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Art. 1883


PUBLICITE FONCIERE

Mention en marge d’une saisie

Refus de mentionner un jugement de prorogation du délai d’adjudication au motif que les références du commandement de saisie étaient inexactes

Annulation du refus par le juge

Date de prise de rang de la formalité refusée


Arrêt de la Cour de cassation (3ème chambre civile) du 4 novembre 2004


Les faits : Un commandement valant saisie immobilière, délivré à la requête d’une banque à deux époux qui étaient ses débiteurs, a été publié. Les effets de ce commandement ont été prorogés régulièrement par un jugement, conformément à l’article 694 du code de procédure civile (ancien).

Mais cette décision était entachée d’une erreur matérielle affectant partiellement les références du commandement, raison pour laquelle il a fait l’objet d’un refus de dépôt le 30 mars 2001 lorsque sa publication a été requise. La banque ayant formé un recours contre cette décision de refus conformément à l’article 26 du décret du 4 janvier 1955, la cour d’appel de Pau, sur appel interjeté par le conservateur de l’ordonnance du président du tribunal de grande instance, a estimé que le conservateur aurait dû utiliser la procédure de rejet de la formalité et, par suite, a annulé ce refus.

Par ailleurs, méconnaissant totalement l’article 26 du décret du 4 janvier 1955, selon lequel " dès que la décision est passée en force de chose jugée, la formalité litigieuse est, suivant le cas :......soit exécutée dans les conditions ordinaires. Dans ce cas, elle prend rang à la date d’enregistrement du dépôt ", la cour, comme l’avait fait le président du tribunal de grande instance, a ordonné dans un arrêt du 20 janvier 2003 que la formalité prenne rang rétroactivement à la date de la première présentation du jugement à la conservation des hypothèques, c'est-à-dire le 30 mars 2001.

Le conservateur s’étant pourvu en cassation, la Haute juridiction, dans un arrêt du 4 novembre 2004, a cassé et annulé, mais seulement en ce qui concerne la date de prise d’effet de la formalité, l’arrêt rendu entre les parties par la cour d’appel de Pau, pour les motifs reproduits ci après :

" Sur le premier moyen :

Attendu que M. Armantier, conservateur des hypothèques, fait grief à l’arrêt d’accueillir cette demande, alors, selon le moyen, que sous la sanction du refus de dépôt par le conservateur, tout extrait, expédition ou copie, dont la publication est requise doit contenir les références (date, volume, numéro) permettant d’identifier la formalité antérieure; qu’en énonçant pourtant, pour dire injustifié le refus de dépôt opposé par le conservateur des hypothèques à la demande de publication d’un jugement contenant une erreur dans les références du commandement prorogé, que l’article 33 du décret du 14 octobre 1955 ne devait s’appliquer qu’en cas d’absence des mentions relatives aux références de la formalité antérieure, qu’au cas d’espèce, il n’y avait pas eu d’omission mais simplement une erreur portant sur le numéro et que M. Armantier ne pouvait donc refuser le dépôt mais devait le recevoir puis procéder à la vérification prévue par l’article 34 du décret du 14 octobre 1955, faire rectifier les inexactitudes éventuelles et enfin notifier une décision de rejet en cas de défaillance du déposant, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette erreur n’empêchait pas l’identification de la formalité antérieure, et ne devait pas en conséquence être assimilée à une absence de référence justifiant le refus de dépôt, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 32-2, 33 et 34 du décret précité;

Mais attendu qu’ayant exactement retenu que l’article 33 du décret du 14 octobre 1955, relatif au refus de dépôt, ne devait s’appliquer qu’en cas d’absence des mentions relatives à la date, au volume et au numéro correspondant à la formalité donnée au titre du disposant; qu'en l’espèce il n’y avait pas eu omission mais erreur portant sur le numéro de la publication, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision de ce chef;

Mais sur le deuxième et troisième moyens réunis:

Vu l’article 26 du décret du 4 janvier 1955;

Attendu que lorsqu’un document sujet à publicité à la conservation des hypothèques a fait l’objet d’un refus de dépôt ou d’un rejet de la formalité , le recours de la partie intéressée contre la décision du conservateur des hypothèques est porté, dans les huit jours de la notification de cette décision, devant le président du tribunal de grande instance; que dès que la décision est passée en force de chose jugée, la formalité litigieuse est soit définitivement refusée ou rejetée, soit exécutée et prend rang à la date d’enregistrement du dépôt;

Attendu que pour fixer la date d’effet de la publicité au 30 mars 2001, l’arrêt retient que dans l’hypothèse d’un refus de la demande de formalité il convient, en l’absence d’un enregistrement, de prendre en considération la date de présentation faite à la conservation des hypothèques;

Qu’en statuant ainsi alors que lorsque la décision est passée en force de chose jugée la formalité litigieuse prend rang à la date d’enregistrement de son dépôt, la cour d’appel a violé le texte susvisé;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu’il a fixé au 30 mars 2001 la date des effets de la publicité, l’arrêt rendu le 20 janvier 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Pau; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse;"


OBSERVATIONS

Dans cette affaire, la Cour de cassation avait à statuer sur deux points :

- le premier, concernait la validité du refus opposé par le conservateur;

- le second, le plus important, portait sur point de savoir si, en cas d’annulation du refus de dépôt, le document à publier devait prendre effet au jour de la première réquisition ou à celui du nouveau dépôt.


Sur l’absence d’effet rétroactif de la décision judiciaire d’annulation du refus (2ème et 3ème moyens réunis)


Estimant que l’erreur commise par elle dans la désignation du commandement de saisie aurait dû faire l’objet d’un rejet et non d’un refus, la partie adverse avait demandé aux juges de faire rétroagir la date d’effet de la mention en marge au jour où le jugement de prorogation avait fait l’objet du dépôt refusé. Les juges de première instance puis d’appel ont fait droit à cette demande en retenant que, dans l’hypothèse d’un refus de la demande de formalité, il convenait, en l’absence d’un enregistrement, de prendre en considération la date de la présentation faite à la conservation.

La Cour de cassation n’a pas retenu ce point de vue. Elle a estimé en effet que la formalité litigieuse prenait rang à la date de son dépôt, c'est-à-dire à la date à laquelle le conservateur a accepté le dépôt.

L’AMC ne peut que souscrire à cette interprétation qui était la sienne et qui paraissait évidente en présence des termes de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955. Cet article situe en effet la date de prise de rang de la formalité " à la date d’enregistrement du dépôt " et ce dépôt ne peut être que celui qui a été accepté par le conservateur, aucun dépôt n’ayant, par hypothèse, été enregistré lors du refus.

Cet arrêt devrait mettre un terme à la jurisprudence de certaines juridictions, d’appel ou de première instance, qui retenaient jusque là l’interprétation qu’avait fait sienne la Cour d’appel de Pau.


Sur la validité du refus (1er moyen)

Le jugement de prorogation du délai d’adjudication était entaché d’une erreur matérielle affectant les références du commandement (erreur dans le numéro du volume sous lequel était publié le commandement de saisie prorogé). Cette inexactitude a été retenue par le conservateur pour opposer un refus au motif que les " références (de la) saisie (étaient) erronées ".

Les juges d’appel ont fait droit à l’argumentation développée par la partie adverse selon laquelle l’article 33 du décret du 14 octobre 1955, relatif au refus du dépôt, ne devait s’appliquer qu’en l’absence des mentions relatives à la date, au volume et au numéro correspondant à la formalité donnée au titre du disposant, alors qu’en l’espèce, il n’y avait pas eu omission mais seulement erreur portant sur le numéro de la publication, ce qui justifiait uniquement le rejet de la formalité. La décision de refus a donc été annulée, mais le conservateur s’est pourvu en cassation.

Les hauts magistrats ont fait leur l’argumentation de la cour d’appel et ont rejeté de ce chef le pourvoi.

Cette décision, si la solution qu’elle retient peut être approuvée dans les circonstances particulières de l’affaire jugée (B), ne laisse cependant pas d’être contestable quant aux motifs invoqués (A).

A) La Cour de cassation a estimé que les juges d’appel avaient légalement justifié leur décision de ce chef en retenant que l’article 33 du décret du 14 octobre 1955, relatif au refus de dépôt, ne devait s’appliquer qu’en l’absence des mentions relatives à la date, au volume et au numéro correspondant à la formalité donnée au titre du disposant alors qu’en l’espèce, il n’y avait pas eu omission mais erreur portant sur le numéro de la publication, excluant dès lors la possibilité pour le conservateur d’opposer un refus.

Or, les textes sur lesquels la cour d’appel s’est appuyée pour annuler le refus concernent l’effet relatif des formalités. Dans ce domaine en effet, le conservateur doit s’assurer que " tout bordereau déposé contient les références (date, volume, numéro) de la formalité donnée au titre du disposant ou dernier titulaire, ou à l’attestation notariée de transmission par décès à son profit " (article 32-2 du décret du 14 octobre 1955) sous peine de refus " en l’absence de ces mentions" ou de rejet " en cas d’omission dans un bordereau d’inscription de la date, du volume et du numéro sous lequel a été publié le titre de propriété du débiteur grevé " (article 33 dudit décret).

Mais ces textes insérés dans la " Section III. Effet relatif de la publicité " du décret, organisent le contrôle par le conservateur de la formalité donnée au titre du disposant ou dernier titulaire. Ils ne s’appliquent pas en matière de mentions en marge dans le cadre duquel se situe le cas d’espèce soumis à la censure de la Cour.

On rappellera à cet égard que publier un acte juridique c’est le porter à la connaissance de tous. Aussi les documents publiés (publications, inscriptions, saisies) sont-ils conservés au bureau et communiqués à toute personne qui en fait la réquisition.

En revanche, les mentions en marge ne répondent pas à cette définition. Ce ne sont pas les documents déposés qui font l’objet d’une publicité mais les mentions en marge, lesquelles sont l’œuvre du conservateur, qui les établit sous sa responsabilité au vu de ces documents. En effet, aux termes de l’article 2149 du code civil, les changements énumérés " sont publiés par le conservateur sous forme de mentions en marge des inscriptions existantes ……". L’article 58 du décret du 14 octobre 1955 précise par ailleurs que "les mentions en marge des inscriptions existantes, faites conformément à l’article 2149 du code civil, comportent une analyse sommaire de l’acte à publier. Elles sont datées et signées par le conservateur". Enfin, l’article 80 du décret du 14 octobre 1955 étend aux saisies cette forme de publication spécifique aux inscriptions en disposant que " sont publiés sous forme de mentions en marge de la copie de commandement valant saisie " un certain nombre de documents, dont les jugements prorogeant le délai d’adjudication.

Ainsi, mentionner en marge d’une inscription ou d’une saisie est de nature différente qu’insérer dans le registre public une formalité. Il est au demeurant reconnu qu’en matière de radiations des inscriptions et plus généralement des mentions en marge, le conservateur a un rôle actif. En effet, lorsque la formalité consiste en une mention portée en marge d'un bordereau d'inscription ou d’un commandement de saisie, le conservateur n'est pas, comme dans le droit commun des publications, le simple réceptionnaire d'un document que, sauf à opposer une cause légale de refus ou de rejet, il est tenu d'incorporer dans l'un des registres publics dont il a la garde. Pour établir les mentions en marge, il est chargé d'analyser l'acte à publier afin d'arrêter le contenu de la mention qui est son œuvre et qui, seule, sera insérée dans le registre public et délivrée à tous ceux qui en requerront copie, à l’exclusion du document déposé. Celui-ci ne sera jamais communiqué et il n’est conservé par le conservateur que pour justifier, en cas de mise en cause de sa responsabilité, la mention qu’il aura rédigée.

Aussi, reconnaît-on généralement que le conservateur ne commet aucune faute en refusant d'opérer une mention, lorsque la formalité en marge de laquelle cette mention doit être portée n'est pas individualisée par l'indication des noms et prénoms des parties, de sa date et des volume et numéros du registre ( Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 27; Chambaz et Masounabe-Puyanne, n° 1072 et 1400). Celui-ci est fondé à exiger toutes justifications susceptibles de l'éclairer sur l’existence ou la régularité de l'adjonction dont il est l'auteur. Il est donc nécessaire, à peine de refus, que l’acte à publier contienne les références de la formalité en marge de laquelle le conservateur devra apposer une mention ( rapp. Bulletin, art. 1651).

La Cour de cassation elle-même, dans deux arrêts fort anciens du 19 avril 1836 et du 11 juillet 1843 (Cass. req. 19 avril 1836, S. 1836-1-562; Cass, req. 11 juillet 1843) a arrêté en ce sens sa jurisprudence en affirmant que le conservateur, requis de porter une mention en marge d'une formalité, ne doit déférer à cette réquisition que si lui est désignée la formalité à émarger. Il n'a pas à déterminer celle-ci lui-même; il ne serait d'ailleurs pas toujours à même de le faire et, en tous cas, aucun texte ne l'y oblige. En outre, en s'abstenant de se faire préciser la formalité en marge de laquelle la mention doit être inscrite, il courrait le risque de commettre une erreur ou une omission dont il devrait éventuellement supporter les conséquences dommageables.

B) L’absence de ces précisions ne constitue pas toutefois une cause de refus si les autres indications de l’acte sont suffisantes pour permettre d’identifier avec certitude la formalité devant faire l’objet de la mention. Ce n'est que dans le cas où ces éléments d'appréciation laisseraient subsister un doute sérieux sur l'identité de l'inscription ou de la saisie devant faire l’objet d’une mention qu'un refus de mentionner serait justifié.( rapp. Jacquet et Vétillard Introduction n° 27; Chambaz Masounabe et Puyanne n° 984 IV; Bulletin, art. 1229).

En l'espèce faisant l’objet du présent article, le conservateur a refusé toute mention au commandement valant saisie dès lors que ne lui avaient pas été données des précisions lui permettant d’identifier la formalité à émarger (rapp. Bulletin, art. 142). A notre sens, il aurait pu cependant, mais cela ne relevait que de sa seule responsabilité, accepter le dépôt, les éléments contenus dans le jugement de prorogation ( date et volume de la publication, nom des parties, nom de l’huissier ayant instrumenté et date du commandement de saisie) étant suffisants pour ne laisser aucun doute dans son esprit quant à la formalité concernée par la mention. C’est la raison pour laquelle la commission juridique de l’AMC approuve la solution retenue par la Cour de cassation mais considère que cet arrêt est un arrêt de circonstance qui ne remet pas en cause les principes ci-dessus exposés.

En conclusion l’AMC recommande de s’en tenir dans le traitement des mentions en marge et sous les réserves de prudence exposées ci avant, aux principes développés ci-dessus et appliqués jusqu’ici.