du 14 octobre 1955 n’étaient pas susceptibles de recevoir application; qu’en effet, telle qu’elle est employée à l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 et définie à l’article 32 § 1 du décret du 14 octobre 1955, l’expression " disposant ou dernier titulaire " désigne la personne qui, d’après les documents déjà publiés, est le bénéficiaire actuel du droit dont il est disposé ;

Qu’en l’espèce, il résultait des constatations de la cour qu’à la suite d’une donation entre les époux C…- B… et leurs enfants, lesdits époux n’avaient plus la qualité de " disposant ou dernier titulaire " et qu’à la date de la demande d’inscription du 1er octobre 1997, cette qualité revenait à l’enfant donataire dont le titre, loin d’avoir cessé de produire ses effets postérieurement à sa publication au fichier immobilier, les avait conservés en entier ;

Que, dès lors, le conservateur devait, comme il l’a fait, relever la discordance touchant à la désignation du " disposant ou dernier titulaire ", la notifier au signataire du certificat d’identité et, cette anomalie n’ayant pas été supprimée dans le délai légal de régularisation d’un mois, prononcer et notifier le rejet de l’inscription ;

Qu’en décidant le contraire la cour a violé les articles 2148 du code civil et 34 du décret du 14 octobre 1955."

Pour combattre ce moyen, le défendeur au pourvoi s’en prend d’abord à l’affirmation du requérant attribuant la qualité de disposant ou dernier titulaire au bénéficiaire actuel du droit qui se trouve transféré, modifié, confirmé, grevé, etc…

Pour la contester, il cite la seconde phrase du paragraphe 2 de l’article 34 du 14 octobre 1955 qui dispose qu’" il n’y a pas discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens de l’article 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d’un acte ou d’une décision judiciaire ultérieurement publié ".

Mais il ne s’en tient pas à seulement invoquer ces dispositions car il sait qu’elles sont celles-là mêmes qu’un conservateur ayant accepté deux inscriptions contre l’ancien propriétaire a, pour se justifier, vainement invoquées, dans l’affaire qui, venue elle aussi devant la Cour de cassation, a donné lieu à l’arrêt du 12 juin 1996.

En réalité, il n’exclut pas radicalement la règle de la non-acceptation de l’inscription prise sur le précédent propriétaire mais, situant sa raison d’être dans la prévention des " chaînes parallèles ", il conteste qu’elle ait un caractère absolu.

Aussi, soutient-il que cette règle n’a pas à être appliquée lorsque le créancier a exercé l’action paulienne afin de faire juger que la mutation de l’immeuble de son débiteur lui est inopposable parce que faite en fraude de ses droits.

Dans ce cas, au contraire, la double chaîne qui disparaîtra à la fin du procès lui paraît nécessaire pour laisser au créancier victime de la fraude du chef de l’ancien propriétaire la possibilité de conserver son gage en se ménageant une sûreté appelée à avoir un rang et ce, tout en n’interdisant pas au créancier du bénéficiaire de l’acte frauduleux de requérir lui aussi une inscription.

Sans cette possibilité, poursuit le trésorier de V… " le bénéfice de l’action paulienne, à savoir l’inopposabilité de l’acte frauduleux, ne présenterait plus d’intérêt pour le créancier car il sera souvent, si ce n’est toujours, primé par les créanciers du propriétaire actuel ou d’un sous- acquéreur. "

Cette argumentation n’eut pas le résultat attendu par son auteur; en effet, dans la particularité ainsi mise en avant, la Haute Juridiction ne vit aucun motif d’infléchir la solution donnée dans sa décision du 12 juin 1996; elle cassa l’arrêt déféré à sa censure par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après :

SUR LE MOYEN UNIQUE :

Vu l’article 2148 du code civil, ensemble les articles 32-1 et 34 du décret du 14 octobre 1955 ;

Attendu que si le conservateur constate une discordance entre, d’une part, les énonciations relatives à l’identité des parties ou à la désignation des immeubles contenues dans le bordereau et, d’autre part, les mêmes énonciations contenues dans les bordereaux ou titres déjà publiés depuis le 1er janvier 1956, la formalité est rejetée;

Attendu, selon l’arrêt attaqué ( Pau, 24 juin 1999 ), que le Trésor public, ayant une créance fiscale sur les époux C…- B… et ayant introduit une action paulienne à l’encontre de la donation de biens immobiliers faite par eux à leurs enfants, a présenté, le 1er octobre 1997, une demande d’inscription d’hypothèque légale contre les débiteurs sur un immeuble ayant fait l’objet de la donation; que le conservateur des hypothèques a rejeté la formalité ;

Attendu que pour dire que le conservateur des hypothèques devra inscrire l’inscription d’hypothèque sollicitée par le trésorier de V…, l’arrêt constate que les débiteurs avaient fait une donation à leurs enfants, qui faisait l’objet d’une action paulienne, et que l’obligation de vérification qui pèse sur le conservateur des hypothèques et dont il est susceptible d’avoir à répondre ne justifie pas de sa part, dans le cas d’espèce, une attitude de refus systématique ;

Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que le bien immobilier n’appartenait plus aux époux C… B… lorsque le Trésor public avait sollicité l’inscription d’hypothèque, ce dont il résultait l’existence d’une discordance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs :

Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 juin 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ; remet en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel de Toulouse ;

Condamne le Trésor Public aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande du Trésor public ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit juillet deux mille un."

Observations :

Par cet arrêt du 18 juillet 2001, la Cour de Cassation, non seulement confirme une jurisprudence établie le 12 juin 1996 (arrêt Hédreul), mais, en reprenant les termes de l'arrêt de la Cour d'appel, évoque l’application de sa jurisprudence antérieure dans le cas où l’opposabilité au créancier de l’aliénation du bien grevé par le débiteur est contestée par le moyen d’une action paulienne. Au cas particulier d'ailleurs cette action n'était pas encore introduite et évidemment non publiée lors du dépôt de l'inscription.

On rappelle qu’aux termes de l’arrêt Hédreul, seule la personne à laquelle, d’après le fichier immobilier, appartient actuellement l’immeuble qui va être hypothéqué, doit être regardée comme celle dont le droit se trouve grevé ou est susceptible de l’être.

Par suite, nonobstant les dispositions insérées dans le 2° de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955 par le décret n° 67 1252 du 22 décembre 1967 , si ce n’est pas cette personne qui est désignée dans le bordereau, le conservateur doit relever la discordance et la notifier comme cause de rejet.

Il a été conseillé à nos collègues de se conformer à cette jurisprudence, et, dans la mesure où l’article 34 du décret du 14 octobre 1955 vise toutes les formalités à inscrire au fichier immobilier, de s’y conformer aussi bien à l’égard des publications que des inscriptions, sous la réserve de certaines formalités qui sont apparues comme devant relever d’un traitement particulier. Il s’agit :

1) des sûretés qui prennent rang à une date antérieure, à la fois, au jour de leur inscription et à celui du changement apporté à la personne du propriétaire ( privilèges, inscription définitive faisant suite à une inscription provisoire, renouvellements ) ;

2) des décisions judiciaires portant remise en cause de droits antérieurement publiés ainsi que des actions visant à obtenir cette remise en cause ;

3) des jugements d’adjudication sur saisie alors que les immeubles ont été aliénés au mépris des dispositions de l’article 686 de l’ACPC ;

4) des révocations de donations entre époux alors que le donataire a aliéné les immeubles donnés.

Le fondement de ces exceptions réside dans la circonstance qu’à leur égard, l’effet relatif ne peut pas être apprécié autrement qu’en fonction d’une formalité antérieure à la publication du changement intervenu dans la personne du propriétaire.

C’est, d’ailleurs, dans le cadre de l’exception visée au 2) ci-dessus que pourrait être publiée l’action paulienne.

Publier une action tendant à remettre en cause un droit publié antérieurement est une chose; c’en est une autre de prétendre obtenir, dès l’introduction de cette action, des effets qui ne peuvent que demeurer subordonnés au sort que les juges réserveront à la requête.

Il était, dans cette affaire, exorbitant de la part du comptable public de vouloir obtenir d'une requête, au surplus non publiée, une inopposabilité de l’aliénation qui ne pouvait lui être reconnue que par le juge.

Rapprocher: Bull. art. 1764, 1791, 1814 et 1838.