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ARTICLE 385

RADIATIONS.

Hypothèque judiciaire. - Inscription provisoire.
I. - Radiation ordonnée, en dehors des cas prévus aux art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile, par le juge qui a autorisé l'inscription. - Exécution.
II. - Exécution provisoire ordonnée.
Radiation impossible avant que l'ordonnance soit passée en force de chose jugée.

L'art. 54 du Code de Procédure civile (loi n° 55- 1475 du 12 novembre 1955, art. 2, modifié par la loi n° 57-115 du 6 février 1957, Bull. A.M.C.. art. 237 et 282), "qui régit les inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire, habilite dans certains cas, le juge qui a autorisé l'inscription à en ordonner la mainlevée. Ce magistrat peut ordonner la mainlevée d'une inscription provisoire :

1° Lorsqu'une inscription définitive n'a pas été requise dans les deux mois du jour où la décision statuant sur le fond a acquis l'autorité de la chose jugée (art. 54 susvisé, 5° al.);

2° Au cas de désistement ou de péremption d'instance ou au cas de désistement d'action (art. 54, 6° al.)

3° Lorsque la créance n'a pas été reconnue par le jugement statuant au fond (art. 55 C. Proc. civ.) et que celui-ci n'a pas ordonné la radiation;

4° Lorsqu'il y a lieu de limiter les effets de l'inscription à certains immeubles parce que la valeur des immeubles grevés excède le double de la somme garantie par l'inscription provisoire (art. 54, dern. al.).

Si, en dehors de ces quatre hypothèses, le juge ordonne la radiation d'une inscription qu'il a autorisé, le conservateur peut-il exécuter la décision ?

Dans un article de la Semaine juridique (J.C.P. 1958-IV-2627), M. Masounabe-Puyanne, président d'honneur de l'A.M.C., répond à cette question par l'affirmative.

Mais, ajoute-t-il, pour être suivie d'exécution l'ordonnance de radiation doit être passée en force de chose jugée; elle ne peut faire l'objet d'une exécution provisoire, même si celle-ci est ordonnée par le juge.

Il nous a paru intéressant de publier les considérations sur lesquelles notre collègue fonde son opinion et qui sont les suivantes :

" Le tiers qui n'exécute une décision judiciaire qu'après justification qu'elle est passée en force de chose jugée ne peut être recherché utilement pour ce motif quelles que puissent être les nullités dont la décision est atteinte (V. notre étude : J.C.P. 1955, I, 1227. - Jacquet et Vétillard, p. 400. Cass. 22 février 1876; S. 1876, I, 168. - Cass. 13 novembre 1952; D. 1953, 113).

" Par ailleurs, il ne saurait être enjoint au conservateur " de procéder à la radiation dans des conditions autres que les conditions légales " (Trib. civ. Seine 12 juin 1941; J.C.P. 1942, II, 1891) et notamment, le juge des référés ne peut, par une nouvelle ordonnance, enjoindre un tiers d'exécuter une ordonnance sans les justifications prescrites (Trib. Seine, Réf. 26 décembre 1936 : Journ. conserv., 12120).

" En effet, il n'est gère plus discuté que l'article 548 du Code de Procédure civil qui régit l'exécution des jugements par ou contre les tiers, et indépendant de l'article 135 du même Code, lequel permet au juge d'ordonner l'exécution provisoire des jugements. Loin d'être modifié par celui-ci, il en constitue une dérogation formelle, tant par la place qu'il occupe (livre 3° et non livre 2°) que par son objet et la. généralité, cependant précise, de ses termes.

" Les justifications dont il impose aux tiers la demande (le texte dit : " ne seront exécutoires par les tiers " et non qu'il les autorise simplement à demander) ont pour objet d'éviter le préjudice qui pourrait résulter d'une " exécution faite au mépris des voies de recours ordinaires encore possibles. Elles sont suffisamment précises pour donner aux tiers la certitude que la décision, dont l'exécution leur est demandée, a le caractère définitif nécessaire pour couvrir leur responsabilité (Cass. civ. 25 mai 1841; D. 1841, 1, 229; Journ. conserv. 21. - Grenoble 8 février 1849 : Journ. conserv. 558. Cass. civ. 9 juin 1858 : D. 1859, 1, 246. - Cf. Cass. ch. réun. 13 janvier 1859 : D. 1859, 1, 6; Journ. conserv. 1434. - Paris 24 février 1942 : D. C. 1944, 29. - Etude J.C.P. 1955, I, 227. - Jacquet et Vétillard, p. 424).

" D'autre part, quoique le nouvel article 135 a du Code de Procédure Civile (L. 23 mai 1942) ait donné à l'exécution provisoire une portée d'application presque générale, on décide néanmoins (toujours en raison de l'indépendance de l'article 548 du Code de Procédure civile) que son application n' " implique l'existence constatée d'une situation particulière des parties ou de circonstances propres à la cause débattue, de nature à justifier une dérogation à la règle générale de l'effet suspensif de l'appel " (Paris 29 mai 1954 : D. 1954, 525). D'ailleurs, cet article ne permet pas d'autoriser l'exécution provisoire lorsque cette mesure est interdite par un texte (ce qui est le cas de l'article 548 du Code de Procédure civile), ou lorsqu'elle est exclue par la nature de l'affaire (Civ. sec. Com., 26 juillet 1948 : D. 1948, 568) (ce qui est le cas de la radiation d'une inscription hypothécaire).

" En ce qui concerne le jugement ordonnant une radiation, ces motifs sont d'autant plus applicables qu'ils puisent une partie de leur force dans les textes particuliers à cette formalité. C'est en effet l'article 2157 du Code civil qui subordonne formellement la radiation judiciaire. à un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée. Or, dans l'opinion généralement admise, cette expression signifie que le jugement ne doit plus être attaquable par les voies ordinaires de recours : opposition ou appel (Garsonnet et Cézar Bru, II, 1134. --Becqué et Bulté, J.-Cl. civil, art. 2157-2160, n. 151. - Etude J.C.P. 1955, I, 1227. - Jacquet et Vétillard, p. 424. - Cass. req. 7 mai 1935 : Journ. conserv., 11627).

" D'un autre côté, l'article 548 du Code de Procédure civile vise expressément le cas des jugements prononçant une mainlevée ou une radiation d'inscription hypothécaire, ce qui enlève tout motif de contestation, de sorte que (comme le fait ressortir le conseiller Troplong dans son rapport à l'occasion de l'arrêt du 25 mai 1841 précité) il y a harmonie parfaite entre l'article 2156 du Code civil et l'article 548 du Code de Procédure, civile puisque " ce que l'article 548 dit, d'accord avec l'article 2157, de la radiation de l'inscription, il le dit aussi des mainlevées des payements ou autres choses à faire par des tiers ".

" Il s'ensuit que ces deux textes interdisent l'exécution provisoire d'un jugement ordonnant une radiation (si le conservateur n'a pas été partie en l'instance). Car ce serait en transgresser la lettre et l'esprit que d'exécuter le jugement alors que ne sont pas expirés les délais fixés pour l'exercice des voies ordinaires de recours (Trib. civ. Seine, 18 juillet 1950 : J.C.P. 50, II, 78T, note Preney et Bulté; Journ. not. 43441, et notre note).

" Comme il est dit supra, on ne peut pas non plus ordonner l'exécution provisoire en invoquant l'article 135 a du Code de Procédure civile puisque celui-ci l'interdit lorsqu'elle est exclue par la nature de l'affaire et que, même avant que ce texte contienne cette conclusion, l'exécution provisoire des jugements ordonnant une radiation n'était pas admise précisément en raison du préjudice irrémédiable, qu'une radiation prématurée pouvait causer au créancier (perte certaine de rang et perte possible de la créance) (V. notre note sous Aix, 21 juillet 1953 : J.C.P. 1954, Il, 7932).

" Peu importe par conséquent que, comme en l'espèce, le juge ordonne l'exécution provisoire de son ordonnance et qu'il fixe les conditions de la radiation; dès lors qu'il n'appuie pas et ne peut appuyer son injonction sur un texte formel, celle-ci ne doit pas être obéie par le conservateur car elle est sans force obligatoire à son égard.

" Certes, il est exact que d'après l'article 48 du Code de Procédure civile, l'ordonnance du président autorisant la saisie conservatoire est déclarée exécutoire sur minute, nonobstant opposition ou appel, mais il n'en est pas ainsi de toutes les ordonnances prévues par la loi du 23 mai 1942. Précisément, l'article 54, qui fixe les cas exceptionnels où le juge des référés peut ordonner la radiation de l'inscription provisoire, indique expressément que " la radiation en sera opérée sur le dépôt de son ordonnance passée en force de chose jugée ", expression qui, comme il a été dit, est exclusive de toute exécution provisoire. D'ailleurs, le fait que l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire n'est déclarée exécutoire que " nonobstant opposition ou appel " est interprété comme admettant ces voies de recours (Raynaud et Madray : J.C.P. 1956, I, 1320, n,. 23; Giverdon : D. 1956, L., p. 503, n. 19).

" Ces exceptions privent l'article 48 du caractère de généralité qu'on voudrait lui attribuer, de sorte que faute de dérogation sur ce point, au droit commun, le conservateur a le droit et le devoir de n'exécuter l'ordonnance de radiation que sur le dépôt et de l'expédition de l'ordonnance et des certificats de non-opposition ni appel, délivrés à l'expiration du délai. délai qui est de quinze jours du jour de la signification en matière de référé (C. Proc. civ., art. 809).

" D'après M. Bulté (J.C.P., 56, IV, 2132, n. 6), seule l'ordonnance rendu contradictoirement serait susceptible d'appel et pourrait acquérir l'autorité de la chose jugée. Il appuie son opinion sur la jurisprudence d'après laquelle l'appel ne serait pas possible lorsque l'ordonnance a un caractère gracieux pour avoir été rendue hors la présence du débiteur. A notre avis, ce cas ne peut se présenter en matière de radiation d'inscription puisque toujours, faute de dérogation expresse, la radiation ne peut être régulièrement ordonnée que si l'inscrivant a été mis en cause.

" Il n'existe pas, en effet, en l'espèce, de texte permettant la radiation d'office tel que l'article 5 du décret n° 56-112 du 24 janvier 1956 (et sur ce point la question est controversée : V. Chron. hyp. Bulté et Poirier; J.C.P. 58, IV. 2607). L'inscrivant reste donc le contradicteur normal et obligé du requérant quel que soit le motif de la demande de radiation (péremption de l'instance ou de l'inscription); qu'elle soit principale (nullité de l'inscription) ou incidente (rétractation de l'ordonnance); et cela tant parce que cette demande est susceptible de le priver d'un droit acquis, que parce qu'il peut avoir des moyens propres à faire valoir; ou, qu'en principe, il dit faire les frais de la radiation (C. Proc. civ., art. 54). L'article 51 du Code de Procédure civile suppose d'ailleurs cette mise en cause en décidant que c'est au domicile élu par le créancier que le débiteur aura le droit de faire toutes les significations jusqu'à constitution d'avoué.

" Pour ces divers motifs, il est indiscutable que l'inscrivant qui n'est pas mis en cause a le droit de former opposition à l'ordonnance qui - quel qu'en soit le motif - porte mainlevée de son inscription provisoire (Giverdon, loc. cit., n° 19) de même, s'il est mis en cause, il a le droit de faire appel s'il estime qu'elle est injustifiée. En aucun cas, l'ordonnance ne peut donc avoir, à son égard, le caractère gracieux et, sans son agrément, l'inscrivant ne peut pas être laissé hors d'instance pour ce motif, car le domaine de la juridiction gracieuse est déterminé par une demande qui ne doit appeler aucune contradiction et ne peut donner lieu à aucune contestation de la part des tiers (L. 15 juillet 1944, art, 2. - Hébraud : D. 1956, 1., p. 335) et non point par l'absence d'adversaire mis en cause.

" En résumé, si on peut admettre que la loi du 12 novembre 1955 a institué un cas d'exécution légale qui ne peut être arrêté (Raynaud et Madray, loc. cit., n° 25), il y a cependant des exceptions dont font partie les ordonnances portant mainlevée à titre principal ou accessoire de l'inscription provisoire. Le conservateur ne doit par conséquent les exécuter qu'après justification, conformément au droit commun, qu'elles ont acquis la force de chose jugée.

" Cette justification fournie, sa responsabilité est à couvert de sorte qu'il n'a pas à prendre part à la controverse existant sur le point de savoir dans quels cas le juge des référés est ou non compétent pour rétracter son ordonnance (V. Giverdon, loc. cit., n° 47. - Raynaud et Madray, loc. cit., n° 26 - Trib. civ. Toulouse, Réf., 27 janvier 1956 : D. 1956, 494. - Trib. civ. Seine 9 mars 1956 : D. 1956, 494, note Giverdon, et note E. M. sous Seine 9 mars 1956 : J.C.P. 1956, II, 9247).

" Toutefois, ce qui est certain, c'est que lorsque le juge est compétent pour rétracter son ordonnance, il l'est également pour ordonner, en conséquence, la radiation de l'inscription provisoire qu'il avait autorisée. On doit appliquer, dans ce cas, la règle traditionnelle de procédure d'après laquelle le juge compétent pour la demande principale l'est également pour les demandes indivisibles ou connexes (Nouv. Rép. prat. D., V° Compétence civile, n° 31. - Becqué et Bulté, loc. cit., n° 134. - Précis Chambaz, Masounabe, 2° éd., n° 1361-3°. - Jacquet et Vétillard, p. 373). "

Observations. - Aux décisions qui reconnaissent que l'autorité de la chose jugée s'attache même aux jugements rendus par un tribunal incompétent, add. : Cass. civ. 13 novembre 1957, Rev. de l'Enreg., art. 13436.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 1372, 1384 bis A (feuilles vertes). Précis Chambaz, Masounabe et Leblond, n° 1361, 1384 bis A. - Jacquet et Vétillard, p. 373.