Art. 1931
INSCRIPTIONS
Inscription d'hypothèque judiciaire définitive
Débiteur en liquidation judiciaire Application de l'article 263
du décret n° 92 755 du 31 juillet 1992
Titre prévu par l'article 2 de la loi n° 91650 du 9 juillet
1991: notification à créancier admis (non)
Arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence
du 19 mars 2009
Les faits : Une banque, la SA. L… a inscrit à l'encontre de deux
débiteurs solidaires, une hypothèque judiciaire provisoire
le 20 août 1993 sur des lots de copropriété d'un immeuble
sis à Nice en vertu d'une ordonnance du Président du tribunal
de grande instance de Nice. Cette hypothèque provisoire a été
régulièrement renouvelée.
Le 2 octobre 2007, la banque a déposé un bordereau d'inscription
définitive, confirmant l'hypothèque provisoire, en vertu
d'une notification à créancier admis rendue par le Tribunal
de commerce de Nice à la suite de la liquidation judiciaire des
deux débiteurs solidaires constatée par jugement de la juridiction
consulaire en date du 8 août 1996.
Le conservateur a notifié le 9 octobre 2007 une cause de rejet
de formalité au motif notamment du défaut de représentation
du titre de créance prévu par l'article 263 du décret
du 31 juillet 1992 (1). A défaut de régularisation, le rejet
a été notifié le 30 novembre 2007.
La banque créancière a alors assigné le conservateur
en annulation de ce rejet devant le Président du tribunal de grande
instance de Nice par acte du 7 décembre 2007. Elle estimait en
effet que la notification à créancier admis, effectuée
dans le cadre d'une liquidation de biens, constituait le titre de créance
exigé par l'article 263 du décret susvisé.
Cette instance a donné lieu à une ordonnance du président
du tribunal de grande instance de Nice en date du 24 avril 2008 déboutant
la banque demanderesse par les motifs et dans le dispositif reproduit
ci-après :
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
1 Sur la demande principale
L'article 263 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 détermine
le délai requis à la charge d'un créancier pour lui
faire confirmer par une publicité définitive la publicité
provisoire dont a bénéficié antérieurement
l'hypothèque judiciaire provisoire qu'il a fait inscrire sur les
biens de son débiteur.
Le point de départ de ce délai de deux mois est différent
selon la nature du titre de créance dont bénéficiait
initialement le créancier (autorisation préalable du juge
de l'exécution; titre exécutoire provisoire; titre exécutoire
définitif), mais en toute hypothèse il ne peut courir que
contre un titre exécutoire passé en force de chose jugée,
c'est-à-dire définitif. La définition des titres
exécutoires est donnée à l'article 3 de la loi n°
91-650 du 9 juillet 1991. Il s'agit exclusivement :
1) des décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif
ayant force exécutoire ainsi que les transactions soumises au président
du tribunal de grande instance (notifiées régulièrement
et non sujettes à des voies de recours ordinaires suspensives d'exécution,
ou pourvues de l'exécution provisoire)
2) des actes, jugements étrangers et sentences arbitrales déclarés
exécutoires par une décision non susceptible d'un recours
suspensif d'exécution
3) des extraits des procès-verbaux de conciliation signés
par le juge et les parties (et revêtus de la formule exécutoire)
4) des actes notariés revêtus de la formule exécutoire
5) des certificats de non-paiement délivrés par les huissiers
de justice en matière de chèques impayés
6) des titres délivrés par les personnes morales de droit
public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions
auxquelles la loi attache les effets d'un jugement.
La notification à créancier admis de la créance déclarée
à la procédure collective ne figurant point dans cette liste
limitative, elle ne saurait donc être considérée comme
le titre exécutoire définitif requis pour la formalité
considérée.
II appartenait en l'espèce à la SA. L… de se pourvoir, sinon
d'un jugement de condamnation contre ses débiteurs placés
en procédure collective postérieurement à l'inscription
d'hypothèque judiciaire provisoire, du moins d'un titre judiciaire
tendant à la constatation de sa créance et à la fixation
de son montant, et ce après avoir appelé en la cause les
organes de la procédure collective conformément aux dispositions
de l'article L 622-22 du code de commerce.
Faute de ce faire et de justifier d'un titre exécutoire définitif,
la SA. L…ne saurait contester à bon droit décision de rejet
de la publicité définitive qui lui a été notifiée
le 30 novembre 2007 par le 1er Bureau des hypothèques de Nice.
Elle se verra en conséquence déboutée de l'ensemble
de ses réclamations mal fondées….
PAR CES MOTIFS
NOUS, Vice-président
Régulièrement délégué par le Président
du tribunal de grande instance de Nice.
Statuant en la forme des référés, publiquement, contradictoirement
et en premier ressorts ,
VU l'article 26 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 relatif
à la publicité foncière ;
VU les articles 3 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, 263 du décret
n° 92-755 du 31 juillet 1992 et L 622-22 du code de commerce ;
- DÉBOUTONS la SA. L… de son recours mal fondé ;
- CONFIRMONS la décision de rejet de la formalité qui lui
a été notifiée par !e 1er Bureau des hypothèques
de Nice le 30 novembre 2007…. à l'encontre de M. Christian V.,
de M. François V. et de Mme Denise R., veuve V.;
- CONDAMNONS la SA. L… à verser à M. Gérard E...,
es qualités de conservateur des hypothèques du 1er bureau
des hypothèques de Nice, la somme de 300 euros sur le fondement
des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure
civile ;
- CONDAMNONS enfin la SA. L… aux dépens de l'instance ;
- RAPPELONS que la présente ordonnance n'est pas susceptible d'exécution
provisoire.
La SA. L…ayant fait appel de cette décision, la Cour d'appel d'Aix
en Provence, dans un arrêt du 19 mars 2009, l'a confirmé
par les motifs et dans le dispositif reproduit ci-après:
"MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que selon l'article 2 de la loi du 9 juillet 1991 le créancier
muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide
et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les
biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque
mesure d'exécution;
Attendu cependant qu'à défaut de titre exécutoire,
le créancier peut être autorisé par le juge à
pratiquer une sûreté à titre provisoire sur un immeuble
appartenant à son débiteur, laquelle doit être confirmée
par une publicité définitive dans un délai de deux
mois à compter du jour où le titre constatant les droits
du créancier est passé en force de chose jugée;
Attendu que la loi du 9 juillet 1991 dans son article 3 dispose que seuls
constituent des titres exécutoires les actes et décisions
qu'elle énumère parmi lesquels figurent notamment les décisions
des juridictions de l'ordre judiciaire;
Attendu que la notification à créancier admis à la
procédure collective, non revêtue de la formule exécutoire
ne peut être assimilée à un titre exécutoire
au sens des dispositions de l'article 3 de la loi précitée;
Attendu qu'il appartenait à la société L… d'obtenir
ce titre pour pouvoir convertir son hypothèque provisoire en hypothèque
définitive;
Attendu que la cour ne peut donc que constater le bien fondé du
rejet par le conservateur des hypothèques de l'inscription de l'hypothèque
définitive du 2 octobre 2007 et confirmer l'ordonnance entreprise;
Vu les dispositions de l'article 696 et 700 du Code de procédure
civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement en matière civile
et en dernier ressort :
Reçoit l'appel,
Confirme l'ordonnance entreprise,
Condamne la SA L…..à payer à Monsieur Gérard E….
la somme de 1.000 en application de l'article 700 du Code de procédure
civile;
La condamne en outre aux dépens d'appel qui profitent à
la SCP C… avoués, en application de l'article 700 du Code de procédure
civile."
OBSERVATIONS : A l'appui d'un bordereau d'inscription d'une hypothèque
judiciaire définitive déposé à l'encontre
de débiteurs en liquidation judiciaire, un avocat a joint l'état
des créances admises établi par le juge-commissaire, accompagné
d'une pièce justifiant que cet état n'avait pas fait l'objet
d'autres ordonnances du juge-commissaire et qu'ainsi, n'ayant pu être
frappé d'appel devant la Cour, il était passé en
force de chose jugée.
NB : L'inscription provisoire avait été publiée et
le bien vendu avant même l'ouverture de la liquidation de biens,
Le conservateur a rejeté la formalité en se basant sur les
dispositions de l'article 263 du décret n° 92-755 du 31 juillet
1992 commentées dans l'article 1755
du Bulletin.
Dérogeant à la règle voulant qu'un conservateur ne
soit pas fondé à refuser un bordereau sous prétexte
que la formalité est inopérante, ces dispositions accroissent
de manière implicite mais certaine, les attributions des conservateurs
en leur faisant obligation de s'assurer, que le document devant leur être
présenté par le requérant démontre que la
formalité est requise à l'intérieur du délai
légal de deux mois prévu par l'article 263 susvisé.
Ainsi, était-il noté au III B) 3 de l'article précité
du Bulletin, que, " lorsque le document présenté comme
démontrant que la formalité est requise à l'intérieur
du délai légal de deux mois se révèle manifestement
ne pas atteindre le but lui étant assigné, le conservateur
peut considérer que l'écrit présenté n'est
pas celui voulu par les auteurs du second alinéa de l'article 263
et qu'en réalité, il se trouve dans la même situation
que si aucun justificatif ne lui avait été remis. Il lui
appartient alors de se diriger en conséquence et de refuser le
dépôt ou de rejeter la formalité ".
Dans ses conclusions devant la Cour, le conservateur faisait valoir que:
- l'article 263 du décret du 31 juillet 1992 dispose notamment
que la publicité définitive doit être effectuée
dans un délai de deux mois courant du jour où le titre constatant
les droits du créancier est passé en force de chose jugée
et que le créancier doit présenter tout document attestant
que cette condition se trouve remplie,
- après avoir requis du juge de l'exécution une ordonnance
autorisant l'inscription d'une hypothèque judiciaire provisoire
et à peine de caducité de la mesure conservatoire, le créancier
doit, conformément aux dispositions des articles 70 de la loi du
9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution
et 215 de son décret d'application du 31 juillet 1992, engager
ou poursuivre une procédure lui permettant d'obtenir le titre exécutoire
susceptible de satisfaire aux conditions de l'article 263 précité.
- cependant, lorsque le débiteur est mis en liquidation judiciaire,
cette procédure, si elle a été introduite, se trouve
suspendue par l'intervention du jugement d'ouverture de la liquidation
judiciaire en vertu de l'article L.621-40 (2) du code de commerce issu
de l'article 47 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au
redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises en
vigueur à l'époque. Celui-ci dispose notamment que ce jugement
arrête ou interdit toute voie d'exécution de la part des
créanciers dont la créance a son origine antérieurement
audit jugement tant sur les meubles que sur les immeubles.
Mais les instances en cours sont suspendues uniquement jusqu'à
ce que le créancier poursuivant ait procédé à
la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises
de plein droit, (le représentant des créanciers et, le cas
échéant, l'administrateur étant dûment appelés),
mais elles tendent uniquement à la constatation des créances
et à la fixation de leur montant (art. L. 621-41 (3) dudit Code).
Ainsi, dans le cas d'espèce, pour valider son inscription provisoire,
le créancier était-il tenu d'obtenir dans les conditions
indiquées ci-dessus le titre prévu par l'article 2 de la
loi du 9 juillet 1991 (4). Seul le titre ainsi obtenu lui aurait permis
de publier l'inscription définitive. Quant à l'état
des créances présenté par l'avocat, il ne constituait
pas par lui-même un titre exécutoire et il ne pouvait en
conséquence ouvrir la possibilité de procéder à
une inscription définitive.
La Cour a validé la position prise par le conservateur, mais en
faisant appel à une autre argumentation. Elle a estimé que
la loi du 9 juillet 1991, dans son article 3, dispose que seuls constituent
des titres exécutoires les actes et décisions qu'elle énumère,
parmi lesquels figurent notamment les décisions des juridictions
de l'ordre judiciaire.
Elle en a déduit que la notification à créancier
admis à la procédure collective, qui n'était pas
revêtue de la formule exécutoire, ne pouvait être assimilée
à un titre exécutoire au sens des dispositions de l'article
3 de la loi précitée.
Il appartenait donc au créancier d'obtenir ce titre pour pouvoir
convertir son hypothèque provisoire en hypothèque définitive.
Il est fait observer à cet égard :
- d'une part, qu'en l'espèce, la banque créancière
avait bien obtenu du tribunal de commerce de Nice un jugement condamnant
le débiteur qui lui aurait permis, une fois passé en force
de chose jugée, de confirmer son inscription provisoire,
- et d'autre part, que le rôle actif du conservateur dans le contrôle
des délais visés à l'art 263 du décret n°
92-755, tel qu'il est décrit dans l'article 1755
du Bulletin, n'a pas été remis en cause.
(1) Art. 263 : " La publicité définitive doit être
effectuée dans un délai de deux mois courant selon le cas
:
1° Du jour où le titre constatant les droits du créancier
est passé en force de chose jugée;
2° Si la procédure a été mise en œuvre avec un
titre exécutoire, du jour de l'expiration du délai d'un
mois visé à l'article 256 ou, si une demande de mainlevée
a été formée, du jour de la décision rejetant
cette contestation; toutefois si le titre n'était exécutoire
qu'à titre provisoire, le délai court comme il est dit au
1°;
3° Si le caractère exécutoire du titre est subordonné
à une procédure d'exequatur, du jour où la décision
qui l'accorde est passée en force de chose jugée.
Le créancier présente tout document attestant que les conditions
prévues ci-dessus sont remplies."
(2) Art. L 621-40 :" I.- Le jugement d'ouverture suspend ou interdit
toute action en justice de la part de tous les créanciers dont
la créance a son origine antérieurement audit jugement et
tendant:
1° A la condamnation du débiteur en paiement d'une somme d'argent;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement
d'une somme d'argent.
II.- Il arrête ou interdit également toute voie d'exécution
de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles.
III.- Les délais impartis à peine de déchéance
ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus."
(3) Art. L 621-41 : " Sous réserve des dispositions de l'article
L. 621-126, les instances en cours sont suspendues jusqu'à ce que
le créancier poursuivant ait procédé à la
déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de
plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant,
l'administrateur dûment appelés, mais tendent uniquement
à la constatation des créances et à la fixation de
leur montant."
(4) Art. 2 : " Le créancier muni d'un titre exécutoire
constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution
forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions
propres à chaque mesure d'exécution."
Annoter : Bull. art. 1755 et 1045.
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