Art. 1937
PUBLICATION D'ACTES
(Arrêt de cassation 2ème C CIV du 18/11/2009)
Annotations interprétatives erronées portées au fichier
immobilier lors de la transcription d'un jugement d'action paulienne et
ayant été délivrées à des tiers ;
Responsabilité du conservateur engagée sans qu'il y ait
lieu de distinguer si les mentions erronées concernaient des mentions
obligatoires au sens du décret du 14/10/1955 ou des annotations
complémentaires facultatives effectuées à l'initiative
du conservateur: oui.
Rappel des règles à adopter pour l'annotation du fichier
immobilier lors de la publication de jugements d'action paulienne (point2).
LES FAITS :
Lors de la publication en 1991 d'un arrêt déclarant une donation
inopposable à un créancier, il fut porté en marge,
sur la fiche d'immeuble faisant état de cet arrêt, une annotation
erronée disant qu'en conséquence de celui-ci la donation
en nue propriété consentie par les époux " G
" à leurs enfants " était nulle et de nul effet
".
Au vu de la fiche d'immeuble qui lui avait été délivrée
un autre créancier fit prendre une inscription sur l'immeuble,
contre les époux " G ", donateurs, en considérant
que selon les renseignements figurant sur la copie de fiche, l'immeuble
était revenu dans leur patrimoine du fait de l'annulation de la
donation.
La procédure de saisie diligentée ensuite, par ce créancier,
contre les donateurs, aboutit à une adjudication du bien au profit
de M " X " et Mme " Y ".
A la suite de diverses actions en justice intentées par les époux
" G " et leurs enfants, Mr " X " et Mme " Y ",
adjudicataires, ne purent jamais prendre possession de leur bien. Ils
assignèrent donc en dommages et intérêts le créancier
poursuivant et le conservateur, qui furent solidairement condamnés
en première instance à raison du préjudice subi.
Le conservateur interjeta appel en arguant du fait que les mentions interprétatives
litigieuses dépassaient le cadre des mentions obligatoires prévues
aux art 5 et 10 du décret du 14/10/1955 et qu'en tout état
de cause il appartenait au créancier, avant de requérir
l'inscription et de poursuivre la vente de l'immeuble, de s'assurer de
la réalité du droit de propriété des débiteurs,
en demandant copie du jugement ayant ,d'après les énonciations
de la fiche d'immeuble, emporté transfert de propriété
à leur profit.
La cour d'appel confirma le jugement de première instance :
- en considérant ,d'une part, que la responsabilité du conservateur
se trouvait engagée par toutes les annotations portées sur
la fiche d'immeuble délivrée à des tiers, "
sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il s'agissait de mentions obligatoires
ou facultatives " dès lors qu'elles avaient entrainé,
totalement ou partiellement, l'erreur affectant la validité de
la procédure d'inscription et du commandement de saisie,
- en affirmant d'autre part que la faute commise par le professionnel
ayant requis l'inscription pour le compte du créancier sans s'assurer
de la validité du titre du propriétaire grevé, n'effaçait
pas le lien entre la " faute " du conservateur et le préjudice
subi.
La cour de cassation, saisie par le conservateur confirma, l'arrêt
d'appel en ce qu'il concerne les responsabilités partagées
du créancier et du conservateur, à partir des attendus suivants
:
Attendu que M. A(Conservateur)... fait grief à l'arrêt du
26 février 2008, et à celui du 6 août 2008 de dire
qu'il était solidairement responsable avec la CRCAM du préjudice
subi par M. X. et Mme Y., alors, selon le moyen :
1° - que le professionnel du crédit qui pratique une saisie
immobilière doit vérifier la situation juridique exacte
du bien saisi, en particulier en examinant les décisions de justice
concernant cet immeuble publiées à la conservation des hypothèques
; que l'établissement saisissant ne peut se contenter de la description
des décisions en cause éventuellement effectuée par
le conservateur des hypothèques, en marge de la fiche d'immeuble,
l'existence de cette description sommaire, facultative pour le conservateur,
ne dispensant pas le créancier professionnel saisissant de son
obligation de vérification ; que, par suite, si le professionnel
du crédit, par suite d'une absence de vérification des décisions
de justice elles-mêmes, se trouve avoir diligenté une procédure
de saisie sur un immeuble qui n'était pas la propriété
du débiteur saisi, l'adjudicataire qui pâtit, le cas échéant,
de cette procédure défectueuse, ne peut engager la responsabilité
que de l'établissement saisissant, le défaut de vérification
par ce dernier de la situation exacte de l'immeuble expliquant, à
elle seule, l'intégralité du préjudice subi par l'adjudicataire
; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations
de l'arrêt attaqué que la caisse saisissante a commis une
faute en se fiant uniquement à la manière dont était
libellée, sur la fiche d'immeuble, une décision de justice
concernant l'immeuble saisi, sans se faire communiquer la décision
en cause ni en vérifier la teneur ; qu'en considérant, malgré
tout, que la mention marginale inexacte de la fiche d'immeuble aurait
pu être à l'origine du préjudice subi par l'adjudicataire,
cependant que ce préjudice s'expliquait intégralement par
l'absence de vérification de la banque saisissante, la cour d'appel
a violé les articles 1382 et 1383 du code civil, les articles 2196
et 2197 anciens du code civil, ensemble les articles 5 et 10 du décret
n° 55-1350 du 14 octobre 1950, et l'article 30 du décret n°
55-22 du 4 janvier 1955 ;
2° - que dans ses écritures d'appel, M. A... faisait valoir
que, pour sauvegarder leurs droits et, à tout le moins, minimiser
leur préjudice, M. X... et Mme Y... auraient pu demander la résiliation
de l'adjudication, sur le fondement des articles 1636 et 1637 du code
civil ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel
a violé l'article 455 du code de procédure civile
Mais attendu que l'arrêt du 26 février 2008 retient, par
motifs propres et adoptés, que l'erreur de lecture de l'arrêt
d'inopposabilité du 2 avril 1991, suivie de celle affectant sa
retranscription, imputables à M. A conservateur..., a entraîné
celle affectant la procédure d'inscription d'hypothèques
de la CRCAM et celle de la publication du commandement ; Que cette banque,
en sa qualité de créancier poursuivant, n'était nullement
dispensée de s'assurer du contenu de la décision transcrite
; qu'en s'abstenant de toute recherche complémentaire, la CRCAM,
pour qui la prise et la mise en jeu de garanties hypothécaires
sont partie intégrante du métier de banquier, assistée
de surcroît d'un auxiliaire de justice, professionnel lui aussi,
a commis une faute engageant sa responsabilité dans le préjudice
subi par les diverses parties ; que si M " X " et Mme "
Y "n'ont pas épuisé les voies d'exécution dont
ils disposaient pour entrer en possession de l'immeuble aux lieu et place
des époux " G "..., cette circonstance n'a cependant
qu'un rapport indirect avec leur préjudice qui trouve son origine
première dans la faute du conservateur des hypothèques et
elle ne rompt pas la relation de causalité directe entre cette
faute et le préjudice allégué ;
Que de ces constatations et énonciations, procédant de son
pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée
des éléments de preuve soumis aux débats, la cour
d'appel a pu déduire qu'à la fois M. A (conservateur)...
et la CRCAM avaient commis des fautes en lien certain de causalité
avec l'entier dommage des consorts X...-Y...dont ils doivent réparation
;
LES CONSEQUENCES A EN TIRER :
Cet arrêt conduit à rappeler d'une part, que toute annotation
portée au fichier immobilier, fût ce à titre de simple
commentaire est susceptible d'engager la responsabilité du conservateur
(point1) et que, s'agissant plus spécifiquement des jugements d'action
paulienne le conservateur doit faire preuve de la plus grande vigilance
concernant la manière dont ils sont transcrits au fichier afin
que les annotations effectuées ne puissent donner lieu à
aucune ambiguïté concernant leur portée. (point2)
Point (1) : Toutes les annotations portées au fichier engagent
la responsabilité du conservateur
1- En confirmant l'arrêt d'appel rendu, la Cour de cassation indique
sans ambiguïté que tous les renseignements délivrés
par les conservateurs en vertu des articles 2449 et 2450 du Code Civil
sont susceptibles d'engager leur responsabilité dès lors
qu'ils comportent une erreur ou une inexactitude préjudiciables
sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'elle affecte des mentions
obligatoires ou facultatives.
Ceci renvoie au soin qu'il convient d'apporter à la transcription
des actes et décisions judiciaires et notamment, depuis l'informatisation
du fichier immobilier, à la rédaction des éléments
" explicatifs " portés dans le " complément
au descriptif ", qui, à la lumière de cet arrêt,
apparaissent susceptibles de faire grief dès lors qu'ils figurent
dans les renseignements délivrés aux tiers.
2- La Cour réaffirme aussi que la faute subséquente, même
indiscutable, d'un professionnel du droit " n'efface " pas celle
du conservateur et ne rompt pas la relation de causalité directe
entre la faute de ce dernier et le préjudice subi. Les deux fautes,
celle du conservateur et celle postérieure du professionnel, sont
en relation directe avec le dommage subi par l'usager dont les deux doivent
conjointement réparation (responsabilité partagée).
Point (2) : Concernant plus spécifiquement le contenu des annotations
à porter au fichier immobilier, lors de la transcription des jugements
prononçant l'inopposabilité d'un acte en conclusion d'une
action paulienne (art 1167 du code civil) :
L'admission de la fraude paulienne par un tribunal a pour effet de révoquer
rétroactivement l'acte frauduleux à l'égard du seul
créancier ayant intenté l'action, qui pourra éventuellement
le saisir. Toutefois, la révocation ne se produisant que dans l'intérêt
de ce créancier et à la mesure de cet intérêt,
l'aliénation subsiste au profit du tiers acquéreur pour
tout ce qui excède l'intérêt du créancier demandeur.
Ainsi, selon la cour de cassation (Cass. Civ., du juillet 1975, Bull.
Civ. I, n° 213; 3 déc. 1985, ibid. I n° 334) l'inopposabilité,
dans le cadre d'une fraude paulienne, d'un acte de vente ou de donation
ne saurait être assimilée à son annulation; elle n'a
pas, en particulier, pour résultat d'entraîner la rétrocession
pure et simple du bien vendu et l'aliénation subsiste au profit
du tiers acquéreur pour tout ce qui excède l'intérêt
du créancier demandeur.
Au demeurant, la personne physique ou morale dans le patrimoine duquel
le bien a fictivement fait retour par effet du jugement n'a pas recouvré
sur ce bien les attributs de la propriété et ne peut librement
en disposer.
Dès lors, le fichier doit être annoté de telle manière
qu'il ne puisse y avoir aucune ambiguïté quant à la
restriction apportée aux droits de l'acquéreur ou du donataire
du bien par le jugement et à la fragilité des droits du
vendeur ou du donateur sur le bien. Dans Fidji, il conviendra donc, lors
de la saisie du jugement rendant inopposable au créancier la donation
ou la vente, d'annoter le complément de la mention suivante : "
Jugement (ou arrêt) du …rendant inopposable à X…, créancier
de M. Y (vendeur ou donateur), la vente ou la donation consentie par lui
à Mr Z (acquéreur ou donataire) publiée le ….(références
à la formalité ), sans omettre d'activer, dans le descriptif,
l'option "CHARGES".
Le transfert de propriété ne doit pas être activé.
Pour les inscriptions et actes de poursuite subséquents requis
sur le bien :
Les effets de l'aliénation ou la donation subsistant au profit
du tiers acquéreur ou du donataire, qui demeure propriétaire,
rien ne s'oppose, bien sur, à ce qu'un créancier de ceux-ci
prenne une sûreté sur le bien, suivie éventuellement
de commandements valant saisie émis à leur encontre.
S'agissant du créancier du donateur ou du vendeur ayant engagé
l'action paulienne, unique bénéficiaire de l'inopposabilité
de l'acte de transfert de propriété , dès lors que
le bien donné ou aliéné a fait retour à titre
de gage à son seul profit dans le patrimoine du vendeur ou du donateur,
il peut requérir inscription sur ce bien, contre ces derniers sans
se voir opposer la jurisprudence de l'arrêt HEDREUL (cf. Bulletin,
art.1877 ). (Cette jurisprudence serait en revanche
invoquée pour toute inscription requise à leur encontre
par un autre créancier).
Il en ira de même pour les commandements de payer valant saisie
faits au profit de ce créancier, contre le donateur ou le vendeur,
étant observé que les biens à saisir se trouvant
de fait entre les mains d'un tiers détenteur (donataire ou acquéreur),
nonobstant l'action paulienne, ces commandements lui seront délivrés
comme le prévoit l'art 2464 du code civil et signifiés conformément
aux art 16 et 17 du décret 2006-936 du 27/07/2006 qui prévoit
la mention expresse de ces délivrance et signification dans les
commandements.
Annoter bulletin AMC art 1881.
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