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ARTICLE 1077

PROCEDURE.

Refus de radier. - Contestation.
Procédure instituée par l'art. 26 du décret du 4 janvier 1955, inapplicable.

RADIATIONS.

Mainlevée judiciaire :
I. - Radiation prescrite par une ordonnance de référé.
Exécution impossible.

II. - Radiation prescrite par une ordonnance du Président du tribunal statuant en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile.
Exécution possible.
III. - Décision de justice ordonnant la radiation non passée en force de chose jugée.
Art. 2157 du code Civil non abrogé par le décret du 28 août 1972.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS (14° ch., section A) DU 17 NOVEMBRE 1976

Faits. - En 1975, le Président du Tribunal de Grande Instance de Chartres, statuant sur un litige entre parties, a rendu une ordonnance prescrivant la radiation d'une inscription de privilège de vendeur, prise au profit de Mme Georges, contre les époux Albano.

Requis de procéder à cette radiation, le Conservateur s'y est refusé, objectant que le Président du Tribunal, statuant comme juge des référés, est incompétent pour ordonner la radiation d'une inscription de privilège ou d'hypothèque, étant donné que les ordonnances de référé, qui ont un caractère provisoire et ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée, ne satisfont pas aux exigences de l'art. 2157 du Code Civil.

A la suite de ce refus, les époux Albano ont assigné le Conservateur devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Chartres, en vue de le faire condamner à procéder à la radiation requise.

Statuant sur cette demande, par une ordonnance du 16 avril 1976, le Président " tenant l'audience des référés " a prescrit au Conservateur de radier l'inscription en cause dans les huit jours de la signification de sa décision et à condamné notre collègue aux dépens.

Ce dernier a interjeté appel contre cette ordonnance et, par un arrêt du 17 novembre 1976, a pour la Cour d'Appel de Paris a accueilli ce recours et, infirmant l'ordonnance attaquée, a débouté les époux Albano de leur demande.

Cet arrêt est ainsi motivé :

" La Cour...

" Considérant que les intimés ont expressément saisi le Juge des référés sur le fondement de l'article 26 du décret du 4 janvier 1955, lequel énonce : " En cas de rejet d'une formalité de publicité par application des articles 2148, 2149 et 2154 nouveaux du Code Civil, le recours de la partie intéressée contre la décision du Conservateur des Hypothèques est portée, dans les huit jours de la notification de cette décision, devant le Président du Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel sont situés les immeubles. Il est statué comme en matière de référé. L'ordonnance du Tribunal de Grande Instance n'est pas susceptible d'exécution provisoire. En cas d'exercice des voies de recours, il est statué par priorité et d'extrême urgence. Dès que la décision du Juge des Référés est passée en force de chose jugée, la formalité litigieuse est, suivant le cas, soit définitivement rejetée, soit exécutée dans les conditions ordinaires, son effet remontant alors à la date du dépôt. "

" Mais considérant que le Conservateur fait valoir, à juste titre, que le refus qu'il a opposé à la demande de radiation qui lui était présentée par les époux Albano ne relève pas de l'application dudit texte lequel n'est afférent qu'au cas de rejet d'une des formalités limitativement énumérées audit article et ne concerne, en rien, la radiation des inscriptions prévues à l'article 2157 du Code Civil ;

" Qu'il s'ensuit que l'instance introduite par les époux Albano devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Chartres " tenant l'audience des référés " obéit aux règles posées par les articles 484 et suivants, 808 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile et que, dès lors, le moyen formulé par le Conservateur selon lequel le premier Juge a excédé sa compétence s'analyse, non comme une exception d'incompétence au sens des articles 75 et suivants du même Code, mais seulement en une contestation au sens de l'article 808 précité ; qu'un tel moyen peut donc être soulevé pour la première fois en cause d'appel ;

" Considérant, par ailleurs, que le Conservateur soutient, encore, à juste titre, qu'étant ' gardien des inscriptions " et personnellement responsable de leurs radiations, il a le devoir de n'opérer celles-ci qu'à bon escient et, par suite, de rechercher si les conditions de fond proposées par l'article 2157 du Code Civil pour opérer ces radiations sont ou non réunies et, notamment, si la décision judiciaire qui lui est présentée pour ce faire constitue bien " un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée " ;

" Or, considérant d'une part, que la radiation d'une inscription de privilège du vendeur ne peut être ordonnée qu'après examen du fond et ne peut être une oeuvre provisoire ; que, d'autre part, les ordonnances de référé sont, aux termes des articles 484 et 488 du nouveau Code de Procédure Civile des décisions provisoires qui n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée ;

" Considérant, en outre, que la compétence exceptionnelle en matière de mainlevée et de radiation d'hypothèque du Président du Tribunal de Grande Instance du Juge d'Instance est limitée par l'article 54 du Code de Procédure Civile à l'inscription provisoire d'hypothèque Judiciaire et ne saurait s'étendre à une inscription définitive telle que celle du 10 juin 1974 ;

" Considérant enfin que si l'article 63 du décret du 28 août 1972 repris par l'article 506 du nouveau Code de Procédure Civile dispose, il est vrai, que les radiations de sûretés sont valablement faites au vu de la production d'un jugement sans autre justification lorsque celui-ci est exécutoire, il n'en demeure pas moins que ce texte ne déroge en rien aux dispositions particulières à certaines matières et, notamment, à celles de l'article 2157 du Code Civil, lequel est demeuré en vigueur ;

" Considérant que, dans de telles conditions, la contestation du Conservateur tirée de ce que les conditions prévues par l'article 2157 du Code Civil n'étaient pas, en l'occurrence, réunies pour opérer la radiation sollicitée, est sérieuse ;

" Que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'apprécier les autres moyens proposés par Lamare, ès qualité à l'appui de son appel, il apparaît que ledit appel est justifié ; qu'il échet donc d'y faire droit ;

" Par ces motifs

" Déclare Lamare, pris en sa qualité de Conservateur des Hypothèques de Chartres, recevable et bien-fondé en son appel ;

" Y faisant droit, infirme l'ordonnance entreprise et statuant nouveau :

" Déboute les époux Albano de leur demande et les renvoie à se pourvoir au principal ;

" Les condamne aux dépens de référé et d'appel "

Observations. - I. - Pour prétendre que le Président du Tribunal devant lequel ils avaient assigné le Conservateur était compétent pour connaître du litige, les débiteurs se fondaient sur l'art. 26 du décret du 4 janvier 1955.

Or cette disposition, dont les termes sont reproduits dans l'arrêt, investit le Président du Tribunal d'une compétence exceptionnelle et doit, par suite, être interprétée restrictivement.

Tout d'abord elle ne vise que les rejet de formalités et n'est pas applicable lorsqu'il s'agit d'un refus de dépôt (Bull. A.M.C., art. 290, 327, 328 et 972).

De plus, elle ne concerne que les formalités visées aux art. 2148, 2149 et 2154 du Code Civil, c'est-à-dire les inscriptions et les mentions en marge des inscriptions et, en raison de la référence à l'art. 26 contenue dans l'art. 34-3 du même décret, les publications.

Pour ce double motif, la procédure spéciale établie par l'art. 26 du décret du 4 janvier 1955 est inapplicable lorsque la contestation a pour objet le refus du Conservateur de procéder à la radiation d'une inscription.

C'est ce que décide l'arrêt susvisé.

II. - Le même arrêt consacre, en outre, sur d'autres points, des interprétations que nous avons défendues et dont certaines ont d'ailleurs été déjà approuvées par des décisions de justice.

Il reconnaît en effet :

1° Que les ordonnances de référé, ayant toujours le caractère provisoire et n'ayant pas l'autorité de la chose jugée, ne peuvent valablement prescrire la radiation d'une inscription d'hypothèque ou de privilège, une telle radiation ne pouvant être une mesure provisoire (Bull. A.M.C., art. 957, 1011 et 1056);

2° Qu'en vertu de la compétence exceptionnelle que lui donne l'art. 54 du Code de Procédure Civile, le Président du Tribunal peut ordonner seulement la radiation des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoire (Cass. Civ. 3°, 15 mai 1974, Bull. A.M.C., art. 1022). On rappelle toutefois que les ordonnances rendues en exécution de cette disposition sont revêtues de l'autorité de la chose jugée et doivent par suite être exécutées sans qu'il y ait à rechercher si le magistrat qui les a rendues a ou non agi dans les limites de sa compétence (Bull. A.M.C., art. 385, 594, 910 et observ. sous 1022, § II) ;

3° Que l'art. 63 du décret du 28 août 1972 (nouveau Code de Procédure Civile, art. 506), aux termes, duquel les radiations de sûretés sont valablement effectuées sur la seule production d'une expédition ou d'un extrait du jugement qui les ordonne, si celui-ci est exécutoire par provision, ne déroge pas à l'art. 2157 du Code Civil qui exige, pour la radiation d'une inscription de privilège ou d'hypothèque, prescrite par un jugement, que celui-ci soit passé en force de chose jugée (Bull. A.M.C., art. 913 § I ; C. Pau, 30 avril 1974, Bull. A.M.C., art. 988 ; C. d'Aix-en-Provence, 1er octobre 1974, Bull. A.M.C., art. 1011).

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 490 A.r.d. (feuilles vertes), 1361-4°, 1372 et 1384 bis A (feuilles vertes). - Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 6, 37 et 43.