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Art. 229

CAUTIONNEMENT DES CONSERVATEURS.

Actions de sociétés d'investissement.

Sommaire. - Malgré la généralité de ses termes, l'art 15 de la loi du 25 février 1953, aux termes duquel les actions des sociétés d'investissement peuvent servir d'emploi des fonds de tous les particuliers autorisés ou obligés à convertir leurs capitaux en rentes sur l'Etat... ou en achat d'immeubles, n'est pas applicable aux Conservateur des hypothèques.

Le dépôt d'un cautionnement constitue, en effet, une opération différente de la simple " conversion " de capitaux en ce qu'il s'y ajoute une autre opération essentielle et juridiquement distincte, consistant dans l'affectation de ces capitaux à la garantie des tiers.

(Trib. administ. de Lyon, 16 février 1955.)

Vu enregistrée au Greffe du Tribunal Administratif de Lyon (Bureau Central), le 9 février 1954, la requête par laquelle M. F..., Conservateur des hypothèques à T... a déféré audit Tribunal une décision de M. l'agent judiciaire du Trésor Public, en date du 17 décembre 1953, lui refusant de recevoir l'acte portant affectation par le requérant d'actions de la Société Nationale d'Investissements à la constitution du cautionnent qu'il doit fournir envers les tiers en sa qualité de Conservateur des hypothèques ; pour le motif que cette décision aurait été prise en violation de l'Art. 15 de la loi n° 53-148 du 25 février 1953 et du décret n° 53-496 du 21 mai 1953 ; ensemble le texte de la décision attaquée;

Vu, enregistré ibidem, le 8 avril 1954, le mémoire en défense par lequel M. le Ministre des Finances et des Affaires Economiques indique :

1° Que les textes actuellement en vigueur ne permettent aux Conservateur des hypothèques de constituer le cautionnement auquel ils sont obligatoirement tenus qu'en immeubles, en rentes sur l'Etat ou en numéraire ;

2° Que les dispositions de l'Art. 15 de la loi du 25 février 1953 concernent les conditions dans lesquelles les actions des Sociétés d'Investissement pourront servir d'emploi et de remploi de certains fonds, n'ont eu pour but, ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires de ladite loi, que d'assurer la protection des incapables et des femmes mariées dont les capitaux doivent être convertis en biens non susceptibles d'être immédiatement consommés, mais, ne sauraient s'appliquer aux Conservateurs des hypothèques, qui, d'ailleurs, ne sont pas tenus de constituer uniquement leur cautionnement en rentes et en immeubles, mais peuvent aussi le réaliser en numéraire, d'autant plus que le dépôt d'un cautionnement, c'est-à-dire l'immobilisation d'un bien dans la seule intention de constituer une garantie au profit, d'un tiers est, du point du vue juridique, une opération complètement différente d'une conversion ou d'un placement de capitaux, tels que l'entend le texte en cause ;

3° Pour ces motifs demande au Tribunal Administratif de déclarer mal fondée la requête du demandeur;

Vu, enregistré ibidem, le 4 mai 1934, le mémoire ampliatif par lequel le sieur F... rétorque :

1° Que l'Art. 15 de la loi n° 53-148 du 25 février 1953 n'a pas une portée aussi limitée que le prétend le Ministre des Finances, étant donné qu'après avoir explicitement visé l'emploi des fonds des incapables et des femmes mariées, il ajoute : " et en général de tous les particuliers autorisés ou obligés... "

2° Que s'il est exact que les Conservateur des hypothèques ont la faculté de constituer leur cautionnement en numéraire, il n'en résulte pas qu'ils doivent de ce fait, être écartés du champ d'application de l'Art. 15 susvisé, étant donné que le dit Art. vise expressément tous les particuliers autorisés ou obligés à convertir leurs capitaux et que, par suite, il s'applique non seulement aux personnes tenues d'employer leurs fonds en achats de biens de l'une ou de plusieurs catégories désignées, mais encore à celles pour lesquelles cet emploi ne constitue qu'une faculté ;

3° Que l'argument selon lequel la constitution de son cautionnement par un Conservateur ne pourrait être considéré comme une conversion ou un placement de capitaux tel que l'entendrait l'Art. 15 de la loi du 25 février 1953, ne saurait être retenu : en effet, le mot " placement " n'est pas employé dans l'Art. en cause ; aux termes de cet Art., dès lors qu'une personne entre dans la catégorie des particuliers autorisés ou obligés, quelle que soit la cause de l'autorisation ou de l'obligation, à convertir ses capitaux en rentes sur l'Etat ou en immeubles, elle a le droit d'acheter, aux lieu et place de ces rentes ou de ces immeubles, des actions des Sociétés d'Investissement et de donner à ces actions la destination qu'elle aurait donnée aux rentes ou aux immeubles ;

4° Qu'on ne trouve pas dans les travaux préparatoires de la loi du 25 février 1953, des motifs d'écarter les Conservateurs des Hypothèques du bénéfice de l'Art. 15 de la dite loi; qu'il résulte des dits travaux préparatoires que l'achat d'actions des Sociétés d'Investissement en emploi de fonds des incapables est jugé de nature à sauvegarder les intérêts de ces derniers d'une manière aussi efficace que l'acquisition de rentes sur l'Etat ou d'immeubles et que dans ces conditions, la conversion en actions des dites Sociétés d'investissement des capitaux affectés au cautionnement des Conservateur des hypothèques doit, par identité de motifs, conférer aux usagers du service hypothécaire une garantie au moins aussi étendue que par le passé;

Vu, enregistré ibidem, le 2 juin 1954, le mémoire par lequel M. le Ministre des Finances, tout en maintenant, quant au fond ses conclusions antérieures, ajoute, au point de vue de la recevabilité de la requête, qu'il a eu connaissance que d'autres Conservateurs des Hypothèques avaient déposé devant le Tribunal Administratif de Paris des requêtes ayant le même objet que celles du sieur F... et que, dans ces conditions, il conclut à l'incompétence du Tribunal Administratif de Lyon pour statuer sur le recours du dit sieur F...., tant donné que la décision par lui attaquée présente un caractère réglementaire applicable à tous les Conservateurs des Hypothèques et que, de ce fait, et en application de l'Art. 2 des décrets des 30 septembre 1953 et 28 novembre 1953, elle relève en premier et dernier ressort de la compétence du Conseil d'Etat ;

Vu, enregistré ibidem, le 7 juillet 1954, le mémoire par lequel le sieur F... soutient que, contrairement du point de vue du Ministre des Finances, la décision prise à son encontre présente bien un caractère individuel opposable à lui seul et que le fait que d'autres Conservateurs des Hypothèques se trouvent dans une situation identique à la sienne, ne modifie pas le caractère de cette décision; qu'ainsi le Tribunal Administratif de Lyon reste bien compétent pour connaître de son recours et conclut, en conséquence, qu'il y a lieu, pour les motifs invoqués quant au fond, dans ses mémoires précédents, d'annuler la décision par lui attaquée;

Vu ensemble les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;

Vu la loi du 22 juillet 1889, sur la procédure à suivre devant les Conseils de Préfecture ;

Vu le décret du 6 septembre 1926, créant les Conseils de Préfecture interdépartementaux ;

Vu le décret du 26 septembre 1926, fixant les règles d'organisation et de procédure pour l'application du décret du 6 septembre 1926 ;

Vu les décrets des 5 mai 1934 et 8 septembre 1934 ;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat ;

Vu la loi n° 53-611 du 11 juillet 1953, portant redressement économique et financier, et notamment son Art. 7 ;

Vu le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953, portant réforme du contentieux administratif ;

Vu le décret n° 53-1169 du 28 novembre 1953, portant règlement d'administration publique pour l'application du décret du 30 septembre, 1953 susvisé ;

Vu la loi n° 53-148 du 25 février 1953 et le décret n° 53-496 du 21 mai 1953;

Ouï M. Devriendt, président, en son rapport ;

Ouï M. Guinet, commissaire du Gouvernement, en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi :

Considérant que la requête susvisée du sieur F..., Conservateur du Hypothèques à T..., tend à l'annulation de la décision en date du 17 décembre 1953 par laquelle l'agent judiciaire du Trésor public a refusé de recevoir les actions de la Société Nationale d'Investissement pour constituer le supplément du cautionnement auquel sont assujettis les Conservateurs des Hypothèques envers les tiers ;

Sur la compétence :

Considérant que la décision attaquée concerne exclusivement le sieur F... ; qu'elle lui est directement adressée, à titre personnel, et qu'elle porte sur une somme précise qui n'intéresse que lui seul; que la dite décision ayant un caractère individuel, le Tribunal Administratif de Lyon est compétent pour connaître des difficultés qu'elle soulève, et ce, par application de l'Art. 14 du décret du 28 novembre 1953 aux termes duquel : " Tous les litiges d'ordre individuel, y compris notamment ceux relatifs aux questions pécuniaires, intéressant les fonctionnaires ou agents de l'Etat, de l'Algérie, et des autres personnes ou collectivités publiques ainsi que les agents ou employés de la Banque de France relèvent du Tribunal Administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d'affectation du fonctionnaire ou agent que la décision attaquée concerne ";

Au fond :

Considérant qu'aux termes de l'Art. 2 du décret du 21 mai 1953, les cautionnements que les Conservateurs des Hypothèques sont tenus de fournir envers les tiers sont constitués en immeubles, en rentes sur l'Etat ou en numéraire; qu'en stricte application de texte, les actions de la Société Nationale d'Investissement, lesquelles ne sont d'ailleurs pas inscrites au Grand Livre de la Dette Publique, ne sauraient être considérées comme des rentes sur l'Etat; que, par suite, c'est à bon droit qu'elles ont été refusées en constitution du supplément du cautionnement réclamé au sieur F...; ·

Considérant que c'est en vain que le requérant tirerait argument, à l'appui de sa thèse, de l'Art. 15 de la loi du 25 février 1953, laquelle vise essentiellement la protection des incapables et des femmes mariées dont les capitaux doivent être convertis en biens non susceptibles d'être immédiatement consommés : que, nonobstant les termes généraux du dit Art. selon lesquels " tous particuliers autorisés ou obligés à convertir leurs capitaux " pourront désormais affecter à cette fin les actions des sociétés d'investissement, ce texte ne saurait s'appliquer aux Conservateurs des Hypothèques; qu'en effet, le dépôt d'un cautionnement constitue une opération différente de la simple " conversion " de capitaux, en ce qu'il s'y ajoute une autre opération, essentielle et juridiquement distincte, consistant dans l'affectation de ces capitaux à la, garantie des tiers ; qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter la requête susvisé du sieur F... ;

Par ces motifs vidant son délibéré :

DECIDE :

Art. PREMIER. -- La requête susvisée du sieur F... est rejetée.

ART. 2. - Les dépens de l'instance à liquider ultérieurement s'il y a lieu sont mis à la charge du requérant.

ART. 3. - Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre des Finances.

Ainsi jugé et prononcé en audience publique à Lyon, le 16 février 1955

Observations. - Trois recours, un devant le tribunal administratif de Lyon, et deux devant le tribunal administratif de Paris, ont été formés contre la décision de l'agence judiciaire du Trésor public, refusant aux conservateurs des hypothèques la faculté d'affecter à la constitution de leur cautionnement des actions des sociétés d'investissement. (Rappr. Bull. A.M.C., Art. 149).

La décision reproduite ci-dessus statue sur le premier de ces recours. Sommairement motivée, elle se borne à reprendre sur le fond un des arguments produits par le Ministère des finances, et selon lequel la constitution d'un cautionnement serait différente de la " conversion de capitaux ", visée à l'Art. 15 de la loi du 23 février 1953, en ce, qu'il s'y ajoute une autre opération, consistant dans l'affectation des capitaux convertis à la garantie des tiers.

Le tribunal fait ainsi une distinction que la loi ne comporte pas.

Lorsqu'un conservateur des hypothèques veut constituer son cautionnement au moyen de titres de rentes ou d'immeubles, il lui faut, d'une part, convertir les capitaux nécessaires en rentes ou en immeubles et, d'autre part, affecter ces rentes ou ces immeubles à la garantie des tiers. Dans la mesure des capitaux qu'il affecte à la première opération, le conservateur opère ainsi une conversion de capitaux entrant dans les prévisions de l'Art. 15 de la loi du 25 février 1953. Quant à la seconde opération, elle est juridiquement distincte de la première, elle ne constitue pas un élément de celle-ci, selon les termes mêmes du jugement, elle " s'y ajoute ". Refuser dès lors le bénéfice du texte précité à l'opération de conversion de capitaux, sous prétexte que les titres à provenir de la conversion sont destinés à être affectés à un cautionnement, c'est ajouter au texte en cause et, par suite, faire de ce dernier une inexacte application.

Il est dès lors permis de penser que la décision susvisée serait réformée, si le litige venait à être porté en appel devant le Conseil d'Etat.

Les deux autres recours sont toujours pendants devant le tribunal administratif de Paris.

En attendant que la décision intervienne, l'agence judiciaire du Trésor a admis la constitution à titre provisoire d'une garantie consistant en actions de sociétés d'investissement et appelée à être remplacée par un cautionnement définitif, lorsque la juridiction administrative aura statué.