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Art. 133

HYPOTHEQUE LEGALE DE LA FEMME MARIEE.

Femme divorcée. - Pension alimentaire.
Cantonnement impossible sans le consentement de la femme.

Le cantonnement de l'hypothèque légale d'une femme divorcée sur les biens de son ex-mari, en ce qu'elle garantit une pension alimentaire, est régie par l'art. 2144 du Code civil et non par l'art. 2161 du même Code. Il est, par suite, subordonné au consentement de la femme et ne peut être prononcé par le tribunal lorsque ce consentement fait défaut.

Nice, 22 décembre 1950.

Le Tribunal,

Attendu que François Defin, débiteur judiciaire d'une pension alimentaire à l'égard de dame Millo, de laquelle il a été divorcé par jugement de ce siège en date du 10 mars 1937, a fait assigner ladite dame Millo à l'effet d'entendre prononcer le cantonnement à certains immeubles de l'hypothèque légale garantissant le service de sa pension; que, par voie de conséquence, le demandeur sollicite la radiation pure et simple de l'inscription d'hypothèque légale par la dame Millo à Nice, le 1er septembre 1935, volume 298, n° 19;

Attendu que toute renonciation au droit d'une pension alimentaire découlant des Art.s 212 et 301 du Code civil est contraire à l'ordre public; qu'il en est de même de la renonciation aux garanties légales de ce droit ;

Qu'il en était rigoureusement ainsi jusqu'à la loi du 22 septembre 1943, laquelle dispose qu'avec le consentement de la femme, le mari peut restreindre l'étendue de l'hypothèque légale;

Attendu que la question posée par la demande ne peut s'examiner qu'au regard de l'Art. 2.144 nouveau du Code civil; que l'Art. 2.161 ne saurait trouver application en l'espèce, l'hypothèque garantissant les droits de la femme et, particulièrement, une pension alimentaire ayant le caractère d'ordre public, ainsi qu'il est dit plus haut;

Attendu qu'un cantonnement d'hypothèque légale déjà inscrite au profit d'une femme mariée ne peut être obtenu qu'avec le consentement de la femme;

Qu'il n'est pas au pouvoir du tribunal d'imposer ce cantonnement à la bénéficiaire de l'inscription ;

Que même après la dissolution du mariage, l'hypothèque légale produit ses effets de droit;

Que la dame Millo, s'opposant à la mesure sollicitée, est fondée à envisager dans l'avenir la fixation de sa pension à un taux différent de celui auquel est fixée la pension actuelle.;

Que le tribunal ne peut présager en fait de ce que deviendra la valeur des immeubles par rapport à celle du pouvoir d'achat représenté par la monnaie;

Qu'en tous cas, dame Millo est recevable et fondée en droit dans son opposition ;

Que, dans ces conditions, le tribunal ne peut que constater le refus de la dame Millo de consentir au cantonnement de son hypothèque légale, accueillir ce refus comme fondé, déclarer la demande irrecevable et rejeter ladite demande.

Par ces motifs....

Observations. - L'Art. 2.144, 1er alinéa, du Code civil, sur lequel s'appuie le tribunal, dispose, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 92 septembre 1942 : " Le mari pourra.... avec le consentement de sa femme, demander que l'hypothèque générale sur tous ses immeubles pour raison de la dot, des reprises et des conventions matrimoniales soit restreint aux immeubles suffisants pour la conservation des droits de la femme. "

Il ressort du texte même de cette disposition que, dans les hypothèses où elle est applicable, un tribunal ne peut prononcer la restriction de l'hypothèque légale d'une femme mariée que si celle-ci y consent.

Mais l'Art. 2.144, 1er alinéa, n'est pas seul à régir la restriction de l'hypothèque de la femme mariée. L'Art. 2.161 porte, en effet, de son côté, que : " Toutes les fois que les inscriptions prises par un créancier qui, d'après la loi, aurait le droit, d'en prendre sur les biens présents ou sur les biens à venir d'un débiteur, sans limitation convenue, seront portés sur plus de domaines différents qu'il n'est nécessaire à la sûreté des créances, l'action en réduction des inscriptions, ou en radiation d'une partie en ce qui excède les portion convenable, est ouverte au débiteur. "

La jurisprudence a déterminé le champ d'application respectif de chacun des deux textes, relativement à l'hypothèque légale de la femme mariée : La Cour de Cassation a jugé que l'Art. 2144 contient une exception à la règle générale posée dans l'Art. 2.161, de telle sorte que, dans le cas où l'Art. 2.144 est applicable, l'Art. 2.161 ne peut pas être invoqué. (Cass. civ., 23 juin 1868, D.P., 68-1-318.)

Tel est le cas lorsque la demande est formée pendant le cours du mariage : un mari ne peut par suite obtenir du tribunal la restriction de l'hypothèque légale de sa femme sans le consentement de cette dernière. Il n'en serait autrement que dans l'hypothèse exceptionnelle, prévue par le deuxième alinéa de l'Art. 2144, où la restriction demandée par le mari tendrait à permettre à ce dernier de procéder à une aliénation ou à une constitution d'hypothèque dans l'intérêt de la famille.

Par contre, après la dissolution du mariage, on admet généralement que l'Art. 2.144 du Code civil n'est plus susceptible de recevoir son application (C. Amiens, 20 juin 1950, J.C.P. éd. G. 1950, IV-142; C. Douai, 26 février 1951, J.C.P. éd. G., 1951-I V-112 ; C. Lyon, 17 mai 1951, J.C.P. éd. N., 1952-II-6679; V. égal. observations sous l'Art. 108 du Bulletin de l'A.M.C.). - La restriction de l'hypothèque légale de la femme mariée est alors régie par l'Art. 2.161 et n'est plus par suite subordonnée au consentement de la femme.

Il n'en résulte pas cependant que le tribunal soit autorisé ipso facto à accueillir la demande du mari.

La pension alimentaire qu'un mari peut être condamné à payer à sa femme en exécution de l'Art. 301 du Code civil est en effet incessible et cette incessibilité s'étend à l'hypothèque légale ou judiciaire dans la mesure où elle garantit le service d'une telle pension. Il en résulte qu'une femme ne peut renoncer valablement à une hypothèque légale au judiciaire en faveur de son mari sans faire de réserves en ce que cette hypothèque couvre le service de sa pension.

On peut dès lors se demander si l'Art. 2.161 n'a pas pour seul effet de permettre au tribunal de consentir à la restriction aux lieu et place de la femme, dans la limite où celle-ci aurait pu le faire elle-même, ou si, au contraire, il lui accorde des pouvoirs plus étendus.

C'est en faveur de cette dernière interprétation que s'est prononcé la jurisprudence.

D'une part, en effet, l'arrêt précité de la Cour de Douai du 26 février 1951 reconnaît explicitement possible, par application de l'Art. 2.161 du Code civil, la restriction de l'hypothèque judiciaire prise par une femme divorcée sur les biens de son mari pour garantir le service de la pension qui lui a été accordée en vertu de l'Art. 301 du même Code.

D'un autre côté, l'arrêt également précité de la Cour de Lyon du 17 mai 1951 statue dans le même sens à l'égard de l'hypothèque légale et cette décision, pour être moins explicite, n'en est pas moins certaine dans sa portée.

Selon les termes de cet arrêt, en effet, " le jugement attaqué, écartant une exception d'irrecevabilité, énonce que l'Art. 2161 du Code civil est applicable en la cause, l'Art. 2144 ne l'étant que s'il n'est pas permis aux juges d'autoriser une femme à renoncer à l'hypothèque garantissant le paiement d'une pension alimentaire, il ne leur est pas défendu de réduire l'hypothèque nonobstant l'inaliénabilité de la créance garantie ". Or la Cour, après avoir jugé, comme le tribunal, que l'Art. 2161 est applicable, à l'exclusion de l'Art. 2.144, en conclut purement et simplement " qu'avec raison les premiers juges ont écarté l'exception d'irrecevabilité proposée ".

Il faut nécessairement en induire que la Cour d'Appel a également adopté le point de vue du tribunal selon lequel l'incessibilité de la créance garantie ne s'oppose pas à la restriction de l'hypothèque qui garantissait cette créance. Aussi bien est-ce exclusivement en raison de l'insuffisance de la garantie offerte à la femme par l'immeuble sur lequel le cantonnement était proposé que l'arrêt a finalement infirmé le jugement et rejeté la demande.

En cet état de la jurisprudence, on est fondé à penser que, dans l'espèce qui fait l'objet du jugement rapporté ci-dessus, c'est à tort que le tribunal de Nice s'est appuyé exclusivement sur l'absence de consentement de la femme pour débouter le mari de sa demande.

Un des attendus de la décision laisse entendre, il est vrai, que le tribunal a considéré la restriction demandée comme étant susceptible de compromettre les droits de la défenderesse. Ce motif serait sans doute de nature à justifier la décision. Mais, formulé d'une manière très incidente, il apparaît plus comme l'énoncé d'une hypothèse que comme l'expression de la pensée du tribunal; il semble ainsi trop imprécis jour que le jugement puisse être considéré comme suffisamment motivé.

Annoter : C.M.L. n° 352 ; - Jacquet et Vétillard. V° Femme mariée, n° 92, et V° pension alimentaire, n° 6, et supplément.