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ARTICLE 1551

RADIATIONS.

Mainlevée judiciaire.
Ordonnance de référé d'un président de tribunal de commerce ordonnant la radiation d'inscriptions.
Unique créancier inscrit ni appelé, ni entendu.
Radiation subordonnée à l'acquiescement de ce créancier.

Question : Dans le cadre de la procédure du régime général de redressement ouverte par jugement du 13 avril 1990 à l'encontre de la société X..., un deuxième jugement rendu le 12 juillet 1990 par le tribunal de commerce de Y... a arrêté le plan de redressement organisant la cession totale de ladite société, en fixant les conditions de cette cession qui porte sur divers biens immobiliers. Un troisième jugement du 18 octobre 1991 constate que le plan de cession de la société X... a été intégralement exécuté et le prix complètement payé entre les mains du commissaire à l'exécution du plan de cession, et dit que " les inscriptions grevant le bien compris dans ladite cession se trouvent purgées et que le prix sera réparti par le commissaire entre les créanciers privilégiés suivant leur rang ". Enfin, dans une ordonnance rendue le 8 novembre 1991, le Président du même tribunal donne " mission expresse " au commissaire à l'exécution du plan de cession " de requérir la radiation des inscriptions grevant les immeubles suivants ". Aucun appel n'a été formé à l'encontre de ces jugements.

Une demande de mainlevée des inscriptions de privilège de prêteur de deniers et d'hypothèque conventionnelle grevant les immeubles vendus et prises au profit de l'unique créancier, la banque Z... - demande accompagnée des jugements et ordonnance susvisés - a été déposée le 11 janvier 1992 par un avocat, mandaté à cet effet par le Commissaire à l'exécution du plan.

Le conservateur a opposé un refus au motif que l'ordonnance du 8 novembre 1991 ne faisait pas elle-même la preuve de son opposabilité au créancier. Cette position est-elle fondée ?

Réponse : Réponse affirmative. Le pouvoir de radier les inscriptions est conféré traditionnellement aux agents publics désignés à l'article 3 de la loi du 21 ventôse an VII comme étant " les préposés de la régie à la conservation des hypothèques " ; dans la rédaction actuelle du code civil, il trouve son fondement légal dans l'article 2158 de ce code. La radiation consiste à retrancher de la documentation dont ces agents ont la garde et qui est accessible " à tous ceux qui le requièrent " (code civil, art. 2196), le signe matériel du droit réel d'hypothèque ou de privilège ; elle n'entraîne pas par elle-même la suppression de ce droit et, à l'inverse, elle doit, si elle est requise, être opérée en suivant les règles énoncées au chapitre V du titre XVIII du livre troisième du code civil (art. 2157 à 2165), même si ce droit s'est éteint pour l'une des causes énumérées à l'article 2180 formant le chapitre VII du même titre et donc, notamment, en cas de purge des biens acquis par des tiers détenteurs.

Or, il ressort des dispositions de l'article 2157 du code déjà cité, demeurées inchangées depuis 1804, qu'à défaut du consentement des parties intéressées constaté dans un acte authentique, les inscriptions ne peuvent être radiées qu'" en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ".

Par suite, lorsqu'un conservateur est requis d'exécuter un jugement de radiation, il lui incombe tout d'abord de s'assurer que l'ordre de radier est exprimé en termes clairs et qu'il comporte des éléments d'identification permettant de déterminer sans hésitation l'inscription qu'il concerne. Puis, il lui appartient de rechercher si la chose jugée a autorité à l'égard de la partie intéressée - c'est-à-dire de celle apparaissant dans les archives du bureau comme le bénéficiaire de la sûreté - et donc de s'assurer que le créancier inscrivant (ou son subrogé) a été entendu ou du moins appelé et aussi que la décision de justice lui a été notifiée de sorte qu'elle peut être exécutée contre lui (N.C.P.C., art. 503). Enfin, lorsqu'il n'a pas été statué contradictoirement ou en dernier ressort, un certificat de non-opposition ou de non-appel doit être exigé puisque d'après l'article 500 du nouveau code de procédure civile, a force de chose jugée le jugement qui n'est pas ou n'est plus susceptible d'un recours suspensif d'exécution ; il en est ainsi alors même que l'exécution provisoire aurait été ordonnée. (Cass. Civ. 3°, 19 octobre 1988, Bull. A.M.C., art. 1416).

Appliqués à l'espèce, ces principes conduisent à refuser de voir un jugement prescrivant les radiations demandées dans celui rendu le 18 octobre 199l par le tribunal de commerce de Y... ; en effet, les juges consulaires s'y sont bornés à décider " que les inscriptions grevant les biens compris dans ladite cession se trouvent purgées et que le prix sera réparti entre les créanciers privilégiés suivant leur rang ".

Quant à l'ordonnance du Président du tribunal en date du 8 novembre 1991, rendue à la requête de l'acquéreur, elle investit le commissaire à l'exécution du plan de cession de la mission de requérir la radiation des inscriptions grevant les immeubles vendus. Aussi, paraît-elle pouvoir être regardée comme emportant virtuellement injonction de radier; en revanche, elle ne fait pas la preuve de son opposabilité à la partie intéressée, laquelle, d'après les bordereaux d'inscription conservés au bureau, est une banque.

C'est pourquoi, cette décision juridictionnelle, sans naturellement qu'il y ait lieu de s'interroger sur son mérite, ni sur sa régularité, ne peut constituer un titre efficace de nature à permettre au conservateur de radier qu'à condition que le créancier y acquiesce.