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ARTICLE 986

PUBLICATION D'ACTES .

Opposabilité aux tiers. - Actes sous seings privés.
Publication en application de l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES DU 27 NOVEMBRE 1972

(J.C.P. 1973 - II - 17538)

La Cour,

Statuant sur la tierce opposition formée par les époux Barger-Mazoire contre un arrêt rendu le 19 juin 1970 par la Cour de céans entre Robert Lardy et Raymond Denis ;

Attendu que, par l'effet de partages d'ascendants successifs, le dernier du 29 juillet 1961, un domaine rural sis au Rivaud, commune de Maisonnisses (Creuse), a été divisé en deux lots attribués en propriété, sous réserve du droit d'usage et d'habitation de la veuve Léonard Denis, l'un conjointement à la dame Raymonde Denis, épouse Ducourtial, et à Jean-Camille Denis, l'autre à Raymond Denis, leur oncle ; que ce dernier a accru l'étendue de son lot dans le domaine par l'acquisition de terres voisines ;

Attendu que l'arrêt frappé de tierce opposition a confirmé en toutes ses dispositions un jugement du 25 février 1969, par lequel le Tribunal de Grande Instance de Guéret a déclaré valable la vente de sa part entière dans le domaine sus-indiqué, consentie par Raymond Denis à Robert Lardy. suivant acte sous seings privés du 12 mai 1966, moyennant le prix de 30.000 F ; que la même décision de première instance a ordonné la régularisation de la vente par acte authentique dans le délai d'un mois à compter de sa signification, ajoutant que faute de ce faire, elle vaudrait par elle-même vente, aux clauses et conditions insérées au sous seing, et serait publiée au Bureau des Hypothèques de Guéret, conformément à la loi ;

Attendu que tous les consorts Denis ont vendu l'intégralité du domaine de Rivaud, part de Raymond Denis incluse, aux époux Barger-Mazoire, moyennant le prix de 85.600 F ; que cette vente, constatée par acte notarié du 28 juin 1966, entre en conflit avec celle antérieurement consentie à Robert Lardy ; que la validation de cette cession partielle du domaine par un arrêt, auquel ils n'étaient pas parties, préjudicie aux droits des tiers opposants ; qu'une telle constatation suffit à justifier la recevabilité de leur recours, contre laquelle, au demeurant, les autres parties n'élèvent aucune objection sérieuse ;

Attendu que bien qu'il ait été assigné à personne, Raymond Denis n'a pas constitué avoué ; que le présent arrêt sera réputé contradictoire à l'égard de tous les défendeurs en vertu de l'article 151 du Code de Procédure Civile ;

Attendu qu'au soutien de leur recours, les époux Barger font valoir que leur titre, publié au Bureau des Hypothèques de Guéret le 2 juillet 1966, est préférable à celui de Lardy, qui a bien opéré le 13 juin 1966 la transcription de son acte sous seings privés, mais a négligé de renouveler cette formalité dans le délai de trois ans prévu par le décret du 4 janvier 1955 ; qu'ainsi, alors qu'un autre jugement du Tribunal de Grande Instance de Guéret du 2 décembre 1969 a reconnu un caractère indivisible à la vente du 28 juin 1966, l'antériorité de publication dont jouit ladite vente interdit à Lardy de parvenir à l'exécution de l'arrêt du 19 juin 1970, qui doit être rétracté ;

Attendu que les époux Ducourtial déclarent s'associer à la tierce opposition, estimant que la vente consentie par Raymond Denis à Lardy leur est également inopposable ; qu'ils demandent à la Cour de réserver leurs droits envers ceux-ci pour en obtenir un règlement de comptes et le paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que Lardy conclut au mal-fondé des prétentions adverses, découlant de l'absence d'obligation légale de renouvellement dans le délai de 3 ans, tant de la transcription de l'acte sous seings privés du 12 mai 1966 que de son assignation à fin de réalisation de la vente par acte authentique ; qu'il dénonce, comme significative de mauvaise foi, la hâte exceptionnelle des époux Barger pour accomplir les formalités d'enregistrement et de publicité afférentes à leur acte de vente et, pour cette raison, forme une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 1 0.000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que, sous le couvert de la rétractation ou du maintien des dispositions de l'arrêt du 19 juin 1970, s'est institué entre les parties un débat sur la valeur de leur titre respectif et sur le règlement de contrariétés existantes, ou susceptibles de se manifester, entre l'arrêt frappé de recours et deux autres décisions, soit : un arrêt du 8 juillet 1971, confirmatif d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Guéret du 2 décembre 1969, déclarant fondée l'opposition des époux Barger à un commandement de payer le prix de leur acquisition, commandement délivré le 30 juillet 1969 à la requête des époux Ducourtial et de Jean-Camille Denis, un jugement du 29 novembre 1971, par lequel le Tribunal de Grande Instance de Guéret a prononcé sursis à statuer sur "l'expulsion des époux Barger, occupants des lieux depuis 1966, sollicitée par Lardy, a prescrit la mise en cause des auteurs respectifs des parties, et a ordonné une expertise à l'effet de rechercher la valeur d'arbres vendus par les défendeurs et de chiffrer le préjudice qu'ils auraient causé aux demandeurs par leurs agissements ;

Attendu qu'aucune contestation n'est élevée au sujet de la compétence de la Cour pour trancher ces difficultés ; qu'au demeurant le débat sus-évoqué est conforme à l'objet véritable de la tierce opposition qui n'est pas, si elle est admise, de consacrer la nullité de la décision entreprise à l'égard de toutes parties, mais l'inefficacité envers les tiers opposants de cette décision, qui conserve au contraire sa force et son autorité de chose jugée entre les parties qui y ont figuré ;

Attendu que, pour emporter au plan de la publicité foncière les effets attachés aux seuls actes authentiques par l'article 4 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les clauses de l'acte sous seings privés passé le 12 mai 1966 entre Raymond Denis et Robert Lardy auraient dû, aux termes de l'article 68, alinéa 2, du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955, " être constatées à nouveau dans un acte dressé en la forme authentique " ;

Attendu que le notaire rédacteur de l'acte du 13 juin 1966 n'a pu parvenir à cette nouvelle constatation, en raison de la non-comparution en son étude de Raymond Denis, qui l'a empêché de procéder à la nécessaire reconnaissance des écritures et signatures ; qu'en cet état, l'acte dit de dépôt ne constituait plus qu'un procès-verbal notarié relatant le défaut du vendeur et son refus de procéder à la réalisation de la vente ; qu'ainsi l'officier public, faisant en cela une exacte application de l'article 37 in fine du décret du 4 janvier 1955, a donné à Lardy l'avertissement " que l'opposabilité aux tiers qui résultera de la publication des présentes au Bureau des Hypothèques de Guéret sera subordonnée à la condition que soit effectuée dans les trois ans du jour de cette formalité la publication audit bureau d'hypothèques d'un acte authentique constatant la réitération ou la réalisation des conventions contenues dans ledit acte sous seings privés " ;

Attendu que pareille condition assortit, en vertu du même article 37 (cf. ses 1° et 2°) la demande en justice à fin de réitération ou de réalisation sous la forme authentique, dont l'auteur a, en outre, la possibilité d'obtenir, en cours d'instance, la prorogation du délai de trois ans par la publication d'une ou plusieurs ordonnances successives rendues à cet effet par le président du tribunal saisi ;

Attendu, en fait, qu'après avoir publié au Bureau des Hypothèques de Guéret : le 13 juin 1966, l'acte notarié du même jour, et le 4 juillet 1966, son assignation du 1er juillet 1966, Lardy n'a accompli aucune des formalités nécessaires pour conserver son opposabilité à cette publicité, publiant seulement le 23 novembre 1970 l'arrêt frappé de tierce opposition ;

Attendu que l'acte authentique de vente du 28 juin 1966 au profit des époux Barger, publié le 2 juillet 1966, devient ainsi préférable à la publication de l'arrêt du 19 juin 1970, les formalités accomplies par Lardy en 1966 étant devenues caduques en 1969 ; que la solution ainsi donnée au conflit de l'espèce résulte sans équivoque du renvoi de l'article 37 du décret du 4 janvier 1955 à l'article 30 du même décret, et de cet article 30 lui-même, dont l'alinéa 1 prévoit que les actes ou décisions judiciaires soumis à publicité sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés ;

Attendu qu'il s'ensuit, d'une part, que la tierce opposition est bien fondée, en ce que l'arrêt attaqué est effectivement inopposable tant aux époux Barger-Mazoire qu'aux époux Ducourtial-Denis, d'autre part, que Lardy doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre les premiers desdits époux, et supporter les entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS :

Reçoit les époux Barger-Mazoire en leur tierce opposition à l'arrêt de cette Cour du 19 juin 1970 et les époux Ducourtial-Denis en leur intervention à même fin ;

Déclare ledit arrêt inopposable et sans effets à l'égard des tiers opposants sus-désignés ; Fait défense à Lardy de tenter de l'exécuter contre eux ; Donne acte aux époux Ducourtial-Denis de leurs réserves au sujet de l'exercice ultérieur d'une action en règlement de comptes et en dommages-intérêts contre Raymond Denis et Robert Lardy ;

Déboute ce dernier de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ; le condamne aux entiers dépens.

Observations. - Dans l'affaire qui fait l'objet de l'instance terminée par l'arrêt reproduit ci-dessus, deux ventes portant sur le même immeuble et consenties par le même vendeur étaient en concurrence. L'une était constatée dans un acte sous seings privés publié le 13 juin 1966, en annexe à un procès-verbal notarié de défaut, dans les conditions prévues à l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955 (disposition ajoutée à ce décret par l'art. 9 du décret n° 59-89 du 7 janvier 1959) ; l'autre faisait l'objet d'un acte notarié publié le 2 juillet 1966.

Aux termes du dernier alinéa de l'article 37-2 susvisé, les actes sous seings privés publiés sous le régime de cet article sont opposables aux tiers de la même manière que les actes authentiques, mais leur opposabilité est conditionnelle : elle prend fin si la publication de l'acte sous seings privés n'est pas suivie, dans un délai de trois ans, de celle d'un acte authentique ou d'une décision judiciaire constatant la réitération ou la réalisation de la convention contenue dans l'acte sous seings privés, étant précisé que le délai de trois ans peut être prorogé, une ou plusieurs fois, par la publication d'une ordonnance rendue à cet effet par le président du tribunal saisi.

Au cas particulier, la vente notariée était primée originairement par la vente sous seings privés qui avait été publiée la première. Mais l'arrêt du 19 juin 1970, qui a constaté la validité de cette dernière vente, n'a été publié que le 23 novembre 1970, c'est-à-dire après l'expiration survenue le 13 juin 1969, du délai de trois ans, qui n'avait pas été prorogé. L'opposabilité attachée à la publication du 13 juin 1966 était alors devenue caduque et seule la vente notariée demeurait opposable aux tiers.

C'est ce qu'a décidé la Cour d'Appel dans l'arrêt rapporté. Cette décision n'intéresse pas directement le service hypothécaire, lequel, en présence de deux ventes concurrentes, n'a d'autre obligation que de révéler l'existence de ces deux ventes dans les états.

On rappelle à ce sujet que les actes sous seings privés publiés dans les conditions prévues à l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955 doivent figurer dans les états jusqu'à l'expiration du délai de cinquante ans prévu à l'article 10 du décret du 4 janvier 1955, sans que le Conservateur ait à rechercher si la publication a cessé de produire effet du fait que n'a pas été publié, dans le délai de trois ans éventuellement prorogé, un acte authentique ou une décision de justice constatant la réitération ou la réalisation de la convention contenue dans l'acte sous seings privés publié (Bull. A.M.C., art. 932).

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 679 et 690 A, 4° groupe, B (feuilles vertes).