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ARTICLE 589

RADIATIONS.

Mainlevée notariée.

Vente consentie par un mandataire ayant pouvoir de donner quittance et mainlevée. - Procuration sous seing privée.
Mainlevée consentie en vertu de cette procuration. - Irrégularité.

(Rép. Min. Justice, 27 mars 1964.)

Question. - M. Lecoq attire l'attention de M. le Ministre de la Justice sur la situation suivante : il est admis que les parties à un acte de vente soumis à la formalité de publicité foncière peuvent se faire représenter par un mandataire tenant ses pouvoirs d'un acte sous seings privés annexé à l'acte authentique. Dans ce cas, le mandataire peut, si le pouvoir le prévoit, encaisser le prix comptant et en donner quittance ou, au contraire, stipuler toutes les modalités de paiement, exiger toutes garanties et faire prendre toutes inscriptions hypothécaires pour sûreté de paiement. Certains conservateurs s'opposent à ce que ledit mandataire, agissant en vertu dudit pouvoir, puisse donner quittance et faire mainlevée de l'inscription prise, et exigent une nouvelle procuration en la forme authentique. Cette prise de position semble peu logique et entraîne, surtout lorsque les mandants sont nombreux, des frais inutiles et une perte de temps. Ainsi, par exemple, un mandataire peut, en vertu d'un pouvoir sous seing privé, vendre un immeuble pour 300.000 F, stipuler que le prix sera payable comptant à concurrence de 280.000 F et encaisser cette somme, mais, pour encaisser ultérieurement le solde, soit 20.000 F et donner mainlevée, il lui faudrait fournir un nouveau pouvoir en la forme authentique. Il lui demande s'il ne pourrait être prévu, lorsqu'une procuration sous seing privé annexée à un acte de vente contient pouvoir de stipuler un paiement à terme, d'encaisser ce paiement, de prendre toutes garanties hypothécaires et de donner mainlevée, ce même pouvoir pouvant servir pour faire radier les inscriptions prises en vue de garantir ledit paiement. (Question du 15 février 1964.)

Deuxième réponse. - 1° Il résulte des termes de l'article 2158 du Code civil que le consentement à la radiation d'une inscription de privilège on d'hypothèque, donné par celui à qui profite l'inscription, doit être constaté par acte authentique. Or, il est de principe que, lorsque la loi exige, à peine de nullité, l'établissement d'un acte authentique, la procuration donnée à un mandataire aux fins de signer cet acte doit elle-même, à peine de nullité, être constatée par un acte authentique. Certes, une partie de la doctrine a-t-elle admis qu'une procuration sous seing privé donnée par le vendeur d'un immeuble aux fins de recevoir le prix de cet immeuble et d'en donner quittance permettait au mandataire de consentir à la mainlevée de l'inscription du privilège de vendeur d'immeuble. Mais cette solution, qui ne semble pas avoir donné lieu à jurisprudence, était contestée par d'autres auteurs et n'était suivie en pratique, semble-t-il, que par un nombre très faible de conservateurs des hypothèques. Compte tenu du principe général ci-dessus rappelé, il semble donc, sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, que les conservateurs soient fondés à refuser de procéder à la radiation si la procuration ne revêt pas la forme authentique ; 2° il ne paraît pas opportun de modifier, sur ce point, la législation en vigueur. En effet, la raison pour laquelle l'article 215 du Code civil exige que l'acte de mainlevée soit authentique est d'assurer la protection des intérêts du créancier et d'éviter, en outre, que la responsabilité du conservateur soit engagée en cas, notamment, de falsification d'écriture ou de signature. Or, c'est essentiellement lors de l'établissement de la procuration que cette double préoccupation doit être satisfaite. (J.O., Déb. parl. Ass. Nat., 27 mars 1964, p. 1400.)

Observations. - Ainsi que le rappelle la réponse qui précède, quelques auteur (Baudry-Lacantinerie et de Loynes, n° 1850; Boulanger, n° 29) estiment que, lorsqu'une vente d'immeuble est consentie par un mandataire habilité par une procuration sous seing privé contenant, en outre du pouvoir de vendre, celui de donner quittance du prix et mainlevée de l'inscription prise pour la garantie du payement de ce prix, la mainlevée de cette inscription peut être valablement consentie par le mandataire agissant en vertu de cette procuration sous seing privé. A l'appui de leur opinion, ces auteurs font valoir que la nullité qui entacherait éventuellement la procuration entraînerait non seulement celle de la mainlevée, mais encore celle de la vente elle-même génératrice de la créance et du privilège de vendeur, de sorte que la radiation irrégulière, ayant pour objet l'inscription d'un privilège inexistant, ne serait pas de nature à engager la responsabilité du conservateur.

Ce raisonnement, s'il était justifié, serait sans doute de nature à établir que, dans l'hypothèse considérée, le conservateur ne courrait pas de risques à opérer la radiation au vu d'une mainlevée consentie par un mandataire dont les pouvoirs résulteraient d'une procuration sous seing privé. Mais le conservateur n'en demeurerait pas moins fondé en droit à se prévaloir de la règle générale inscrite dans l'art. 2158 du Code civil, lequel s'étend aux procurations (Cass. req., 21 juillet 1830; D.P. 30-1-376; S. 30-1-921; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 12, page 15 ; - Précis Chambaz et Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 864), pour exiger, même dans l'hypothèse dont il s'agit, un pouvoir authentique.

Au surplus, il n'est pas certain qu'en acceptant de se départir de cette exigence, le conservateur ne courrait pas de risques. Ainsi que le ont remarquer fort justement MM. Jacquet et Vétillard (2° Inscription d'office, n° 29, page 355) le raisonnement rappelé plus haut " ne tient pas compte du fait... que l'acte sous seing privé est d'une altération facile et qu'il se peut fort bien que la vente consentie en vertu d'un pouvoir passé en cette forme demeure valable, alors que la radiation opérée sur la foi du même pouvoir serait déclarée nulle, si l'on suppose, par exemple, que le mandat de toucher le prix a été, par une addition frauduleuse, ajouté après coup au mandat de vendre ".

Dans ces conditions, la prudence commande de n'opérer, dans tous les cas, la radiation des inscriptions, sur un consentement donné par mandataire, que lorsque ce dernier tient ses pouvoirs d'une procuration authentique.

On rappelle cependant que, en vertu de l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867, que la doctrine et la jurisprudence ont reconnu applicable aux mainlevées d'hypothèques (Jacquet et Vétillard, V° Sociétés, n° 26, p. 673; Chambaz et Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 1296), le mandat de donner mainlevée consenti dans une délibération d'une société commerciale est dispensé de la condition d'authenticité prévue par l'art. 2058 du Code civil (Bull. A.M.C., art. 499).

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Inscription d'office, n° 29, page 355; - C.M.L., 2° éd., n° 1148.