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ARTICLE 1353

RADIATIONS JUDICIAIRES.

Exécution des décisions. - Attitude à adopter.

Les conservateurs auxquels il est demandé de procéder à des radiations ordonnées en justice hésitent parfois, actuellement, sur la position à adopter.

Il a paru, dès lors, utile de clarifier le problème, parfois délicat, de l'exécution des décisions judiciaires de radiation.

Pour ce faire, il convient de rappeler les textes pouvant trouver à s'appliquer en la matière (I), la jurisprudence déjà intervenue sur ceux-ci (II), les déductions à tirer de ces textes et de cette jurisprudence (III) et de préconiser, après avoir rappelé quelques principes généraux (IV), les solutions pouvant être adoptées actuellement dans les cas de figure les plus usuels (V).

I. - TEXTES

Les principaux textes qui peuvent trouver à s'appliquer dans l'exécution des décisions de justice ayant ordonné une radiation figurent dans le code civil, dans l'ancien et le nouveau code de procédure civile ainsi que dans le décret du 4 janvier 1955.

A. - Code Civil

L'article 2157 du code civil, dont le texte n'a pas été modifié depuis 1804, pose le principe selon lequel, à défaut de consentement des parties intéressées, les inscriptions ne peuvent être radiées qu' " en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ".

De son côté, l'article 2159 énonce que " la radiation non consentie est demandée au tribunal dans le ressort duquel l'inscription a été faite ", sauf à porter ou à renvoyer dans certains cas la demande devant un autre tribunal.

D'autre part, l'article 2161 modifié par l'article 27 du décret du 4 janvier 1955, prévoit que le débiteur peut demander la réduction des hypothèques légales ou judiciaires en suivant les règles de compétence établies par l'article 2159.

Enfin l'article 1351 pose le principe de l'autorité de la chose jugée quand la demande est la même et a lieu entre les mêmes parties.

B. - Ancien Code de Procédure Civile

Provenant de la loi du 12 novembre 1955, les articles 54 et 55, toujours en vigueur, du code de procédure civile renferment, pour l'hypothèque judiciaire provisoire, des dispositions spéciales.

L'article 54 énonce qu'en cas de désistement ou de péremption d'instance ou de désistement d'action tendant à faire condamner le débiteur présumé, la mainlevée peut être ordonnée par le magistrat qui a autorisé l'inscription (président du tribunal de grande instance ou juge d'instance) et que la radiation est opérée " sur le dépôt de son ordonnance passée en force de chose jugée ". D'après cet article, la radiation peut également être demandée à ce même magistrat faute d'inscription nouvelle dans le délai de trois ans. Enfin, le même article permet au débiteur de faire limiter les effets de l'inscription par le magistrat en question quand la valeur des immeubles grevés est supérieure au montant des sommes à garantir.

De son côté, l'article 55 précise que, si la créance n'est pas reconnue par le juge statuant au fond et que la décision soit passée en force de chose jugée, la radiation de l'inscription peut être prononcée par le magistrat dont il s'agit. De plus, cet article 55 rend applicable à l'inscription provisoire l'article 50 selon lequel mainlevée peut être obtenue en référé, dans le mois de la notification au débit de la mesure prise contre consignation de sommes suffisantes pour garantir les causes de cette mesure.

C. - Nouveau Code de Procédure Civile

Les dispositions de ce nouveau code pouvant trouver leur application en matière de radiations judiciaire sont principalement contenues dans les articles 484 à 498 relatifs aux ordonnances de référé et aux ordonnances sur requête et dans les articles 500 à 526 concernant l'exécution des jugements.

Pour les ordonnances, on peut retenir notamment :

- l'article 488 mentionnant que " l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée

- l'article 489 selon lequel l'ordonnance de référé est exécutoire à titre provisoire ;

- l'article 490 d'après lequel elle n'est pas susceptible d'opposition, mais peut être frappée d'appel sauf si elle émane du premier président de la cour d'appel ;

- l'article 497 d'où il résulte que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire.

Quant à l'exécution des jugements, on peut citer :

- l'article 500 d'après lequel un jugement a force de chose jugée (ne pas confondre avec l'autorité de la chose jugée qu'a, dès son prononcé, tout jugement en application de l'article 480), dès lors qu'il n'est pas ou qu'il n'est plus (par l'expiration des délais) susceptible des recours suspensifs d'exécution que sont l'opposition et l'appel ;

- l'article 501 selon lequel le jugement est exécutoire à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le créancier ne bénéficie de l'exécution provisoire ;

- l'article 504 réglant la question de la preuve du caractère exécutoire du jugement et précisant, notamment, que cette preuve peut résulter de la notification de la décision et d'un certificat permettant d'établir l'absence, dans les délais voulus, d'une voie de recours suspensive ;

- l'article 506 énonçant que les mainlevées et radiations ordonnées par jugement " sont valablement faites au vu de la production, par tout intéressé, d'une expédition ou d'une copie certifiée conforme du jugement ou d'un extrait de celui-ci et, s'il n'est pas exécutoire à titre provisoire, de la justification de son caractère exécutoire " laquelle peut résulter d'un certificat établi par l'avocat ou l'avoué ;

- l'article 514 indiquant que l'exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée, sauf pour les décisions en bénéficiant de plein droit, ce qui est le cas notamment des ordonnances de référé ;

- l'article 515 selon lequel, hors le cas où elle est de plein droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée " à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi " ;

- et, enfin, l'article 811 qui donne compétence au juge des référés pour statuer sur les difficultés d'exécution du jugement

D. - Décret du 4 janvier 1955

L'article 26 de ce décret prévoit qu'en cas de rejet d'une formalité de publicité par application notamment de l'article 2149 du code civil (mentions en marge des inscriptions), le recours contre la décision du conservateur est porté devant le tribunal de grande instance, qui statue comme en matière de référé. Cet article précise que l'ordonnance de ce magistrat " n'est pas susceptible d'exécution provisoire ".

II. - JURISPRUDENCE

La jurisprudence intervenue pour l'application des textes précités en matière de radiation judiciaire est peu fournie. Il faut citer, en premier lieu, l'arrêt de la 3° chambre civile de la Cour de Cassation du 21 novembre 1978 (Bull. civ. III, n° 351. J.C.P: 1979, éd. N II, p. 71, note Fremont; Bull. A.M.C. art. 1134); qui a mis fin à la question de savoir si les conservateurs pouvaient procéder à la radiation d'une hypothèque judiciaire provisoire ordonnée par le juge des référés alors que l'ordonnance n'était pas encore passée en force de chose jugée. La Cour suprême a décidé, en effet, que " l'article 2157 du code civil est étranger à l'institution de l'hypothèque judiciaire provisoire dont la constitution et la radiation sont réglementées spécialement par les articles 54 et 55 du code de procédure civile ".

Par contre la Cour de Cassation ne s'est pas encore prononcée sur le problème de l'application de l'article 2157 du code civil par rapport à l'article 506 du nouveau code de procédure civile en cas de jugement exécutoire par provision. Il est à noter toutefois, que la plupart des cours d'appel ont résolu ce problème dans le sens de la primauté de l'article 2157 (Pau 30 11974 ; Bull. A.M.C. art. 988 ; Aix 1er octobre 1974 ; Bull. A.M.C. art. 1011 ; Paris-14° ch. sect. A, 17 novembre 1976 ; Bull. A.M.C. art. 1077 ; Paris-14° Ch. sect. B., 20 janvier 1977 ; Bull. A.M.C. art. 1091t. V. également Rép. Min. Just. 26 janvier 1974. J.O. Déb. Ass. Nat. p. 506 : J.C.P. 1974, éd. N, prat. 5663).

La Cour Suprême sera d'ailleurs, peut-être amenée prochainement trancher la question car un pourvoi a été formé contre un arrêt de la Cour d'Aix du 5 décembre 1986 duquel il résulte qu'un conservateur doit procéder immédiatement, lorsqu'il en est requis, à la radiation partielle d'une hypothèque judiciaire de l'article 2123 du code civil ordonnée, avec exécution provisoire, par un jugement du tribunal de grande instance bien que ce jugement ne soit pas encore passé en force de chose jugée.

D'autre part, il est de jurisprudence constante que, sauf pour l'hypothèque judiciaire provisoire, le juge des référés est incompétent pour ordonner la radiation d'une inscription de privilège ou d'hypothèque (Cass. req. 27 janvier 1862 : D.P. 1862, 1, 225 ; - 4 novembre 1863 : S/63,1, 537 ; civ. 3° ch. 15 mai 1974 : Bull. civ. III, n° 199 ; Bull. A.M.C. art. 1022 : civ. 1er ch. 9 mars 1977 : Bull. civ./I, n° 128 ; J.C.P.. 1979, éd. N, II, p. 69 note Goubeaux ; Bull. A.M.C. art. 1112 - 1° - ; Cass. civ. 3° ch. 9 octobre 1979 : Bull. civ. III, n° 168 ; Bull. A.M.C. art. 1197 ; Aix 1er octobre 1974 : Bull. A.M.C. art. 1011 ; Agen, 7 avril 1976 - Bull. A.M.C. art. 1056 ; Paris, 17 novembre 1976 : Bull. A.M.C. art. 1077). Il en est ainsi spécialement de la radiation d'une hypothèque judiciaire définitive (Cass. civ. 3° ch. 15 mai 1974 précité. V. également Bull. A.M.C. art. 910).

Certes, un arrêt de la 3° chambre civile de la Cour de Cassation du 10 juillet 1985 (Bull. civ. III, n° 109 ; Bull. A.M.C. art. 1333 ; Revue Adminis. n° 168, p. 38, note Frank vient de décider qu'un conservateur doit exécuter une ordonnance de référé lui enjoignant de radier une hypothèque de la masse sur l'acte de mainlevée d'un syndic autorisé, par jugement définitif du tribunal de commerce, à donner mainlevée de cette hypothèque. Mais la Cour Suprême ne semble pas avoir modifié pour autant sa jurisprudence en matière d'incompétence du juge des référés puisque avant l'ordonnance de référé il existait déjà, en l'espèce, un jugement définitif au fond et l'intervention du juge des référés avait seulement eu pour but de surmonter le refus de radier du conservateur.

Tout au plus, l'arrêt paraît avoir reconnu la compétence du tribunal de commerce pour prononcer, au moins indirectement en autorisant un syndic à accorder mainlevée, la radiation d'une inscription alors que l'on considérait jusque-là que le " tribunal " visé à l'art. 2159 du code civil pour demander une radiation non consentie était le seul tribunal de grande instance à l'exclusion de tous tribunaux d'exception, même de l'ordre judiciaire comme le tribunal de commerce.

Il faut ajouter, enfin, à la jurisprudence sus-indiquée un arrêt de la Cour de Paris du 9 juillet 1985 dont la Cour de Cassation aura à connaître car il a fait l'objet d'un pourvoi. Cet arrêt a retenu la responsabilité du conservateur en lui reprochant de n'avoir pas déféré immédiatement à une ordonnance de référé lui enjoignant de radier une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire bien qu'au moment des faits l'arrêt précité du 21 novembre 1978 n'avait pas entre été rendu.

III. - DEDUCTIONS A TIRER DES TEXTES ET DE LA JURISPRUDENCE

A la suite de l'arrêt de la Cour de Cassation du 21 novembre 1978, la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire doit être distinguée de celle des autres privilèges et hypothèques, y compris l'hypothèque judiciaire de l'article 2123 du code civil et l'hypothèque définitive prise à la suite d'une inscription provisoire.

A. - Hypothèques judiciaires provisoires

Pour la radiation de l'hypothèque provisoire du Code de Procédure Civile, il faut se référer uniquement aux dispositions contenues dans les articles 54 et 55 de ce code, à l'exclusion notamment de celles de l'article 2157 du Code civil

Or, ces articles 54 et 55 n'exigent une ordonnance passée en force de chose jugée que si la radiation fait suite à un désistement ou à une péremption d'instance ou encore à un désistement d'action.

En dehors de ce cas particulier et comme, en vertu de l'article 489 du nouveau Code de Procédure Civile, les ordonnances de référé sont, de plein droit, exécutoires par provision, le conservateur n'est pas fondé à exiger, avant de procéder à la radiation d'une hypothèque judiciaire provisoire ordonnée par le juge des référés, qu'il lui soit prouvé que cette ordonnance est passée en force de chose jugée (Bull. A.M.C. art. 1153 et 1236).

Mais, cette exception aux dispositions de l'article 2157 du Code Civil exigeant un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée; doit être strictement limitée aux hypothèques judiciaires provisoires (et bien entendu au renouvellement de ces hypothèques qui ont également un caractère provisoire).

En effet, si une hypothèque judiciaire dont la radiation a été accordée en application de l'article 48, al. 4 du Code de procédure civile auquel renvoie l'article 54 de ce Code, par le juge qui a autorisé l'inscription, peut être considérée comme étant alors anéantie dans son principe même, on doit estimer qu'un privilège ou une hypothèque pris en vertu d'une disposition légale ou une hypothèque résultant de la volonté des parties ne peut être radiée, à défaut de consentement amiable, que par une décision de justice inattaquable par les voies de recours ordinaires. (V. notamment dans ce sens Perrot, revue trim. de droit civil, 1979, p. 443.)

B. -Autres hypothèques et privilèges

Les enseignements que l'on peut tirer des textes et de la jurisprudence sont plus incertains pour les inscriptions autres que celle d'hypothèques judiciaires provisoires.

Il faut rappeler tout d'abord, que le juge des référés est incompétent pour ordonner la radiation de ces inscriptions. En tout cas, il n'agirait plus, s'il radiait de telles inscriptions, dans le cadre des articles 54 et 55 du Code de procédure civile. Le juge des référés ne serait compétent que s'il statuait sur le recours exercé contre le rejet de la formalité de publicité que constitue la mention, en marge d'une inscription, de la radiation judiciaire. Mais, le fait ne pas accepter d'effecteur une telle mention constitue pratiquement un refus de publier et non un rejet de formalité et, dès lors, l'article 26 du décret du 4 janvier 1955 ne peut s'appliquer puisque ce texte ne concerne que le rejet. (Cass. civile, 3° ch., 30 mai 1978 : Bull. Civ. III, n° 225. J.C.P. 1979, éd. N, Prat. 7077, p. 124; Bull. A.M.C., art. 1132.)

La décision de radiation à exécuter doit donc, en principe, émaner d'un tribunal de grande instance (ou d'un tribunal d'instance si le montant du litige est inférieur à 30.000 F). Mais le président du tribunal ou, en cas d'appel du jugement rendu, le premier président de la Cour d'appel serait compétent pour statuer, en référé, sur la difficulté d'exécution que constituerait le refus de radier du conservateur.

Cela dit, il convient, pour plus de clarté, de distinguer les jugements rendus selon que les juges ont ordonné, ou non, l'exécution provisoire de leur décision.

Jugements sans exécution provisoire.

La radiation prononcée par les jugements sans exécution provisoire ne devrait pas soulever de difficultés, étant donné les termes formels de l'article 2157 du Code Civil que ne vient contredire, dans cette hypothèse, aucune autre disposition.

En application de cet article et des articles 504 et 506 du nouveau Code de procédure civile, le conservateur ne doit radier l'inscription qu'au vu d'une expédition ou d'une copie certifiée conforme du jugement ou d'un extrait de celui-ci, accompagnée d'un certificat de non-opposition ni appel établi par le greffier ou l'avocat.

Il en est ainsi que le jugement ait été rendu dans une instance où le conservateur a été partie ou dans un litige où il n'a pas été cité car il ne semble pas possible dans cette dernière hypothèse, comme il sera indiqué plus loin, de soutenir que le jugement n'est pas exécutoire à son égard.

Jugements avec exécution provisoire.

Pour les jugements dont l'exécution provisoire a été expressément ordonnée, les dispositions de article 506 du nouveau Code de Procédure Civile sont en contradiction avec celles de l'article 2157 du Code Civil. (V. notamment Perrot, revue trim. de droit civil, 1976, p. 840.)

En effet il résulte de l'article 506 en question; par raisonnement a contrario, que les radiations ordonnées par un jugement exécutoire à titre provisoire doivent être faites au vu de la production de ce jugement sans qu'il soit nécessaire de justifier du " caractère exécutoire " de celui-ci (et, à s'en tenir à l'ensemble du texte, le législateur a très certainement voulu entendre par là non pas que le jugement ait acquis l'autorité de la chose jugée, mais qu'il soit passé en force de chose jugée, c'est-à-dire qu'il ne soit plus susceptible de recours suspensif d'exécution) alors que l'article 2157 exige qu'un tel jugement soit définitif ou passé en force de chose jugée pour qu'il puisse être procédé à la radiation.

Or, si la Cour de Cassation ne s'est pas encore prononcée sur la question, il est rappelé que la plupart des Cours d'appel qui ont eu à en connaître ont donné priorité aux dispositions de l'article 2157.

Dans ces conditions et en attendant soit une décision de la Cour suprême, soit une éventuelle modification de la législation, il convient dé faire abstraction des dispositions de l'article 506 en tant qu'elles sont contraires à celles de l'article 2157. (V. dans le même sens Bull. A.M.C., art. 913. Observ. S I.)

Cela dit, il faut distinguer selon que le jugement avec exécution provisoire a été rendu en la présence ou en l'absence du conservateur.

a) Jugements rendus en la présence du conservateur

Lorsque le jugement de radiation avec exécution provisoire a été rendu dans une instance où le conservateur, dûment assigné, a été partie, on se trouve en présence de deux principes : d'une part, celui qui est inscrit dans l'article 2157 du Code Civil et, d'autre part, le principe de l'autorité de la chose jugée posé dans l'article 480 du nouveau Code de procédure civile et dans l'article 1351 du Code Civil.

Etant donné que les tribunaux et spécialement la Cour de Cassation veillent à ce que ce dernier principe soit toujours scrupuleusement respecté, quel que soit le bien fondé de la décision rendue, il ne peut qu'être conseillé d'exécuter un tel jugement sans exiger de certificat de non appel.

Le conservateur avait d'ailleurs la possibilité d'essayer d'éviter que les juges ordonnent l'exécution provisoire de leur décision. Il peut, en effet, déposer des conclusions faisant valoir que l'exécution provisoire du jugement à intervenir ne peut être ordonnée en raison des dispositions contenues dans les articles 515 du nouveau Code de procédure civile et 2157 du Code Civil.

En effet, l'article 515 dont il s'agit, ne permet d'ordonner l'exécution provisoire que si elle n'est pas " interdite par la loi ". Or, on peut soutenir que la disposition de l'article 2157 du Code Civil qui exige, pour radier judiciairement une inscription, un jugement passé en force de chose jugée est une de ces dispositions légales interdisant d'ordonner l'exécution provisoire, à condition d'admettre, comme il a déjà été indiqués que ce texte prime l'article 506 du nouveau Code de procédure civile prévoyant, pour les radiations, le cas où le jugement serait exécutoire à titre provisoire. (V. Perrot, revue trim. de droit civil 1976, p. 840.)

b) Jugements rendus en l'absence du conservateur

La question de savoir si un jugement de radiation avec exécution, provisoire rendu sans que le conservateur ait été partie à l'instance peut être exécutée même s'il n'est pas passé en force de chose jugée est très délicate.

Il est nécessaire de l'examiner d'abord sous l'angle général de l'exécution des décisions de justice à l'égard du tiers.

Autrefois, ancien code de procédure civile contenait un article 548 qui interdisait l'exécution provisoire des décisions de justice à l'égard des tiers. La Cour de Cassation avait, toutefois assoupli cette règle en décidant qu'elle ne s'appliquait pas aux décisions exécutoires de plein droit comme les ordonnances de référé. (Cass. civile, 2° ch., 3 juillet 1964, Bull. civ. II, n° 536 ; J.C.P. 1965, éd. A, N, 4506. V. également Bull. A.M.C., art. 783, observ. S II.)

Mais, l'article 548 a été abrogé par l'article 61 du décret du 28 août 1972 ainsi conçu : " la preuve du caractère exécutoire à l'égard des tiers ressort soit du jugement lui-même lorsque l'exécution est de droit ou a été ordonnée, soit de la justification de ce qu'il est passé en force de chose jugée ". La possibilité de l'exécution provisoire d'une décision contre un tiers était donc alors expressément prévue.

Cet article 61 est devenu l'article 504 du nouveau Code de Procédure Civile mais la rédaction en a été modifié.

L'article 504 énonce, en effet, que " la preuve du caractère exécutoire ressort du jugement lorsque celui-ci n'est susceptible d'aucun recours suspensif ou qu'il bénéficie de l'exécution provisoire ".

Est-ce à dire que l'exécution provisoire ordonnée par jugement n'est plus permise à l'égard des tiers ? Rien n'est moins certain. En tous cas, la doctrine penche pour la solution contraire qui est confirmée par la teneur de l'article 506 du nouveau Code de procédure civile. (V. Jur. CL. Procédure civile, fasc. 516-2, n° 52.)

Cela dit, la question doit être examinée sous l'angle spécial de la publicité foncière.

On est, à cet égard, en présence de deux règles dissemblables, à savoir le principe de l'autorité de la chose jugée (en admettant évidemment qu'il soit applicable vis-à-vis du tiers et l'obligation, pour le conservateur charge de faire respecter les textes sur la publicité foncière, de tenir compte de la règle inscrite dans l'article 2157 du Code Civil, règle qu'il n'a pas pu faire respecter par les juges puisque le procès s'est déroulé en son absence.

Il y a donc là une difficulté d'exécution, Or, d'après l'article 811 du nouveau Code de procédure civile, les difficultés d'exécution d'un jugement sont de la compétence du président du tribunal statuant en référé,
Il est, par conséquent, préférable de refuser de procéder à la radiation tant que le jugement n'est pas passé en force de chose jugée ou que le juge des référés, saisi de la difficulté par celui qui demande l'exécution du jugement; n'a pas enjoint au conservateur d'effectuer la radiation.

IV. - PRINCIPES GENERAUX

Indépendamment des solutions préconisées plus loin, il est un nombre de principes généraux à respecter pour exécuter une décision de justice ayant ordonné la radiation d'une inscription.

A. - Contenu du dispositif

Il n'y a pas de distinction à faire selon que les juges ordonnent la radiation, autorisent celle-ci, enjoignent au conservateur de radier avec ou sans astreinte ou se bornent à ordonner la mainlevée. (Bull. A.M.C., art. 793 et 1154.)

Par contre, si la décision enjoignait seulement au bénéficiaire de l'inscription (ou, a fortiori, autorisait simplement ce bénéficiaire) de donner mainlevée de l'inscription, il faudrait attendre, pour radier, que ce bénéficiaire dépose un acte authentique de mainlevée. (Bull. A.M.C., art. 1154.)

Cependant, si les juges avaient précisé que, faute par le bénéficiaire de consentir la radiation dans un certain délai fixé par eux, le débiteur pourrait la requérir, la radiation devrait être effectuée à l'expiration de ce délai. (Bull. A.M.C., art. 1183 et 1214.)

Enfin, la radiation ordonnée sous certaines conditions (consignation de fonds par exemple) ne peut être réalisée que s'il est justifié de l'accomplissement de ces conditions. De même, il va de soi que la radiation ordonnée partiellement ne doit être effectuée que dans la limite fixée par le juge. Mais, en dehors de cette conséquence, il n'y a pas lieu de distinguer entre une décision de radiation totale et une décision ordonnant la " réduction " d'une inscription comme le voudraient certains en se basant sur l'article 2161 du Code Civil qui parle de réduction alors que l'article 2157 ne vise que les radiations, car ce dernier article ne fait pas de distinction entre les radiations totales et les radiations partielles dont font partie les réductions de l'article 2161

B. - Identification de l'inscription

Il faut que la décision de justice identifie suffisamment l'inscription à radier (Orléans, 21 juillet 1952. J.C.P. 1952, éd. N, II; 7190.) Les précisions nécessaires à cette identification peuvent, toutefois, être fournies ultérieurement par celui qui a obtenu la radiation ou son avocat (même décision, V. également Bull. A.M.C., art. 142, 158 et 1229.)

C. - Inscriptions renouvelées

Dans l'hypothèse où une décision de justice ordonne la radiation d'une inscription qui a été renouvelée sans prononcer celle de l'inscription de renouvellement ou encore ordonne la radiation de l'inscription de renouvellement sans prononcer celle de l'inscription originaire, rien ne permet d'ériger, pour l'exécution d'une telle décision, qu'elle soit complétée par l'indication de la radiation de l'inscription omise.

Il est à remarquer, d'ailleurs, que si l'inscription originaire est seule radiée, l'inscription de renouvellement ne peut plus être invoquée car elle manque de base légale et qu'au cas où, au contraire, la radiation n'a porté que sur l'inscription de renouvellement, l'inscription originaire sera, en général, périmée.

D. - Décisions irrégulières

Le Conservateur n'a pas à apprécier la régularité de la décision et, encore moins, son bien fondé. Il ne peut, notamment refuser de radier au prétexte que la décision a été prise par un juge incompétent (Bull. A.M.C., art. 385, 594 et 910).

Il résulte, toutefois, de l'article 488 du nouveau Code de procédure civile que l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose juge jugée. Le Conservateur, au surplus, n'a pas été appelé à l'instance ; il n'a donc pas à exécuter une ordonnance de référé qui prononcerait la radiation d'une inscription alors que le magistrat qui l'a rendue n'était pas compétent pour ce faire, c'est-à-dire pratiquement qui statuerait sur une inscription autre qu'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire. (bull. A.M.C., art. 434. Observ. S I, 783, 957 et 1011. Observ. S I.)

On rappelle à ce propos, que le juge des référés est compétent pour ordonner la radiation d'une hypothèque provisoire prisé dans le cadre des articles 54 et 55 du Code de procédure civile. Aussi bien, les ordonnances ainsi rendues n'entrent pas dans le cadre de l'article 488 précité. (Cass. civ., 3° ch., 17 juillet 1972 : Bull. civ. III, n° 469; J.C.P. 1973, éd. N, II, 14311 bis ; Bull. A.M.C., art. 944. V. également Bull. A.M.C., art. 783.)

Il en est de même, d'ailleurs, quand le juge des référés statue en vertu de l'article 19 de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété (Bull. A.M.C., art. 630, dernier alinéa) ou de l'article 6 de la loi du 6 novembre 1969 sur les mesures de protection en faveur des rapatriés. (Bull. A.M.C., art. 784.)

E. - Jugements d'expédient

La décision de radiation qui constate l'accord des parties n'est pas susceptible d'opposition, ni d'appel et peut donc être exécutée immédiatement. (Bull. A.M.C., art. 1228. V. également Bull. A.M.C., art. 815.) Par contre, la décision indiquant seulement que le défendeur à une instance en radiation s'en remet à la justice ne peut être considérée comme constatant le consentement du créancier à la radiation car il ne dispense pas le juge d'examiner le bien fondé de la demande. (Cass. civ., 19 novembre 1968 ; Bull. civ. n° 283 ; D. 1969, 57.) Une telle décision doit dès lors être exécutée comme une décision judiciaire. (Bull. A.M.C., art. 910.)

V. - SOLUTIONS PRECONISEES

Les principaux cas qui peuvent se présenter en matière de radiations judiciaires sont les suivants :

A. - Radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ou de son renouvellement

Radiation prononcée par ordonnance de référé.

Radiation à effectuer dès la présentation de l'ordonnance sauf si celle-ci a été prise en conséquence du désistement ou de la péremption de l'instance sur l'exigibilité de la créance ou du désistement de l'action au fond engagée par le bénéficiaire de l'inscription.

Dans ces dernières hypothèses, radiation à opérer seulement sur le dépôt de l'ordonnance accompagné d'un certificat de non-opposition ou appel.

Radiation prononcée par jugement du Tribunal de Grande Instance dont l'exécution provisoire n'a pas été ordonnée..

Adopter la même attitude que pour les jugements ordonnant sans exécution provisoire, la radiation d'une inscription autre qu'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ou de son renouvellement car il est possible de soutenir que le tribunal ne s'est pas prononcé dans le cadre des art. 54 et 55 du Code de procédure civile attribuant compétence au juge des référés.

Radiation prononcée par jugement du Tribunal de Grande Instance avec exécution provisoire.

Là encore et pour le même motif, suivre les mêmes règles que celles qui vont être indiquées pour les jugements ordonnant avec exécution provisoire, la radiation d'une inscription autre qu'une inscription judiciaire provisoire.

Radiation prononcée par arrêt de la Cour d'Appel.

Effectuer, dans tous les cas, la radiation sur le simple dépôt de l'arrêt.

B. - Radiation des autres inscriptions.

Radiation prononcée par ordonnance de référé.

Refuser de radier au vu dune telle ordonnance qui n'a pas l'autorité de la chose jugée, même si l'ordonnance est accompagnée d'un certificat de non-opposition ou appel.

Distinguer, toutefois, cette hypothèse de celle qui sera examinée plus loin, où le juge des référés statue sur la difficulté d'exécution d'un jugement de radiation et du cas qui ne devrait pas se produire en fait, où le juge des référés aurait statué sur un rejet de formalité.

Radiation prononcée par jugement du Tribunal de Grande Instance dont l'exécution provisoire n'a pas été ordonnée..

Que le conservateur ait ou non été partie à l'instance, il faut attendre, pour radier, qu'il soit établi (pratiquement par le dépôt d'un certificat de non-opposition ou appel émanant du greffier ou de l'avocat) que le jugement soit passé en force de chose jugée.

Observer cette attitude même si l'inscription à radier est une inscription d'hypothèque judiciaire définitive.

Radiation prononcée par jugement du Tribunal de Grande Instance avec exécution provisoire.

Faire une distinction selon que le conservateur a ou non été partie à l'instance.

a) Conservateur partie à l'instance

La prudence commande d'exécuter immédiatement, en vertu du principe de la chose jugée, le jugement intervenu avec exécution provisoire, en présence du conservateur, que l'ordre de radier donné par les juges soit ou non assorti d'une astreinte.

b) Conservateur non partie à l'instance

Il semble encore possible, malgré la tendance actuelle de la jurisprudence, de s'opposer à la radiation tant qu'il n'est pas établi que le jugement est passé en force de chose jugée.

Mais, si le juge des référés compétent pour trancher les difficultés d'exécution du jugement, enjoignant au conservateur de procéder à la radiation, il serait prudent d'exécuter son ordonnance même si elle n'était pas assortie d'une astreinte.

Cette manière d'opérer devrait être suivie également si, l'une des parties ayant fait appel du jugement, une ordonnance du premier président de la Cour d'appel intervenait pour enjoindre au conservateur de radier.

Radiation prononcée par arrêt de la Cour d'Appel.

Effectuer, dans tous les cas, la radiation sur le simple dépôt de l'arrêt.

Voir AMC n° 1416, 1379.