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ARTICLE 695

RADIATIONS.

Mainlevée notariée ou judiciaire.
Immeuble ayant fait l'objet d'une expropriation.
Effet de l'inscription reportée sur l'indemnité d'expropriation.
Radiation subordonnée au consentement du créancier ou à un ordre de justice.

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA SEINE (2° CHAMBRE), DU 14 FEVRIER 1966.

Le Tribunal,

Attendu que suivant exploit de Grivaz, huissier de Justice à Paris en date du 23 novembre 1965 et en vertu d'une ordonnance de M. le Président du Tribunal de Grande Instance de la Seine du 12 novembre 1965, le Maire de B..., agissant au nom et comme représentant de la commune de B..., a fait assigner à jour fixe :

1° Henri Maurice Martin ; 2° dame Suzanne Hernvann, épouse divorcée de Henri Maurice Martin ; 3° le Conservateur du .... Bureau des Hypothèques de la Seine à l'effet de voir ordonner que l'inscription de l'hypothèque légale prise au profit de dame Hernvann contre son mari le 24 décembre 1958, volume 1211, numéro 3, sera rayée par le dit conservateur du ... Bureau des Hypothèques, sur simple production d'une expédition du jugement à intervenir, en tant que cette inscription grève l'immeuble constitué par l'unité foncière numéro 80 de la section I du cadastre, laquelle a été expropriée au profit de la commune de B..., par ordonnance d'expropriation en date du 11 octobre 1961, publiée le 12 février 1962 au ... Bureau des Hypothèques de la Seine, volume 5828, numéro 19 ;

Attendu qu'au soutien de sa demande le Maire de B... fait valoir que l'unité foncière sus-visée a été divisée en deux parcelles postérieurement à l'expropriation et que si la première, portant le numéro 107 de la section I a été cédée par la commune le 26 octobre 1964, la seconde portant le numéro 108 de la section est demeurée la propriété de la commune ; que cette dernière parcelle est sujette à remembrement, mais que ce remembrement est tenu en échec par l'existence de l'inscription de l'hypothèque légale de dame Hernvann ex-épouse Martin ;

Attendu que le demandeur soutient : 1° que l'ordonnance d'expropriation éteint par elle-même et à sa date tous les droits réels et personnels existant sur les immeubles expropriés (article 7 de l'ordonnance du 23 octobre 1958) et qu'aux termes de l'article 8 de cette ordonnance les droits des créanciers régulièrement inscrits sur les immeubles expropriés sont reportés sur l'indemnité d'expropriation, laquelle en l'occurrence a fait l'objet d'une consignation le 11 octobre 1962 à la Caisse des Dépôts et Consignations ; 2° que les époux Martin-Hernvann ont de surcroît réglé leurs droits matrimoniaux par une convention qui a reçu exécution, dame Hernvann ayant été remplie de tous ses droits suivant décharge par elle donnée le 16 mars 1965 ; que cependant il n'a pas été souscrit de mainlevée de l'inscription prise par la sus-nommée au bénéfice de son hypothèque légale, cette formalité ayant sans doute été estimée superfétatoire du fait de l'expropriation de l'immeuble grevé de cette inscription ;

Attendu qu'estimant que cette situation ne pouvait se perpétuer et qu'aucun obstacle sérieux n'empêchait la radiation d'une inscription devenue sans objet et à l'effet de vaincre l'opposition du Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine qui n'entend pas procéder à la radiation de cette inscription de son propre chef et objecte que, nonobstant les effets de l'expropriation, la radiation de l'inscription prise au profit de dame Hernvann ne peut être opérée que dans les conditions prévues à l'article deux mille cent cinquante-sept du Code Civil, le Maire de B... a engagé la présente instance ;

Attendu que seul le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine a constitué avoué et conclu par acte du Palais du 1er décembre 1965, tandis que Martin et dame Hernvann font défaut, bien que régulièrement assignés, en sorte que le présent jugement - susceptible d'appel - sera réputé contradictoire à l'égard de tous par application de l'article 151 du Code de procédure civile ;

Attendu que le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine conclut à sa mise hors de cause et demande subsidiairement au Tribunal : de déclarer la demande du maire de B... telle qu'introduite irrecevable, en tous cas mal fondée ; de dire que la radiation demandée ne sera ordonnée par le Tribunal qu'en tant qu'il estimera devenue sans objet l'inscription d'hypothèque légale prise par dame Hernvann ;

I. - Sur la mise hors de cause sollicitée par le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine. - Attendu que c'est à bon droit que le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine demande sa mise hors de cause en faisant justement valoir qu'il est chargé par la loi de l'exécution des formalités prescrites par la publicité foncière ; qu'il ne participe en aucune façon et à aucun titre aux conventions, actes ou décisions judiciaires en vertu desquelles il les accomplit. Que, pour ce qui concerne spécialement les inscriptions, il demeure absolument étranger à l'intérêt qu'elles révèlent aux tiers ; qu'il n'a par suite aucun avis à donner à l'opportunité de la radiation ou le maintien de la dite inscription et qu'il est, de ce fait, sans qualité pour acquiescer à la demande ou y contredire ; qu'il est prêt cependant à radier l'inscription litigieuse dans les conditions prévues par les articles 2157 et 2158 du Code Civil, c'est-à-dire au vu d'une expédition d'un acte authentique portant consentement à mainlevée des parties intéressées et ayant qualité à cet effet ou d'une expédition d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ; qu'il échet, dans ces conditions, de mettre hors de cause le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine et de dire que les frais de cette mise en cause demeureront à la charge du Maire de B...

II. - Sur la demande de radiation de l'inscription de l'hypothèque légale prise le 24 décembre 1958 au profit de dame Suzanne Hernvann alors épouse Martin. - Attendu qu'en l'état sur publication du fichier immobilier délivré le 23 juin 1962 concernant l'unité foncière numéro 80 de la section I de la commune de B..., lieu-dit " 105, 105 bis et 107 rue Pierre-Curie ", en nature de jardin, sol et constructions, de 2.258 mètres carrés, numéro 6 du plan, expropriée au profit de la commune de B..., aux termes d'une ordonnance d'expropriation du 11 octobre 1961 du juge des Expropriations du Tribunal de Grande Instance de la Seine, publiée le 12 février 1962, volume 5828 numéro 19, révèle l'existence d'une inscription prise le 24 décembre 1958, volume 1211 numéro 63, au profit de dame Hernvann, épouse Martin contre son mari, en vertu de l'article 2135 du Code civil, modifié par le décret du 4 janvier 1955 au titre de l'hypothèque légale de la femme mariée pour conservation d'une somme de 8 millions d'anciens francs. L'immeuble grevé se composant de la moitié du terrain sus-visé.

Attendu en droit que les dispositions générales des articles 2157 et 2158 du Code Civil ne sont pas mises en échec par l'ordonnance du 23 octobre 1958 sur les expropriations puisqu'en effet, ainsi que l'a justement fait observer dans ses écritures le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine, si les droits réels et personnels existant sur les immeubles expropriés sont éteints à la date de l'ordonnance d'expropriation et les droits des créanciers régulièrement inscrits reportés sur l'indemnité, compte tenu du rang de préférence, les dispositions de cette ordonnance ont seulement pour effet d'empêcher les créanciers de poursuivre la réalisation de leur créance sur l'immeuble exproprié, notamment par voie de saisie immobilière, mais les inscriptions subsistent pour permettre notamment à l'autorité expropriante de payer l'indemnité d'expropriation aux ayants droit ou aux créanciers inscrits; qu'ainsi l'inscription hypothécaire subsiste tant qu'elle n'a pas été radiée dans les conditions prévues par l'article 2157 du Code Civil ou qu'elle n'est pas devenue caduque par l'expiration du délai de péremption de dix ans institué par l'article 2154 du même Code; attendu qu'il échet en conséquence pour le Tribunal de rechercher si, en l'espèce l'inscription prise le 24 décembre 1958 au profit de dame Hernvann a encore sa raison d'être ou si, au contraire, il échet d'en ordonner la radiation par application de l'article 2160 du Code Civil.

Qu'il échet, dans ces conditions, le titre de la dame Hernvann étant éteint ou soldé, au sens de l'article 2160 du Code Civil, d'ordonner la radiation de l'inscription prise en sa faveur au ... Bureau des Hypothèques de la Seine, le 24 décembre 1958, volume 1211, numéro 63, et de dire, conformément aux dispositions conjuguées de l'article 2157 du Code Civil et de l'article 548 du Code de procédure civile, que le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine sera tenu de procéder à la radiation de cette inscription sur le vu d'un certificat de l'avoué de la partie poursuivante contenant la date de la signification du présent jugement faite au domicile des défendeurs, et sur l'attestation du Greffier constatant qu'il n'existe contre le dit jugement ni opposition ni appel ;

Par ces motifs,

Statuant par jugement réputé contradictoire ; ordonne la mise hors de cause de M. le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine et la radiation de l'inscription d'hypothèque légale prise audit bureau le 24 décembre 1958, volume 1211, numéro 63 en faveur de dame Hernvann contre son mari, le sieur Martin, etc.

Observations. - Aux termes de l'art. 2157 du Code Civil " les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée. "

Le consentement du créancier ou la décision de justice qui en tient lieu est indispensable. La seule preuve de l'extinction de la créance et de l'hypothèque qui la garantit ne suffit pas à autoriser la radiation. Cette interprétation a été consacrée par plusieurs décisions de justice (Nancy, 26 décembre 1840, D.P. 1841-2-53, J.C. 2370; Angers, 13 août 1873, D.P.1875-2-14, J.C. 2798 ; Paris, 7 août 1895, R.H. 39 ; J. du Not., n° 3822, J. de l'Enreg. n° 22-628 ; Seine, 19 avril 1893, R.H. 1212 ; V. ég. Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 25, p. 21 ; Chambaz et Masounabe-Puyanne, Précis, 2° éd., n° 976. Dans le même sens : Rép. du Min. de l'Econ. et des Fin. du 4 octobre 1966, J.O. Débats, Sénat, p. 1257, Bull. A.M.C., art. 673 ; J.C.P. 66-IV4116).

Le jugement rapporté fait application de cette jurisprudence dans une espèce où il s'agissait d'un immeuble exproprié et de l'inscription qui le grevait s'était trouvée reportée par l'ordonnance d'expropriation sur l'indemnité.

Il ne peut qu'être approuvé.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 976 ; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 25, p 21.