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Art. 158

MENTION EN MARGE DES TRANSCRIPTIONS.
RADIATIONS.

Nullité d'une acquisition. - Transcriptions en marge desquelles peut être mentionné l'arrêt qui la prononce. - Inscriptions qui peuvent être radiées en exécution de cet arrêt.

Lorsque l'arrêt qui prononce l'annulation d'une vente ordonne, en termes généraux, sa mention en marge des actes transcrits et la radiation de toutes inscriptions du chef de l'acquéreur dont le titre est annulé, sans que ses motifs ni même ses qualités renferment d'indications suffisantes pour permettre de les identifier avec certitude, le Conservateur requis d'effectuer les mentions et radiations ainsi ordonnées est fondé, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, à déferrer à ces réquisitions.

D'autre part, l'annulation de l'attestation notariée dressée pour constater, à la suite du décès de l'acquéreur dont le titre est annulé, la transmission au légataire universel de ce dernier de l'immeuble objet de l'acquisition frappée de nullité ne peut être poursuivie que contre le légataire universel; elle ne peut être demandée à l'occasion d'une instance ou le Conservateur est seul en cause.

D'un autre côté, la radiation ne peut être opérée que si la mainlevée émane de celui auquel elle profite ou si le jugement la prescrivant a été rendu en sa présence. Le droit conféré au créancier hypothécaire est en effet distinct du droit de celui qui a constitué l'hypothèque; dès lors, le créancier hypothécaire qui peut avoir des moyens personnels à faire valoir n'est pas représenté à l'instance par son débiteur, en sorte que le jugement rendu contre ce dernier ne lui est pas opposable et n'a pas à son égard l'autorité de la chose jugée.

Enfin, la mention de l'arrêt qui ordonne l'annulation en marge de l'acte constatant la revente de l'immeuble objet de l'acquisition annulée été refusée à bon droit par le Conservateur dès lors que l'arrêt dont il s'agit n'est pas opposable au sous-acquéreur.

(C. Orléans, 21 juillet 1952. )

LA COUR,

Attendu qu'à la date du 4 mars 1938, L... B..., épouse W..., contractuellement séparée de biens, a acquis le château de la Bourdaisière; que cette vente a été transcrite le 23 mars 1938 à la conservation de Tours, vol. 1531-35 ; - Attendu que dame W. a encore acquis elle-même le 14 avril 1939, différentes terres attenantes au château d'une superficie de 34 hectares environ;

Attendu que W... est décédé à L... le 14 mars 1943 après avoir institué l'une de ses filles, la dame D..., sa légataire universelle;

Attendu que le 30 avril 1943, dame D... assignait dame B... veuve W... et quatrième épouse de son père, aux fins d'annulation de ces deux acquisitions comme constituant en réalité des donations déguisées;

Attendu que Vve W... décédait à son tour le 8 mars 1946, après avoir institué comme légataire universel, D... qui se faisait envoyer en possession le 3 avril 1946;

Attendu qu'à la date du 13 juin 1946, D... vendait lui-même pour moitié à chacun d'eux, aux époux C.... séparés de biens, le château et les terres pour une somme de 4.000.000 de francs, payable 500.000 francs comptant à la prise de possession et le solde, soit 3.500.000 francs, aux porteurs de deux grosses, l'une de 2.500.000 francs, l'autre de 1.000.000 de francs;

Que cet acte de vente fut transcrit à Tours le 13 juin, vol. 2137-12 avec inscription d'office au profit de D... et des porteurs des grosses pour une somme de 3.500.000 francs;

Attendu que par arrêt du 13 octobre 1948, la Cour de céans déclarait que l'acquisition du château de la Bourdaisière du 4 mars 1938 constituait une donation déguisée entre époux et en prononçait la nullité ; que le dit arrêt ordonnait en conséquence la radiation de toutes inscriptions au nom de dame B..., Vve M..., de ses ayants droit ou de ses acquéreurs, la mention de l'arrêt en marge des actes transcrits et la transcription de l'acte de vente au nom de W... ;

Attendu que le Conservateur effectua la transcription du dit arrêt; qu'à la suite d'un arrêt rectificatif de cette Cour du 3 mai 1950, il en fit également mention en marge de la transcription de l'acte d'acquisition du 4 mars 1938;

Attendu que, pour le contraindre à opérer les autres formalités par eux requises, les époux D... se fondent sur l'autorité de la chose jugée tirée de l'arrêt du 13 octobre 1948, comme aussi sur le caractère frauduleux des tractations ayant abouti à la vente par D... à C... du domaine de la Bourdaisière et des terres attenantes;

Attendu qu'il convient tout d'abord de noter que l'arrêt du 13 octobre 1948 ne concerne que le château lui-même et non pas les terres avoisinantes, objet de l'acte d'acquisition du 14 avril 1939 pour lesquelles la Cour a reconnu qu'il n'y avait pas donation déguisée et qui restent ainsi la propriété de D... qui a pu, dès lors, les vendre valablement aux époux C...;

Attendu que l'arrêt du 13 octobre 1948 prescrit, en termes généraux, la radiation de toutes inscriptions du chef de la dame B..., Vve W..., et sa mention en marge des actes transcrits; que les diverses formalités à accomplir en suite de cette injonction n'y sont pas individualisées; que ni les motifs, ni même les qualités de l'arrêt ne renferment d'indications suffisantes pour permettre au Conservateur de les identifier avec certitude ;

Que d'ailleurs lors du prononcé de son arrêt, la Cour ignorait la vente de D... aux époux C... et les inscriptions d'office qui en ont été la conséquence ;

Que, dans ces conditions le Conservateur était fondé, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, à refuser de déférer aux réquisitions qui lui ont été remises;

Que, d'autre part, il n'avait nullement qualité pour se faire juge de la validité des opérations conclues entre D... et les époux C...; que, par ailleurs, les actes à lui soumis étant, quant à leur forme, réguliers, il devait les transcrire;

Attendu qu'à ces considérations, qui justifient déjà l'abstention du Conservateur, s'ajoutent pour chacune des formalités requises des motifs propres qui militent encore à l'appui de la position du Conservateur;

Attendu, en ce qui concerne la mention de l'arrêt en marge de la transcription du 13 juin 1946 de l'attestation de propriété du 13 juin 1946, qu'aux termes de l'Art. 4 de la loi du 23 mars 1855, les seuls jugements qui doivent être mentionnés en marge d'un acte transcrit sont ceux qui en prononcent la résolution, la nullité ou la rescision ;

Attendu que arrêt du 13 octobre 1948 n'a pas statué sur la validité de cette attestation, qu'il ne vise même pas qu'à plus forte raison il ne l'a pas annulée et qu'ainsi le Conservateur n'avait pas à opérer la mention dont s'agit;

Attendu, d'autre part, que les époux D... sont irrecevables à demander à la Cour de prononcer la nullité de cette attestation de propriété puisque le Conservateur, étant seul en cause, n'a pas qualité pour défendre à cette demande, celle-ci ne pouvant être dirigée que contre D... ;

Attendu, en ce qui concerne la radiation des inscriptions d'office du 13 juin 1946, que celles-ci ont été prises au profit de D... et des porteurs des grosses pour sûreté du solde du prix de vente de, D... à C... ;

Attendu que la radiation d'une inscription ne peut être opérée que si la mainlevée émane de celui auquel elle profite ou si le jugement la prescrivant a été rendu en sa présence; que le droit conféré au créancier hypothécaire est en effet distinct du droit de celui qui a constitué l'hypothèque; que, dès lors, le créancier hypothécaire, qui peut avoir des moyens personnels à faire valoir, n'est pas et ne saurait être représenté dans l'instance par son débiteur ; en sorte que le jugement rendu contre ce dernier n'est pas opposable au créancier et n'a donc pas à son égard l'autorité de la chose jugée;

Attendu qu'aucune mainlevée n'a été produite au Conservateur ni par D..., ni par les derniers porteurs de grosses ; que les porteurs n'ont pas été parties à l'arrêt du 13 octobre 1948; que cet arrêt ignore même la vente de D... aux époux C... et à fortiori, les porteurs des deux grosses, bénéficiaires anonymes de l'inscription;

Attendu de surcroît que le prix de vente incorporé dans ces grosses comprend sans discrimination à la fois celui du château objet de la vente annulée du 4 mars 1938 et les terres, objet de la vente du 14 avril 1939, que la Cour a reconnu valable; que tant qu'une ventilation de ce prix, actuellement indivisible, n'aura pas été faite, le Conservateur qui n'a, à l'évidence, nulle qualité pour opérer, ne saurait, pour ce motif encore, effectuer la radiation des inscriptions qui garantissent le paiement de ce prix global;

Attendu, en ce qui concerne la mention de l'arrêt en marge de la transcription de l'acte de vente, de D... aux époux C... du 12 juin 1946, que c'est à tort que le premier juge, l'a ordonnée;

Attendu que les époux D... ont eux-mêmes reconnu que cet arrêt n'était pas opposable aux époux C... puisqu'ils ont assigné C... d'abord puis sa femme, pour faire décider qu'il leur était bien opposable; que si la Cour en a décidé ainsi, en son arrêt du 19 mai 1952, il convient de relever que cette décision n'est pas définitive, puisqu'elle a été rendue par défaut et que la voie de l'opposition demeure encore ouverte aux époux C... ;

Attendu qu'il convient encore de retenir d'une part que l'arrêt a été rendu alors que la Cour ignorait totalement la vente par D... à C... et, d'autre part, que la vente a été consentie non pas C... seul mais aux époux C..., chacun pour moitié;

Qu'ainsi, à tous égards, le refus du Conservateur d'opérer la formalité dont s'agit était justifié;

Attendu, en définitive, qu'aucune faute n'a été commise par le Conservateur et que, dès lors, la demande en dommages-intérêts des époux D... s'avère sans fondement.

Par ces motifs :

Déclare les époux D... recevables mais mal fondés en leur appel ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le Conservateur a, à juste titre, refusé : a) de mentionner l'arrêt de la Cour d'Orléans en date du 13 octobre 1948, en marge de la transcription du 13 juin 1946, volume 2137, n. 11, de l'attestation de propriété établie par M°..., le 12 juin 1946, au profit de D... ; b) de radier les inscriptions du 13 juin 1946, volume 337, n. 131 et 132, au profit de D... et des porteurs de grosses;

Dit la demande en nullité de l'attestation de propriété du 12 juin 1916 irrecevable, telle que dirigée contre le Conservateur;

Confirme encore le dit jugement en ce qu'il a débouté les époux D... de leur demande en dommages-intérêts ;

Et recevant le Conservateur en son appel incident, y faisant droit, infirme le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné que l'arrêt de la Cour du 13 octobre 1948 serait mentionné en marge de la transcription de vente de D... à C... du 12 juin 1946 ;

Dit n'y avoir lieu en l'état d'ordonner l'exécution de cette formalité; Et condamne les époux D... aux dépens d'appel...

Observations. - Nous avons publié, sous l'art. 142 du Bulletin, le jugement du Tribunal de Tours du 21 novembre 1951, qui était frappé d'appel. L'arrêt rapporté ci-dessus confirme ce jugement en ce qu'il était favorable à notre collègue et l'infirme sur le point qui lui était contraire.

I. - Les appelants reprochaient tout d'abord au Conservateur d'avoir, en refusant d'exécuter l'ordre d'opérer les mentions que contenait l'arrêt du 13 octobre 1948, méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision.

Ce reproche était sans fondement.

La présomption de vérité que l'autorité de la chose jugée confère aux décisions de justice est relative ; elle n'a d'effet, en particulier, qu'entre les parties à l'instance (Garsonnet et Cézar-Bru, 4° éd., t. III, n° 705).

Il en résulte, en premier lieu que le Conservateur, qui n'était pas partie à l'instance terminée par l'arrêt du 13 octobre 1948, a pu, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, refuser d'effectuer les mentions prescrites par cette décision.

Par ailleurs, les époux C... (l'arrêt du 21 juillet 1952 constate que la vente a été consentie par D.., non pas à C... seul, mais aux époux C... séparés de biens, chacun pour moitié) n'étaient parties à l'instance que dans la mesure où ils pouvaient être représentés par D..., c'est-à-dire en tant que les moyens qu'ils pouvaient opposer à l'action en nullité étaient ceux de leur vendeur. Pour ce qui est des moyens exceptionnels de défense qu'ils pouvaient éventuellement faire valoir, ils demeuraient étrangers à l'instance; dans cette limite, l'arrêt du 13 octobre 1948 n'avait pas à leur égard l'autorité de la chose jugée et pouvait être attaqué par eux par la voie de la tierce opposition.

Il en était de même des porteurs des grosses représentatives de la partie non payée du prix de vente, qui n'avaient pas non plus été appelés à l'instance.

Le Conservateur devait donc, comme il l'a fait, refuser d'opérer les mentions dont l'exécution nécessitait soit le consentement des époux C... ou des porteurs des grosses, soit une décision de justice qui leur fût opposable.

II. - Comme le jugement, l'arrêt reconnaît au Conservateur le droit de refuser d'opérer les mentions prescrites, lorsque les formalités en marge desquelles les mentions doivent être inscrites ne sont pas individualisées.

" Ainsi que nous l'avons indique en commentant le jugement, il n'est pas indispensable cependant que cette individualisation résulte du jugement ou de l'arrêt qui ordonne les mentions. Si cette décision renferme les indications suffisantes pour que les formalités à émarger puissent être déterminées sans erreur, les précisions nécessaires (date, volume, numéro, etc.) peuvent être fournies par les parties intéressées dans une réquisition.

III. - De même, l'arrêt confirme le jugement en ce que le Tribunal avait reconnu fondé le refus des Conservateur de mentionner l'arrêt en marge de l'attestation notariée et de radier les inscriptions d'office.

En ce qui concerne spécialement l'attestation notariée, les appelants demandaient à la Cour, pour le cas où, comme le tribunal, elle refusait d'ordonner la mention parce que l'arrêt du 13 octobre 1948 n'avait pas statué sur la validité de cette attestation, d'en prononcer la nullité.

L'arrêt repousse à bon droit cette demande en observant que le Conservateur, seul en cause dans l'instance, n'avait pas qualité pour y défendre, la demande dont il s'agit ne pouvant être dirigée que contre D...

Quant à la mention de l'arrêt en marge de la vente par D... aux époux C... la Cour, reformant le jugement, reconnaît que le jugement l'avait ordonné à tort.

En motivant ce chef de sa décision sur le fait que l'arrêt du 13 octobre 1918 n'était pas opposable aux époux C... il consacre les critiques que nous avons formulées sur ce point contre le jugement.

Annoter : C.M.L., n° 1026, 1072 et 1400; - de France, n° 412; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 27 et V° jugement de radiation n° 4.