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ARTICLE 1766

PUBLICITE FONCIERE

Publication d’un commandement valant saisie de plusieurs lots de copropriété

1) Effet relatif - Constatation lors du rapprochement avec le fichier de la sortie de certains de ces lots du patrimoine du débiteur saisi

2) Exception au principe selon lequel le rejet concerne l'ensemble de la formalité dont la publicité est equise

Validité du rejet partiel

Ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Montpellier du 2 octobre 1997

Faits : La décision attaquée par la SA C...L... devant le président du tribunal de grande instance de Montpellier emporte rejet partiel de la publicité d’un commandement de saisie délivré par cette banque à l’un de ses débiteurs. Ce commandement où 19 lots de copropriété sont désignés a été signifié le 27 juin 1997 à la SCI T...; il a été remis le 15 juillet suivant au bureau des hypothèques et inscrit ce jour là sur le registre des dépôts.

Mais lors du contrôle de la concordance du document déposé avec les documents publiés, tels qu’ils sont répertoriés sur les fiches, il fut constaté que 6 de ces lots avaient été vendus par le propriétaire saisi.

En conséquence, se fondant sur la jurisprudence résultant de l’arrêt de cassation du 12 juin 1996 ( Bull. A.M.C., art. 1764 ), le conservateur a relevé qu’au sens du second alinéa du 1 de l’article 32 du décret du 14 octobre 1955, le saisi n’était pas " le disposant ou dernier titulaire de ces lots ".

Or, pour eux comme pour les 13 autres, il apparaissait comme tel dans le document à publier si bien qu’il s’ensuivait une discordance et que celle-ci faisait obstacle à la publication.

Toutefois, considérant que l’anomalie ainsi constatée touchait à la désignation des lots concernés, notre collègue, comme il est prescrit au 4ème alinéa du 4 de l’article 74 du décret déjà cité, a limité le rejet à ces 6 lots. La décision ayant cet objet a été reçue le 26 août 1997 par le signataire du certificat d’identité et, le 2 septembre, le conservateur a été assigné.

Dans cette assignation, faite impersonnellement, il est demandé au Président du T.G.I. statuant en matière de référé d’ordonner la publication du commandement en tant " qu’il vise les lots n° 64, 142, 165, 195, 222 et 232, propriété de la S.C.I. T... ".

A cette fin, il est exposé à titre principal que la motivation du rejet est inopérante " dans la mesure où sur les fiches d’immeubles obtenues auprès de la conservation des hypothèques par la SA C...L..., les lots n° 64, 142, 165, 222 et 232 n’apparaissent pas vendus ". Il est fait valoir, au surplus, qu’à supposer que les lots en cause aient été effectivement vendus, " le poursuivant a le plus grand intérêt à publier, après sommation utile de délaisser aux éventuels tiers détenteurs ".

Le défendeur a répliqué en affirmant que les six lots avaient été vendus suivant quatre actes notariés dressés entre le 27 novembre 1995 et le 31 juillet 1996 et a justifié que ces aliénations avaient été publiées en produisant les fiches sur lesquelles elles sont consignées. De là, il a été déduit que la requête du créancier était dénuée de fondement et il a été demandé son rejet ainsi que l’allocation d’une indemnité de 5 000 F. au titre de l’article 700 N.C.P.C.

En réponse, le demandeur s’est plaint des erreurs qui, selon lui, auraient été commises dans la fiche générale dont une copie lui avait été délivrée et il a insisté pour que le commandement soit publié en son entier dès lors qu’il a été déposé à l’appui ou en vue d’une sommation faite au tiers détenteur.

Puis, il a conclu non seulement à ce que lui soit alloué " le bénéfice de son exploit introductif d’instance " mais encore qu’il soit enjoint au conservateur " sous tels délais utiles, voire sous astreinte, de lui communiquer les référence du dépôt de la réquisition de publication du commandement du 27 juin 1997 sur les lots 64, 142, 165, 195, 222 et 232 de la copropriété résidence T... et, en toute hypothèse, sur le surplus des lots visés dans ce commandement pour lesquels une décision implicite d’admission a été rendue ".

Dans ses " conclusions responsives ", le conservateur:

- objecta que la demande complémentaire de communication était irrecevable et non fondée;

- démontra que la fiche générale dont copie avait été délivrée le 19 novembre 1996 ne comportait aucune erreur;

- enfin, remarqua qu’ " un éventuel commandement à la SCI T... (portant sur les six lots de copropriété en cause) ne pourra être publié qu’avec sommation de payer ou de délaisser qui aurait été notifiée aux actuels propriétaires des biens immobiliers dont s’agit ".

Statuant le 2 octobre 1997 sur les prétentions respectives des parties, le magistrat qui en avait été saisi débouta entièrement la banque demanderesse par les motifs et dans le dispositif reproduits ci-après:

" Attendu que c’est à bon droit que Monsieur T..., conservateur des hypothèques de ... conclut car il est le conservateur des hypothèques en exercice assigné par le C...L... et répond personnellement de la gestion de la conservation des hypothèques;

Attendu que l’assignation en contestation du rejet de publication délivrée en application de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955 n’autorise pas le C...L... à formuler des demandes autres que celles prévues par cette procédure particulière; que, dès lors, la demande de communication sous astreinte des références du dépôt de publication présentée par conclusions complémentaires n’est pas recevable;

Attendu que la contestation du rejet de publication présentée par le C...L... apparaît manifestement infondée car s’il a requis le 10/7/97 la publication du commandement délivré le 27/06/97 et portant sur tous les lots de l’immeuble appartenant à la SCI T..., il a précisé par une attestation du 4/08/97 que les lots n° 64, 142, 165, 195, 222 et 232 qui ont été vendus étaient exclus de la saisie; que le commandement a, dès lors, été publié en excluant ces dits lots;

Attendu que le C...L... ne peut donc reprocher au conservateur des hypothèques de n’avoir pas publié le commandement pour ces lots exclus;

Attendu qu’il n’est pas contesté de plus que ces lots ont été vendus et n’appartiennent plus à la SCI T...;

Qu’en vertu des dispositions de l’article 34-3 du décret du 14 octobre 1955, le conservateur ne pouvait procéder à la publication du commandement portant sur des lots ayant fait l’objet d’une mutation publiée et n’appartenant plus à la SCI T..., débitrice sur les biens de laquelle le C...L... avait inscrit une hypothèque;

Attendu que le commandement ne pourra être publié sur les lots 64, 142, 165, 195, 222 et 232 qu’avec sommation de payer ou de délaisser délivrée aux actuels propriétaires en application de l’article 2169 du code civil;

Attendu qu’en application de l’article 700 NCPC, il est équitable d’allouer à Monsieur T..., conservateur des hypothèques de M... la somme de 3 000 F;

PAR CES MOTIFS

Nous , Président,

Statuant en la forme des référés, par décision contradictoire, en premier ressort, et à charge d’appel,

Déboutons la SA C...L... de son recours et des fins de son assignation du 2/09/1997;

Déclarons irrecevables ses autres demandes;

Condamnons la SA C...L... à payer à Monsieur T..., conservateur des hypothèques de ... , la somme de 3 000 francs ( 3 000 F ) en application de l’article 700 du NCPC;

La condamnons également aux dépens ".

OBSERVATIONS : Selon le second alinéa du paragraphe 1 de l’article 32 du décret du 14 octobre 1955 " le disposant ou dernier titulaire au sens de l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 s’entend de la personne dont le droit se trouve transféré, modifié, confirmé, grevé ou éteint - ou est susceptible de l’être - avec ou sans son consentement, par la formalité dont la publicité est requise ".

A cette définition, la Cour de Cassation s’est référée dans l’arrêt du 12 juin 1996, mais en y apportant implicitement une précision que ses auteurs n’avaient pas fournie. Elle a fait comme s’il était écrit que le disposant " s’entend de la personne qui, d’après les documents déjà publiés, apparaît comme étant le titulaire actuel du droit qui se trouve transféré, modifié, ". etc...

Désormais, donc, les conservateurs doivent s’opposer à l’entrée dans les registres publics de certains documents pour lesquels, d’ores et déjà, la formalité requise apparaît inutile.

Il leur appartient, en particulier, d’empêcher la publicité d’un commandement de saisie portant sur des droits immobiliers dont, à la date de la remise dudit document au bureau des hypothèques, le débiteur, d’après le fichier immobilier, n’a plus la propriété.

En l’espèce, c’est ce que notre collègue a fait pour 6 des 19 lots de copropriété désignés dans le document à publier. Et pourtant, il a été assigné et ce, pour des motifs autres que le seul qui eût été raisonnable et qui aurait consisté à soutenir que, malgré l’apparence ressortant du registre public, les titres des acquéreurs n’étaient pas valables.

Mais ce n’est pas ce que le C...L... a fait plaider; bien au contraire, comme il est indiqué dans l’ordonnance du 2 octobre 1997, il n’a pas contesté " que ces lots ont été vendus et n’appartenaient plus à la SCI T... ". Dès lors, le rejet partiel qui a été prononcé ne pouvait qu’apparaître pleinement justifié.

Et cependant, il a demandé que soit ordonnée la publication du commandement sur les 6 lots qui avaient été exclus de cette formalité; puis, au cours de l’instruction, il a ajouté des conclusions afin d’obtenir la communication sous astreinte " des références du dépôt de la réquisition de la publication du commandement du 27 juin 1997 ".

A ces conclusions additionnelles, il a été rétorqué que l’avocat du poursuivant a déjà été informé des références ( date, volume, numéro ) de la formalité donnée à ce commandement pour 13 des 19 lots qui y sont désignés, que par suite, ces conclusions paraissent dépourvues d’objet et que, de toute manière, elles étaient irrecevables parce qu’étrangères au contentieux juridictionnel de la légalité des rejets.

C’est cette fin de non recevoir que le président du T.G.I. de Montpellier a opposé en décidant, dans les motifs servant de support à sa décision, que " l’assignation en contestation du rejet délivrée en application de l’article 26 du décret du 4 janvier 1955 n’autorise pas le C...L... à formuler des demandes autres que celles prévues par cette procédure particulière; que dès lors, la demande de communication sous astreinte des références du dépôt de publication, présentée par conclusions complémentaires, n’est pas recevable ".

Quant à la demande principale tendant à ce qu’il soit enjoint au conservateur de publier aussi pour les six lots exclus, elle n’était pas valablement argumentée.

En réalité, avant d’engager les poursuites voulues par la banque créancière, son conseil a requis le 30 octobre 1996, soit près de 8 mois avant la signification du commandement de saisie, la délivrance de la fiche générale de l’immeuble en copropriété construit par la SCI T... Sur cette fiche, comme il est de règle, les lots créés par l’état descriptif de division sont énumérés, mais lorsque l’un d’eux change de propriétaire, c’est sur la fiche établie pour cette fraction d’immeuble que la mutation est répertoriée.

Aussi, est-ce bien à tort que dans l’assignation, il a été fait grief au conservateur de ce que " sur les fiches d’immeubles obtenues auprès de la conservation des hypothèques par la SA C...L..., les lots 64, 142, 165, 195, 222 et 232 n’apparaissent pas vendus ".

Quant à l’intérêt qui s’attacherait à ce que le commandement soit publié entièrement et non partiellement afin de pouvoir exercer le droit de suite à l’encontre des détenteurs actuels de ces lots, il n’est pas démontré. A la vérité, dès que le poursuivant a su qu’il avait entrepris de saisir des biens n’appartenant plus à son débiteur mais sur lesquels il avait inscrit une sûreté réelle, dû se retourner contre les tiers détenteurs. A cette fin, il lui appartenait de faire signifier à la S.C.I. T... un nouveau commandement de saisie où seuls les 6 lots de copropriété en cause auraient été désignés et qui aurait été présenté comme constituant le préalable aux sommations qui allaient être faites aux acquéreurs. Ensuite, tous ces exploits, celui portant commandement et ceux ayant opéré les sommations, auraient été remis au bureau des hypothèques pour y être publiés.

C’est d’ailleurs ce qui a été rappelé dans l’ordonnance susreproduite où il est indiqué que " le commandement ne pourra être publié sur les lots 64, 142, 165, 195, 222 et 232 qu’avec sommation de payer ou de délaisser délivrée aux actuels propriétaires en application de l’article 2169 du code civil ".

Ainsi, dans cette affaire, les difficultés éprouvées par le poursuivant sont imputables uniquement à son propre fait: en ne s’étant pas enquis de la situation juridique actuelle de chacun des lots de copropriété qu’il se proposait de saisir, ce créancier a manqué à la prudence que toute personne doit avoir quand elle veut exproprier son débiteur.

Sur deux points, cette affaire a valeur d’exemple. D’une part, dans cette espèce où il s’agissait pourtant d’une publication et non d’une inscription, la définition du " disposant ou dernier titulaire " donnée dans l’arrêt de cassation du 12 juin 1996 est apparue comme allant de soi au conservateur, au juge de la légalité des rejets et également au créancier. Celui-ci, en effet, s’est bien gardé d’invoquer les dispositions, en apparence toujours en vigueur, de la deuxième phrase du 2 de l’article 34 du décret du 14 octobre 1955.

D’autre part, le conservateur, pour limiter les effets du rejet de la formalité à 6 lots sur 19, a pris parti sur ce qu’il faut entendre par l’expression " discordances dans la désignation de certains des immeubles grevés ou saisis ", employée au 4ème alinéa du paragraphe 4 de l’article 74 du même décret. Dans cet alinéa, il est, pour de telles discordances, dérogé à la règle majeure de la globalité des rejets énoncée au 1er alinéa du même paragraphe 4 et notre collègue a considéré que celles afférentes à l’identité du propriétaire s’y trouvaient visées.

Cette position, d’emblée, a de quoi surprendre puisque d’après l’article 7 du décret du 4 janvier 1955, la désignation d’un immeuble concerné par un document publié est assurée par les identifiants de caractère réel définis et exigés audit article.

Toutefois, en France, la publicité foncière demeure un système personnel; en particulier, il y est fait en sorte que la seule énonciation de l’identité d’une personne dans une réquisition de renseignements permette d’obtenir la liste des immeubles qui, situés dans le ressort du bureau, sont sa propriété, ainsi que l’analyse des formalités intervenues sur ces immeubles du fait de cette personne. C’est pourquoi, pour les besoins de la publicité foncière, la désignation complète d’un immeuble ne consiste pas seulement à savoir où il est situé mais, en outre, à qui il appartient. Dès lors, le disposant étant, selon la Cour de cassation, la personne à laquelle le titre publié le plus récemment confère la qualité de titulaire du droit immobilier qui, dans le document à formaliser, " se trouve transféré, modifié, confirmé,... etc. ", toute discordance touchant à l’identification de cette personne doit être regardée aussi comme relative à la désignation même du bien sur lequel porte ce droit.