Retour


Art. 1887

CONSERVATEUR


Action en responsabilité engagée contre le conservateur - Faute du conservateur Nécessité d'une relation de causalité entre la faute du conservateur et le préjudice subi

 


Arrêt de la Cour d'appel de Paris (2ème chambre - Section B) du 31 mars 2005

Les faits : Le propriétaire d’un terrain, M. L…, avait obtenu un prêt d’une banque, afin d’y édifier des constructions. En garantie de ce prêt, deux inscriptions avaient été prises par la banque créancière sur le terrain, respectivement les 31 mai 1988 et 30 janvier 1992. Puis, en raison du non remboursement du prêt, un commandement de saisie avait été délivré et publié le 27 septembre 1994.

L’immeuble ayant fait l’objet le 31 juillet 1995 d’un règlement de copropriété et d’un état de division publiés le 3 octobre 1995, le propriétaire promoteur a consenti à un acquéreur, M. Z…, une promesse de vente ssp portant sur un des lots créés, la signature de l’acte notarié devant intervenir avant le 31 décembre 1995. L’acquéreur a remis au vendeur lors de la signature de l’acte deux chèques d’un montant total de 264 000 francs.

La banque ayant poursuivi la procédure de saisie, le lot concerné a été vendu à une tierce personne.

Dans cette situation, le bénéficiaire de la promesse de vente a assigné devant le tribunal de grande instance de Créteil le propriétaire de l’immeuble, lequel a appelé en intervention forcée et garantie la banque créancière, dont les agissements ne lui auraient pas permis de mener à bien les travaux de finition de l’immeuble.

En vue de fixer la date effective d’opposabilité aux tiers du commandement de saisie et de déterminer si de ce fait la vente ssp était parfaite dès sa signature, cette juridiction a ordonné la production par les parties de la fiche d’immeuble. Il y est apparu que le conservateur n’avait mentionné le commandement de saisie que le 18 juin 1996, alors que la publication en avait été faite deux ans auparavant, le 27 septembre 1994. En suite de cette décision, la banque a, à son tour, assigné le conservateur, M. M ;;;, en garantie et en intervention forcée.

Par jugement du 2 décembre 2003, le tribunal de grande instance de Créteil a débouté l’acquéreur ssp de ses demandes formulées à l’encontre de la banque et condamné le conservateur à lui payer, outre les dépens et une somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, une indemnité de 40 246,54 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compte du jugement.

Le conservateur ayant fait appel de ce jugement, la Cour d’appel de Paris a rendu le 31 mars 2005 l’arrêt suivant :

Sur la recevabilité des demandes de M. Z…


Sur le fond

Considérant qu'il n'est pas contesté que M… a commis une faute en ne mentionnant que le 18 juin 1996, sur la fiche de l'immeuble litigieux, la délivrance du commandement de saisie immobilière publié le 27 septembre 1994 ;

Mais considérant que toute faute n'est pas causale ;

Qu’il incombe à M. Z… d’établir qu’à la date à laquelle il a signé la promesse de vente et réglé directement entre les mains du vendeur l’indemnité d’immobilisation, la non inscription du commandement sur la fiche d’immeuble l’avait empêché de connaître l’indisponibilité de ce bien ;

Or, considérant que M. Z…, qui allègue pour la première fois devant la Cour que M. L… lui aurait " exhibé la fiche d’immeuble" avant la signature de la promesse de vente, ne démontre nullement cette assertion ni qu’il aurait, préalablement à cette signature, eu communication de la fiche d’immeuble incomplète à l’issue de démarches personnelles ;

Qu’en effet, aucune mention de cette promesse ne fait mention de renseignements hypothécaires ;

Qu’il suit de ces éléments que M. Z… qui ne démontre pas que son consentement aurait été vicié par la production d’un document inexact ou incomplet en suite de la faute commise par le conservateur des hypothèques, doit être débouté de ses demandes en l’absence de toute relation de causalité entre son préjudice et la faute de M. M… ;

Considérant qu’il convient, en conséquence, de réformer le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. M… à payer à M. Z… les sommes de 40 246,54 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement à titre de dommages-intérêts et de 1 800 euro sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens.

...

Et considérant que ni l’équité ni la situation économique des parties ne justifient l’application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile en cause d’appel ;

PAR CES MOTIFS


Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit les demandes de M. Z… recevables à l'encontre de M. M…,

Le réforme en ce qu'il a condamné M. M… à payer à M. Z… les sommes de 40 246,54 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement à titre de dommages-intérêts et de 1 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute M. Z… de ses demandes

Rejette toute autre demande,

Condamne M. Z… aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ".

OBSERVATIONS :

Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris se situe dans l’exact prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation, formulée notamment dans les deux arrêts du 27 février et du 20 octobre 1996 cités dans l’article 1836 du Bulletin. Selon cette jurisprudence, la faute commise par un conservateur (ou un notaire), dès lors qu’elle est sans lien de causalité avec le préjudice subi par le créancier, ne peut entraîner la mise en jeu de sa responsabilité.

En effet, la responsabilité prévue par l’article 1382 du code civil suppose un rapport de causalité certain entre la faute et le dommage ( Cass. civ. 2°, 27 octobre 1975). Il en résulte que pour engager la responsabilité d'un conservateur, il ne suffit pas à la victime d'établir la faute commise par ce mandataire légal; il faut aussi qu'elle prouve que le dommage dont il est demandé réparation provient vraiment de cette faute.

Dans l’affaire dont s’agit, le bénéficiaire de la promesse de vente ssp n’a pas pu voir régulariser à son profit la vente qui lui avait été promise par le propriétaire promoteur, le lot objet de la promesse de vente ayant été vendu à une autre personne. Il a par suite assigné le promettant en vue d’obtenir le remboursement de l’indemnité d’immobilisation qu’il lui avait versée. Ce dernier a appelé la banque créancière en intervention et garantie. Et celle-ci a attrait le conservateur à l’instance en invoquant la faute qu’il avait commise en mentionnant tardivement la saisie au fichier immobilier.

Cette faute était incontestable et n’a pas été contestée. En effet, le commandement de saisie publié le 27 septembre 1994, donc avant la signature de la promesse de vente, n’avait été mentionnée par le conservateur dans le fichier immobilier qu’après cette date, le 18 juin 1996.

C’est pour cette raison que le conservateur avait été condamné en première instance au motif que la faute qu’il avait commise avait empêché le bénéficiaire de la promesse de vente de connaître l’indisponibilité du bien.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement en rappelant avec force que toute faute n’est pas causale et qu’il n’avait pas été démontré en l’espèce par la banque que le bénéficiaire de la promesse de vente avait eu connaissance, avant de s’engager, de l’absence de mention de la saisie sur la fiche d’immeuble.

Il y a lieu de noter qu’il en aurait été autrement si celui-ci avait requis et pu produire un état de renseignements où la saisie aurait été omise ou s’il avait pu être démontré qu’il avait eu connaissance d’un tel document.


Annoter: Bulletin, art. 1836.