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ARTICLE 1416

RADIATIONS.

Mainlevée judiciaire.
Radiations - autres que des inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire - ordonnées en justice avec exécution provisoire.
Nécessité d'un jugement passé en force de chose jugée pour opérer la radiation.

(Arrêt de la Cour de Cassation, 3° Ch. Civ., du 19 octobre 1988)

Faits. - Le Tribunal de Grande Instance de Grasse avait été saisi par des débiteurs, les époux Gouvenaux, d'une demande en réduction d'inscriptions considérées par eux comme excessives ; ce tribunal par un jugement du 3 décembre 1985 frappé d'appel mais assorti de l'exécution provisoire, a ordonné le cantonnement d'une première inscription afférente à une hypothèque judiciaire provisoire de l'article 54 de l'ancien code de procédure civile ainsi que d'une seconde résultant d'une décision d'allocation d'une provision, prise par un juge de la mise en état et donc régie par l'article 2123 du Code Civil. Requis d'assurer l'exécution de ce jugement, le conservateur a, comme il le lui était demandé, radié partiellement l'inscription provisoire mais a refusé de faire de même pour l'autre inscription.

Ce refus ayant été soumis au juge des référés par les époux Gouvenaux, cette juridiction, après avoir entendu le créancier et le conservateur, a, par une ordonnance du 21 mai 1986, rejeté le recours dont il avait été saisi après avoir remarqué que "la seconde inscription, dont la radiation a été refusée, est incontestablement soumise aux dispositions de l'article 2157 du Code Civil qui subordonne la radiation des inscriptions d'hypothèques judiciaires à l'existence d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée".

Sur appel des époux Gouvenaux, la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence a, par un arrêt du 5 décembre 1986, infirmé l'ordonnance de référé du 21 mai 1986 aux motifs que "le caractère exécutoire de la décision (1) interdit à un tiers de s'opposer à son exécution ainsi que le prescrit l'article 506 du nouveau code de procédure civile (2) ; au surplus, les dispositions de l'article 2157, qui précisent que la radiation d'une hypothèque est effectuée en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée, constituent une règle de rigueur qui ne saurait être étendue hors des cas pour lesquels elle a été instituée ; conçue pour les radiations pures et simples, elle ne peut être étendue aux réductions, opération différente comme l'indique l'intitulé du chapitre V qui prévoit "radiation et réduction des inscriptions" ;... "il convient, en conséquence, de dire que le refus du conservateur des hypothèques d'exécuter le jugement du 3 décembre 1985... est sans justification aucune et qu'il doit obéir à la décision régulière du juge".

(1) le terme "décision" désigne le jugement du 3 décembre 1985.

(2) le texte de l'article 506 N.C.P.C. a été cité dans l'article 1353 du bulletin, page 8, dernier alinéa.

Sur pourvoi de notre Collègue, la 3° Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu le 19 octobre 1988 l'arrêt rapporté ci-dessous :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 2157 du Code Civil ;

Attendu que les inscriptions d'hypothèques sont rayées du consentement des parties intéressées ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ;

Attendu qu'un jugement du 3 décembre 1985 assorti de l'exécution provisoire ayant ordonné la réduction des hypothèques portant sur l'ensemble de leurs biens et le conservateur des hypothèques s'étant refusé de procéder aux radiations nécessaires sans la présentation d'un jugement passé en force de chose jugée, les époux Gouvenaux ont formé un recours contre son refus ; que l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 décembre 1986) statuant en référé, a enjoint au conservateur d'exécuter cette formalité sur le seul vu du titre exécutoire d'origine ;

Qu'en statuant ainsi alors que la radiation, même partielle, d'inscription d'hypothèque judiciaire ne pouvait se faire qu'en vertu d'un jugement passé en force de chose jugée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 1986, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Observations :

1. - Dans l'article 1353 du bulletin relatif à l'exécution des décisions judiciaires de radiation il a été notamment indiqué (§ II alinéas 2 et 3) que la Cour Suprême serait prochainement amenée à se prononcer sur le problème de l'application de l'article 2157 du Code Civil par rapport à l'article 506 du nouveau code de procédure civile en cas de jugement exécutoire par provision. C'est maintenant chose faite.

Dans l'arrêt rapporté, la Cour de Cassation approuve la thèse qu'a toujours défendue l'A.M.C. selon laquelle la radiation judiciaire d'hypothèques, autres que les hypothèques judiciaires provisoires, ne peut se faire qu'en vertu d'un jugement passé en force de chose jugée. C'est reconnaître de manière implicite mais certaine que la règle énoncée à l'article 2157 du Code Civil, dont la rédaction est demeurée inchangée depuis 1804, a une autorité absolue à laquelle l'article 63 du décret n° 72-788 du 28 août 1972 devenu l'article 506 du nouveau code de procédure civile n'a eu ni pour but, ni pour résultat de porter atteinte : les conservateurs requis de radier ne peuvent passer outre à l'absence du consentement du créancier que s'il leur est présenté un jugement passé en force de chose jugée. En rappelant cette exigence, ces agents de la loi ne sauraient être taxés de s'opposer à l'exécution de décisions de justice ; ils se bornent, comme ils en ont le devoir sous peine de courir le risque d'engager leur responsabilité personnelle, à vérifier, avant de supprimer le signe matériel de la sûreté réelle, l'efficacité du titre qui leur est produit.

Il ne devrait plus y avoir désormais de difficultés nées des décisions judiciaires de radiation exécutoires par provision. Si le conservateur est présent à l'instance (Bull. A.M.C., art. 1353, III, B, 2°, a), il lui appartiendra de s'appuyer sur l'arrêt du 19 octobre 1988 pour éviter que l'exécution provisoire soit ordonnée sauf, dans l'hypothèse - au demeurant peu vraisemblable - où il ne serait pas suivi, à s'incliner devant l'autorité de la chose jugée et donc à radier. Si, au contraire, le jugement est rendu en l'absence du conservateur (ibid. III, B, 2°, b), celui-ci refusera de procéder à la radiation tant que le jugement n'aura pas force de chose jugée ou que le juge des référés, saisi de la difficulté par celui qui demande l'exécution du jugement, ne lui aura pas enjoint d'effectuer la radiation, hypothèse là encore peu vraisemblable.

2. - L'arrêt du 19 octobre 1988 est intéressant à un autre titre. Il assimile, en effet, les radiations partielles aux radiations totales pour l'application de l'article 2157 du Code Civil. Il en est spécialement ainsi pour les radiations partielles faisant suite à un cantonnement d'hypothèque ordonné en application de l'article 2161 du Code Civil.

Annoter : Bull. A.M.C., art. 1353.